Les pièces de Shakespeare ont énormément inspiré les compositeurs d’opéras. « Othello » (devenu Otello) a nourri deux ouvrages, l’un, en 1816, signé par Rossini, et l’autre, en 1887, par Verdi, qui proposa aussi en 1893 « Falstaff », dont l’histoire avait déjà conduit aux « joyeuses commères de Windsor » d’Otto Nicolai en 1849. On peut également citer, dans le répertoire français, « Roméo et Juliette » de Charles Gounod, créé en 1867 et, un an plus tard, « Hamlet » d’Ambroise Thomas. Parmi des œuvres plus récentes, on doit à Philippe Boesmans « Le conte d’hiver » (1999) et à Thomas Adès « La tempête » (2004). Benjamin Britten atteint dans son adaptation du « songe d’une nuit d’été » des sonorités envoûtantes et irréelles ; Benjamin Pionnier se montre complètement inspiré à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire, dans une direction où il restitue l’accord le plus troublant et la note la plus scintillante, en un véritable travail d’orfèvre.
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A travers le miroir
L’action débute dans une forêt de théâtre, où le réel se mêle à des créatures surnaturelles, et où les fantasmes s’égarent dans une logique des rêves. C’est là qu’en un miroir déformant, les amours d’Obéron et de la reine des fées frôlent et voilent les mouvements contrariés des cœurs de Lysandre, Hermia, Demetrius et Helena. Ces quatre personnages ont fui Athènes et trouvé refuge dans ce monde de tous les possibles, où ils se cherchent en un jeu d’attirance et de répulsion. Leur quête de soi évoque le théâtre de Marivaux, dont Jacques Vincey, le metteur en scène, a proposé en 2016 une lecture de « La dispute » au CDN de Tours*, qu’il dirige depuis 2014. La musique de Britten sculpte le moindre frémissement en des sonorités d’une indicible beauté, sur lesquelles les lumières de Marie-Christine Soma ondulent avec grâce.
L’action débute dans une forêt de théâtre, où le réel se mêle à des créatures surnaturelles, et où les fantasmes s’égarent dans une logique des rêves.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/05/SG52HD©MariePétry.jpg » credit= »Marie Pétry » align= »center » lightbox= »on » caption= »Le plateau est recouvert d’une toile aux reliefs argentés, presque lunaires » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]
Jacques Vincey retrouve ici Shakespeare à l’Opéra, après avoir monté en début de saison au CDN de Tours « Le marchand de Venise », où il jouait le rôle fascinant de Shylock. Sa direction d’acteurs de ce « Songe d’une nuit d’été » est tourbillonnante et pleine de vie, à l’image de cœurs qui hésitent ou s’affolent, dans le mystère insaisissable des rêves. Le plateau est recouvert d’une toile aux reliefs argentés, presque lunaires. Le lutin Puck orchestre ce songe tel un démiurge, auquel le comédien Yuming Hey, qui est aussi danseur, apporte, dans ce rôle parlé, une présence étincelante et une légèreté aérienne. La féerie s’exprime aussi dans la partition, et notamment dans le choix d’un contre-ténor dans le rôle d’Obéron, que Dmitry Egorov incarne par un timbre aux couleurs suaves et sensuelles, complètement irréelles, face à la Tytania de Marie-Bénédicte Souquet, aux aigus cristallins : ils offrent quelques duos d’une ineffable splendeur.
La féerie s’exprime aussi dans la partition…
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Double, duplicité et parodie
Jacques Vincey avait exploré le thème du double en montant en 2012 « Amphitryon » de Molière avec la troupe de la Comédie Française, au Théâtre du Vieux Colombier. Ce thème se décline ici dans tout un jeu de métamorphoses et de caricatures. Le réel se dédouble et les attirances amoureuses se compliquent sous l’effet d’un philtre, en s’inversant parfois et en révélant des intermittences. Dans de réjouissants moments de théâtre dans le théâtre, la forêt abrite aussi une troupe de comédiens amateurs, venue répéter la « farce très tragique » de « Pyrame et Thisbé » : c’est un groupe truculent et totalement improbable. La parodie est comme un double inversé de la représentation, et elle prend la forme d’une véritable folie où Tytania se retrouve séduite par l’acteur-tisserand Bottom, métamorphosé en âne ! Ces registres contrastés s’enchaînent et se superposent dans quelques instants particulièrement savoureux, et la « troupe dans la troupe » réunie à Tours est très drôle et inventive. Eric Martin-Bonnet, (mémorable Sparafucile dans « Rigoletto » mis en scène par Eric Génovèse à Bordeaux en 2007) est un Quince haut en couleurs ; il joue cette figure d’acteur-charpentier par quelques graves d’une fascinante profondeur. Même la parodie a une certaine grandeur ; elle est transfigurée par une musique aux contours célestes.
