19 juin 2018

Cantat à Stéréolux, enfin !

Bertrand Cantat souffrant d'un lumbago, les deux concerts prévus en mai à Nantes avaient été reportés début juin. Retour sur celui du 5 et sur les morceaux joués ce soir-là.

Cantat à Stéréolux, enfin !

19 Juin 2018

Bertrand Cantat souffrant d'un lumbago, les deux concerts prévus en mai à Nantes avaient été reportés début juin. Retour sur celui du 5 et sur les morceaux joués ce soir-là.

Ce mardi 5 juin, il est bientôt 21h30 dans la salle maxi de Stéréolux. Les formes ésotériques du logo Amor Fati sont visibles à l’arrière de la scène depuis trois quarts d’heure. Le temps pour les techniciens de déplacer, brancher et régler les instruments avec un soin particulier pour une guitare aux couleurs claires, posée au centre de la scène. C’est celle de Bertrand Cantat, ex-chanteur de Noir Désir (groupe dissout en 2010), qui est attendu par 1 300 personnes comme la veille au même endroit, où le concert affichait aussi complet. Ce public, composé à 80 % d’hommes, la plupart nés dans les années 1970, compte beaucoup de fans de la première heure, qui trompent leur attente entre les bars, l’exposition de dessins de David Snug et la première partie assurée par le groupe folk nantais Sylbi Vane. A son entrée sur scène, Bertrand Cantat est ovationné et entame une setlist formée pour l’essentiel des titres de son album solo. Celui-ci n’est pourtant pas joué en intégralité. Le premier single sorti, L’Angleterre, est étonnamment absent, tout comme Chuis con et Maybe I.

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La première partie du concert révèle la richesse d’un album alternant envolées rock (Excuse my French) et mélodies plus intimistes (Amie nuit avec Pascal Humbert à la contrebasse), tout en offrant certains titres du Horizons de Détroit (2013), des murmures rageurs de Sa majesté à l’introspection romantique d’Ange de désolation. Le titre de l’album est d’ailleurs trompeur : Amor fati, accepter son destin, « ce qui est est » répète Cantat, comme un mantra, en guise le refrain. Mais il semble pourtant loin de la sagesse des stoïques. Son charisme de chanteur maudit a beau s’être érodé au fil du temps, et passablement abîmé par l’actualité récente, sa présence sur scène reste fiévreuse, agitée sinon possédée. L’intensité faiblit à certains moments, malgré les vidéos projetées et la qualité des musiciens. Dans Silicone valley, Cantat s’essaie à un phrasé rap contre l’emprise des Gafam sur les individus. Mais le prêche ne prend pas. Et au bout d’une demi-heure, les titres J’attendrai et Les pluies diluviennes font craindre un essoufflement et marquent clairement une pause, à tel point qu’on se pose la question d’aller remplir son verre en fendant la densité de la foule.

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Puis arrive le premier titre de Noir Désir, acclamé. A l’envers, à l’endroit est repris en chœur et la voix de Cantat n’a rien perdu de son éclat. Les trois morceaux de Détroit rehaussent aussi cette première partie, dont un splendide Ma muse qui s’achève en l’absence du chanteur. Pascal Humbert en profite pour présenter les musiciens, les techniciens de la salle et ceux de la tournée. De Bruno Green, multi-instrumentiste, aux claviers et à la programmation, aux frères Frédéric (batterie) et Laurent Girard (guitare basse) en passant par Nicolas Boyer (guitare), l’essentiel du groupe Détroit est présent ce soir. On comprend que l’aventure qu’ils vivent est collective mais aussi éprouvante. Dates reportées ou annulées, révélations extra-musicales sur la vie privée, tout cela n’a pu être surmonté que par une forte cohésion et une farouche envie de défendre ensemble, sur scène, les chansons publiées au nom d’un seul. Pascal Humbert redit leur bonheur d’être là ce soir, avant que Cantat ne revienne au premier plan.

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Et la seconde partie commence. Tostaky allume la mèche, Ici Paris enflamme la salle et Lost y ajoute de l’huile. Ces reprises de Noir Désir, le public les attendait et il le fait bruyamment savoir. Anthracitéor tiré d’Amor fati apaise les esprits, avant un rappel qui débute par L’homme pressé, titre phare de l’album 666 667 Club et n’ayant rien perdu de son actualité. Aujourd’hui, tiré aussi d’Amor fati, prolonge la charge contre l’apathie politique supposée sur fond d’images de manifestations. Puis Cantat propose de revenir à 1917. La révolution russe ? Non, plutôt la guerre et un bouleversant Marlène suivi par Le vent nous portera, qui rend l’émotion palpable. Collé à la régie, mon voisin écrase une larme. Les musiciens saluent et s’en vont, longuement applaudis, puis reviennent pour interpréter Comme elle vient, dans une version plus acoustique que sur 666 667 Club. Cantat et son groupe saluent une dernière fois, après 19 titres joués en deux heures, qui auront contenté tous les présents.

Le lundi 11 juin, le groupe annoncera la fin prématurée de sa tournée.

Chercheur géographe, il a d'abord écrit des articles scientifiques sur les migrations internationales dans un style universitaire ampoulé. Devenu enseignant, il souhaite s'en délester et écrire juste pour partager son goût du rock et des concerts.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017