11 mars 2024

Blocage de la SCA Ouest : « On voulait porter la voix d’une autre agriculture »

Il y a maintenant plus d'un mois, un groupement de paysan·nes bloquait la SCA Ouest (Société Coopérative d’Approvisionnement de l’Ouest), une plateforme logistique de Leclerc livrant 49 magasins et 72 drives dans le grand Ouest. Guillaume, maraîcher du sud Loire est revenu sur cette action pour Fragil.

Blocage de la SCA Ouest : « On voulait porter la voix d’une autre agriculture »

11 Mar 2024

Il y a maintenant plus d'un mois, un groupement de paysan·nes bloquait la SCA Ouest (Société Coopérative d’Approvisionnement de l’Ouest), une plateforme logistique de Leclerc livrant 49 magasins et 72 drives dans le grand Ouest. Guillaume, maraîcher du sud Loire est revenu sur cette action pour Fragil.

Guillaume est un paysan non syndiqué, comme plus d’¼ des paysan·nes qui étaient présent·es au blocage d’après ses estimations. C’est à l’appel de plusieurs organisations que s’est faite cette action, notamment le GAB (Groupement d’Agriculture Biologique), le CIVAM (Centre d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural), mais aussi la Confédération paysanne. Il nous parle ici en son propre nom, mais aussi en celui du groupement de paysans dont il fait partie. Hérité de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce groupe s’est par la suite rapproché de syndicats ouvriers comme la CGT ou Solidaires depuis la lutte contre la réforme des retraites, afin de s’organiser et agir.

“On n’est pas d’accord sur toutes les prises de positions, les points de vue, les idées. Dans notre département la confédération paysanne à été majoritaire à un moment, depuis elle fait pas mal de compromis dans l’optique de redevenir majoritaire. Pour nous, ils ne portent pas nos valeurs.” Nous explique Guillaume, ce qui ne l’empêche en aucun cas d’être en bons liens avec le syndicat.

Porter la voix d’une autre agriculture

L’idée pour les paysan·nes qui étaient présent·es était de se démarquer du reste du mouvement mené notamment par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs : “On voulait porter la voix d’une autre agriculture, qui n’a pas envie d’arracher les haies, de traiter, mais qui veut une juste rémunération. Là-dessus, c’était des points de convergences avec d’autres syndicats agricoles avec lesquels on a pas l’habitude d’être d’accord. Mais aussi l’abandon des traités de libre-échange … Vu la situation écologique, on a intérêt à faire du circuit court et de faire en sorte que nos territoires soient autonomes.”

En plus de dénoncer la fuite en avant de l’agriculture productiviste et ses dérives, le mouvement voulait aussi pointer du doigt les marges des distributeurs : “À part si t’es en circuit court, et c’est du boulot, t’es pas maître de tes prix.” Selon la Fondation pour la Nature et l’Homme, en 20 ans, sur une brique de lait la marge des entreprises agroalimentaire a augmenté de 64%, celle des distributeurs a augmenté de 188% alors que celle des éleveurs a baissé de 4%

Concernant le sujet récurrent des normes environnementales, régulièrement remise en question par certains syndicats comme la FNSEA ou les Jeunes Agriculteurs, c’est un faux débat selon Guillaume : “Nous, on pense que ces contraintes ne sont pas là par hasard. Quand t’es agriculteur tu gères le territoire et c’est donc normal qu’on te demande des comptes.”

Comme il le rappelle, les syndicats agricoles, élus à la Chambre d’agriculture, sont des syndicats d’exploitant·es agricoles, et ne représentent donc pas les salarié·es du secteur. Un point central pour comprendre les prises de décisions à la Chambre d’agriculture, où l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs est majoritaire.

Banderole affiché sur le blocage de la SCA Ouest.

“Tout s’est très bien passé avec les salariés de la SCA Ouest”

Le lundi 29 janvier au matin commence donc le blocage de la plateforme logistique de Saint-Étienne-de-Montluc, des dizaines de paysan·nes se sont relayé·es sur place pendant les 5 jours qu’aura duré l’action. Le but était uniquement de bloquer les sorties de denrées de la plateforme, les salariés ont pu aller pointer et les camions vides pouvaient partir afin de gêner le moins possible les employés, l’occasion de bloquer un point névralgique : “C’est 56 Leclerc sur la région grand Ouest qui n’ont pas pu être alimentés en produits frais, 76 en comptant les drives. Sans pour autant qu’il y ait de pertes de rémunération pour les salariés au sein de la SCA Ouest, la perte elle a été pour Leclerc.”

Après les annonces de Gabriel Attal du jeudi 1er février, exemptes de réponses sur les questions du revenu paysan ou de la fin des traités de libre-échange, les agriculteurs présents devant la plateforme décident de poursuivre le mouvement : “C’est absolument pas les annonces que l’on attendait.”

Déclaration de la Confédération Paysanne sur twitter le 1er février.(https://x.com/ConfPaysanne/status/1753126512969003469?s=20)

Les gendarmes ont fini par intervenir le samedi au petit matin, soit 5 jours après le début de l’opération. “C’est la première fois que voyais une colonne de CRS aussi prête à discuter” Les paysans ont notamment réussi à négocier les termes de leur départ, en cortège.
Dans un communiqué de presse paru dans la journée, la préfecture de Loire-Atlantique déclare que l’évacuation s’est faite : “En raison des troubles à l’ordre public et des risques de pénuries et de pertes de produits frais”. Tout en précisant que les opérations de déblocages se sont déroulées dans le calme.

Guillaume explique ne pas être dupe du traitement de faveur dont ils ont bénéficié grâce au soutien de la FNSEA, et de la droite au mouvement agricole dans sa globalité. Pour une fois, leur colère a été qualifiée de “coup de sang légitime” par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin qui sera par la suite accusé par de nombreux médias de faire un “deux poids, deux mesures” dans sa différence de traitement des manifestations du mouvement agricole, notamment comparé à celles contre la réforme des retraites ou contre les méga-bassines.

Des revendications dans une ambiance festive.

Les suites ? Pour Guillaume : “Là, c’était surtout essayer de faire exister médiatiquement une autre agriculture, pour dire que ce n’est pas la seule façon de pouvoir produire et nourrir la population”. Il termine en nous annonçant que le combat est loin d’être fini pour eux : “il faut toujours qu’il y ait ces forces la dans une société, qui exigent plus, qui veulent tirer la société vers le haut ! Ce n’est pas en nivelant vers le bas qu’on va s’en sortir !”

Originaire de Normandie, Bastien a grandi dans le vignoble nantais. Après des premiers pas en médecine, c’est finalement vers des études de géologie qu’il se dirige. Passionné du vivant et de la terre (il avoue avoir une collection de pierres depuis tout petit !), Bastien ressent le besoin de s’engager pour penser et changer le monde de demain.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017