La parodie est comme un double inversé de la représentation…
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Après tous ces égarements, le retour au réel a lieu à la cour du duc d’Athènes, qui annonce de manière protocolaire son mariage avec Hippolyta. La représentation de « Pyrame et Thisbé », était destinée à cette fête : c’est la désopilante démonstration d’un échec annoncé, mais dont le seul but est d’en rire. Cette parodie est un miroir du théâtre, ce qui accentue le trouble du spectateur, perdu entre songe et réalité. Cette cérémonie finale scelle aussi les unions de ceux qui s’étaient perdus dans la forêt, pour mieux se retrouver. Les quatre figures d’amoureux sont dessinées de manière touchante ; Majdouline Zerari est merveilleuse en Hermia, et sa voix aux couleurs chaudes, avec de beaux graves, est particulièrement saisissante. La scène de dénouement est magnifiée par les superbes costumes de Cécile Perrigon, qui suggèrent avec une extrême délicatesse le passage du rêve à l’éveil. Parmi les émotions de ce spectacle, on est heureux de retrouver Delphine Haidan dans la figure d’Hippolyta ; elle jouait plusieurs rôles dans « L’enfant et les sortilèges » de Maurice Ravel à la Scala de Milan en 2016, dont une mémorable Maman, et elle détache chaque phrase de Britten avec beaucoup d’intensité, dans des interventions marquantes. Comme dans la pièce de Shakespeare, c’est Puck qui a le dernier mot. L’opéra s’achève donc sur du théâtre parlé. Toute cette divine musique n’était-elle qu’un songe ? Ses magnifiques interprètes ont pourtant ouvert une porte sur l’absolu.
Cette parodie est un miroir du théâtre, ce qui accentue le trouble du spectateur, perdu entre songe et réalité.
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Avant le retour de Dieter Kaegi à Tours
Après cet éclatant spectacle, l’Opéra de Tours programme du 25 au 29 mai 2018 un diptyque composé de deux raretés en un acte du répertoire russe, « Mozart et Salieri » de Rimski-Korsakov et « Iolanta » de Tchaïkovski, dans des mises en scène de Dieter Kaegi. Cet artiste a dirigé l’Opéra de Dublin de 1998 à 2011, et il est désormais à la tête du Theater Orchester Biel (à Bienne et Soleure, en Suisse). La saison dernière s’est achevée à Tours par une reprise de sa très belle vision de « Rusalka » de Dvorak, qu’il avait créée en 2014 à l’Opéra de Monte-Carlo. Le metteur en scène construit des images fortes, et cette production jouait sur de saisissants contrastes, comme l’eau et le feu, ou l’amour et la mort, et quelques images vidéo sur le thème de l’eau qui devenaient obsessionnelles, ou ce lustre de théâtre étincelant, symbole d’une richesse illusoire. L’émouvante Serenad B.Uyar apportait de beaux accents de lyrisme à cette nymphe amoureuse d’un Prince.
Le metteur en scène construit des images fortes, et cette production jouait sur de saisissants contrastes, comme l’eau et le feu, ou l’amour et la mort…
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Parmi les spectacles mémorables de Dieter Kaegi, l’Opéra de Nantes a assuré en 1999 la création mondiale sur scène de « Till l’espiègle » de Karetnikov. C’est un très grand souvenir et lors de la scène finale, toute la salle était submergée par l’émotion. En effet, après avoir perdu tous ses proches et fait face à plusieurs trahisons, le protagoniste revenait dans sa ville natale, où tout était détruit, et où même ses ennemis ne le reconnaissaient plus, mais il affirmait, malgré tout, un magnifique Credo en la vie avant de retomber en enfance. Après un poignant élan de lyrisme, l’opéra s’achevait sur une musique de cirque sur laquelle Till envoyait un avion de papier, car plus rien n’avait d’importance. Plus récemment, Dieter Kaegi a mis en scène un passionnant « Capriccio » de Richard Strauss, en 2016 à l’Opéra Théâtre de Metz, sous la direction musicale de Benjamin Pionnier. Il avait transposé l’action dans une brasserie près d’un théâtre. La Comtesse, qui ne sait qui choisir entre un poète et un musicien (une belle métaphore de l’opéra), se retrouvait après son monologue final face à un public, telle une diva entrant sur scène, en une troublante réponse à son dilemme. Le diptyque présenté à Tours s’annonce donc un grand moment. La prochaine saison débutera sur un autre évènement. On pourra voir le 28 et le 30 septembre, ainsi que le 2 octobre 2018, une rareté de Jacques Offenbach, « Les fées du Rhin », où l’on se réjouit de retrouver l’immense Jean-Luc Ballestra.
Le diptyque présenté à Tours s’annonce donc un grand moment.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/05/GP090526023OPERAESCALIER.jpg » credit= »Gérard Proust » align= »center » lightbox= »on » caption= »Le grand escalier à double révolution de l’Opéra de Tours » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]
*CDN de Tours : il s’agit du Centre Dramatique National de Tours