«Je ne cache pas que j’ai 77 ans. Je suis une grand- mère. J’ai peut-être moins d’énergie qu’avant. J’ai sans doute plus de mal à mémoriser mes textes mais je suis libre de dire ce que je pense. C’est le privilège de mon âge». Ainsi s’exprimait Carmen Maura lors de sa conférence de presse à Cosmopolis le 31 mars.
Une femme libre et qui ne mâche pas ses mots pour dénoncer la mouvance féminisme défendue par Irene Montero, la Ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes. «Elle considère que le féminisme est né avec elle. Comme si nous n’avions rien fait avant. Mais à notre époque, ce n’était pas facile de s’affirmer en tant que femme ».
Et de citer une blessure profonde, celle d’une décision de justice qui l’a privée de la garde de ses enfants pendant 10 ans. «Les juges ont critiqué ma sensualité. Ils m’ont reproché ma façon de m’habiller. En fait, pour eux, être comédienne revenait à dire que j’étais malade».
Puis elle ajoute avec lucidité et auto-dérision : «Je ne suis sans doute pas une bonne mère au foyer ou une bonne épouse mais je crois que j’étais douée pour ce métier et que j’ai eu un bon ange-gardien qui m’a toujours offert de belles opportunité de travail».
Courage et générosité
Pour Carmen Maura, les femmes ont certainement obtenu plus de droits aujourd’hui mais les libertés ont beaucoup reculé en Espagne. «Un film comme Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier , le premier long métrage de Pedro Almodovar, ne pourrait plus être produit aujourd’hui», affirme-telle.
Lors de la présentation du programme à l’Hôtel de France le 9 mars, Pilar Martinez- Vasseur, la co-présidente du Festival du cinéma espagnol, avait souligné ses choix courageux. «Il fallait le faire à l’époque. Tourner avec Almodovar dans des films comme La loi du désir ou encore Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, c’était courageux. Elle a incarné ces femmes invisibles dans le cinéma».
En fait, Carmen Maura a toujours aimé prendre des risques. Sur les 140 films qu’elle a tournés, un tiers l’ont été avec des premiers films de jeunes réalisateurs inconnus. «Elle a cette générosité», fait remarquer Pilar Martinez-Vasseur. «Elle offre sa notoriété pour assurer la promotion de talents encore non révélés au public».
C’est encore le cas avec ce film qu’elle s’apprête à tourner à Buenos Aires en Argentine, La vieja loca ( La vieille folle). «C’est le rôle le plus difficile de ma carrière. Il me fait peur et quand je répète les dialogues, je me demande pourquoi je l’ai accepté». Et d’ajouter avec un peu d’humour: «Je me demande si je ne vais pas finir vraiment folle à la fin du film car je vais jouer des scènes invraisemblables et très physiques».
Des rôles de vérité
Lors de sa masterclass au Théatre Graslin le 1er avril, elle a expliqué sa façon de rentrer dans la peau du personnage à une étudiante de Cinétis qui lui posait une question : «Je passe beaucoup de temps à m’approprier le texte, à le comprendre, à trouver sa vérité. Une fois que je l’ai mémorisé, le réalisateur peut me demander ce qu’il veut. Je saurai m’adapter. S’il faut improviser, je le ferai sans difficulté. C’est comme un petit miracle qui se produit sur le plateau. Et si je me trompe, ce n’est pas grave, je peux recommencer. D’ailleurs je ne suis pas la seule à pouvoir me tromper. Parfois, c’est le caméraman qui commet l’erreur ou le preneur de son ou le directeur de la photo. Il y a beaucoup de monde sur le plateau».
Autre conseil avisé qu’elle a livré à cette occasion : son rapport à la caméra : «La caméra, ça reste un mystère pour moi. Elle peut prendre le pouvoir et te manger si elle ne t’aime pas. Je crois qu’il faut la respecter, en tout cas ne pas l’ignorer». Et de compléter son explication avec cette anecdote qui a fait sourire la salle. «La caméra, elle est comme ce garçon qui t’attire lors d’une fête. Tu fais semblant de ne pas le regarder alors qu’il est omniprésent dans tes pensées».
Puis elle en rajoute voyant que son auditoire s’amuse. «Dans Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, je jouais le rôle d’une championne d’escrime et j’ai ouvert le crâne d’une comédienne avec un jambon. Grâce à la comédie, tu peux tuer des gens de toutes les façons possibles. C’est moins agréable quand c’est toi la victime».
Mettre de la vérité dans son personnage et le jouer avec tout son cœur. Telle est sa méthode, une méthode très personnelle qu’elle a imaginée car elle est autodidacte dans ce métier. Elle n’a jamais suivi de cours de théâtre. «Chaque fois que je joue, je fais comme si c’était le film le plus important de ma vie. J’y mets toute mon âme», confie-t-elle.
La plus française des espagnoles ou l’inverse
Pendant ses deux jours à Nantes, Carmen Maura n’a pas tari d’éloge sur les bonnes ondes qu’elle a reçues du public et pour son amour de la France, de sa culture, de sa langue. D’ailleurs, elle a mis un point d’honneur à s’exprimer en français et sans accent. «C’est la plus française des actrices espagnoles», constate Pilar Martinez Vasseur. «A moins que ce ne soit le contraire, la plus espagnole des actrices françaises».
En tout cas, elle a jeté un pont entre les deux pays voisins. « Carmen est le symbole de cette Espagne qui est passée d’une situation ombrageuse à une situation de lumière et de créativité», a déclaré Victorio Redondo Baldrich, l’ambassadeur d’Espagne en France lors de sa présentation à Graslin. «Mais son amour pour la France lui donne une autre dimension».
A Nantes, Carmen Maura nous a montré toutes ses facettes : la femme libre et courageuse qui a su s’imposer dans un pays machiste, la femme drôle et populaire, forte et tendre, attachante et francophile. Une ambassadrice de choix pour le festival du cinéma espagnol.