À l’occasion du MidiMinuitPoesie#24 à Nantes, le samedi 12 octobre, au Lieu Unique, la rédaction de Fragil a eu l’occasion d’assister à une représentation de l’artiste Camille Bloomfield, intitulée « Balance Ton Corps » et d’interroger l’artiste sur son œuvre Poèmes Typodermiques.
Le « Body Poetry »
Dans la première partie, elle a partagé à son auditoire l’art du « body poetry » : l’art de faire de son corps une toile géante pour s’exprimer. “J’avais trouvé ça fou de voir le corps comme support littéraire, au sens premier du terme, très concret, très matériel.”, a-t-elle confié. Inspirée par l’œuvre de Shelly Jackson, Skin Project, qui constituait à apposer chaque lettre de son roman en tatouage sur des êtres humains, elle s’est d’abord lancée dans un premier tatouage, celui de l’esperluette, grand oublié de la typographie française. “J’avais lu dans un livre de Bernard Pivot que le mot esperluette était un mot à sauver. Me faire tatouer cette esperluette, non seulement c’était un geste d’ouverture vers l’autre de par sa signification, mais aussi c’était une manière pour moi de contribuer un peu comme une blague à ma modeste mesure à sauvegarder ce mot.”
La naissance d’une œuvre
C’est quelques années plus tard que l’œuvre poétique a vu le jour. “Je me suis dit « et quoi », qu’est-ce qui se passe après ce “&”, donc j’ai eu cette idée de compléter le projet par d’autres tatouages et là c’est devenu vraiment un projet poétique.” dit-elle. Le recueil est une véritable introspection débouchant par la suite à ce qu’elle nommera « de l’exhibitionnisme », chaque tatouage racontant une partie de son être, de son histoire, de ses pensées intimes, à travers des typographies oubliées, des signes de ponctuation, existants ou non. “Je trouve ça beau parce que c’est un niveau de détails d’attention à la langue qui est très précis, ce sont des signes qui servent à quelque chose… J’avais envie de me l’inscrire sur le corps et d’en faire un poème et c’est comme ça que le livre est né.”
Lors de sa performance, l’artiste les a exposé un à un, déroulant chaque strap orange pour terminer par son tatouage regroupant tous les autres, résumé de son âme, mise à nue. “C’est une rencontre entre la poésie visuelle et l’art contemporain performatif.” explique-t-elle. Elle termine par la découverte du dernier de ses tatouages, le plus imposant, qui reprend tous les autres, entremêlés les uns aux autres. “Il est très différent des autres parce que je l’ai écrit vraiment au tout dernier moment avant d’envoyer à l’éditeur. Le poème s’appelle « envoi », comme l’envoi aux gens, l’envoi au monde, l’envoi à mon éditrice car il c’est le dernier, il a un statut un petit peu différent. »
Une œuvre engagée
Une œuvre poétique et militante, dans l’engagement dans la progression de la langue, de l’écriture inclusive. “Je suis quelqu’un de politique, je crois donc tout ce que je fais est un peu militant… Mais c’est militant sur un mode un peu joyeux. Voilà, j’ai le militantisme joyeux. J’adore la langue française. Ça m’intéresse d’autant plus de faire revivre des choses qui sont potentiellement en voie de disparition comme le mot « esperluette », le point virgule ou bien le point exclarrogatif qui dit la non binarité, la fluidité de pas avoir à trancher entre deux émotions et ça c’est pour moi des problématiques hyper contemporaines.”
Le tatouage, un véritable terrain d’expression pour une artiste à la recherche de la réappropriation de son corps. “Je pense que la chose principale c’est que ça crée du lien, c’est comme un message… C’était aussi une manière pour moi de traverser des moments de solitude que j’ai pu avoir dans ma vie et de pouvoir faire un livre avec ça, de pouvoir en discuter (…), d’avoir un dialogue avec un autre artiste sur ces signes sur ces parties de mon corps, et donc sur le message de l’œuvre.”
Salle pleine à craquer, spectateurs et spectatrices assis.es parterre par manque de place, Camille Bloomfield a performé en faisant salle comble. Le festival #MidiMinuitPoésie a connu un véritable succès cette année, traduisant sa tendance à rendre la poésie accessible, et contemporaine. “J’ai adoré le fait qu’il y ait des rencontres imaginées par la directrice de la Maison de la Poésie qui invite des gens à préparer ensemble une performance pour le festival…Ça génère des créations originales pour le festival, donc on voit plein de trucs qu’on n’a jamais vu avant.”