Affaire Cambridge Analytica : faire plier la démocratie sous le microciblage publicitaire
En 2018, The Guardian et The New York Times révèlent le scandale Cambridge Analytica. L’entreprise anglaise avait récolté, de manière frauduleuse, les données de plus de 87 millions de compte Facebook afin de les utiliser dans des opérations de manipulation d’opinion sur des populations indécises à travers des campagnes publicitaires microciblées sur Facebook.
Dans ce livre, Christopher Wylie, le lanceur d’alerte de l’affaire et ancien directeur de recherche de Cambridge Analytica, détaille l’articulation des logiques commerciales, technologiques et idéologiques, et les dérives associées qui ont mené, entre autres détournements démocratiques, à faire voter le Brexit et élire Donald Trump.
Au delà de l’explication de l’affaire, le livre de Christopher Wylie permet aussi de mieux comprendre les mécanismes qui l’ont amené à s’intéresser à l’utilisation des données personnelles et à tisser des liens avec des idéologues conservateurs, tels que Steve Bannon ou le milliardaire Robert Mercer, en contradiction avec ses propres valeurs progressistes.
Références :
Mindfuck, Le complot Cambridge Analytica pour s’emparer de nos cerveaux
Christopher Wylie
Grasset, 2020 – 490 pages
Entre prédation et asservissement : les géants du numériques, nouveaux seigneurs
Économiste à l’université Sorbonne Paris-Nord spécialiste de la mondialisation, la financiarisation et des mutations du capitalisme contemporain, Cédric Durand propose ici une lecture économique critique du développement des géants du numérique.
L’hypothèse avancée dans ce texte est celle du dépassement du capitalisme par les acteurs du BigData. En effet, au delà de posséder les moyens de production, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et autres NATU (Netflix, Air BNB, Tesla, Uber) se dirigent désormais vers une utilisation féodale de leur pouvoir : à l’instar des seigneurs du Moyen-Âge, ces entreprises ne produisent pas mais fonctionnent par logique de prédation. Les objets de conquêtes ne sont plus des territoires mais des sources de données, les sujets sont les utilisateurs et utilisatrices en situation de dépendance à ces plateformes et qui produisent de la donnée gratuitement en échange de la sécurité promise par leurs structures techniques.
Un livre extrêmement dense qui permet de questionner par le prisme économico-politique le pouvoir des plateformes numériques. Pour celles et ceux qui seraient effrayés par l’idée de se plonger dans un tel ouvrage, un aperçu des concepts défendus par l’auteur est accessible dans un entretien de Cédric Durand à France Culture.
Références :
Techno-féodalisme – Critique de l’économie numérique
Cédric Durand
Zones – La Découverte, 2020 – 250 pages
Critiquer la marche du progrès pour que la technologie soit au service de la démocratie
Respectivement fondateur du blog technocritique maisouvaleweb.fr et consultante en sociologie, l’auteur et l’autrice de cet ouvrage sont aussi à l’origine de l’association le Mouton Numérique qui vise à mettre en lumière les enjeux sociaux, politiques et environnementaux des nouvelles technologies. Dans cet ouvrage, Irénée Régnauld et Yaël Benayoun nous proposent donc un état des lieux des problématiques liées à la notion de progrès technologique et aux idéologies qui s’y attachent. Proposant tout d’abord à la critique des idées reçues sur la technologies telles que « on n’arrête pas le progrès » ou encore « la technologie est neutre », le livre nous offre un panorama mondial des différentes initiatives citoyennes s’attaquant aux dérives technologiques et aux systèmes qui les nourrissent. A travers des cas concrets tels que la lutte du collectif Block Sidewalk contre le projet de smartcity porté par Google à Toronto ou encore « [l’accompagnement des] populations dans une sorte de reconquête lente du pouvoir de transformer eux-mêmes la ville et de tendre vers la ville de demain » du projet Hub City à Lomé au Togo, ce texte nous permet de questionner les rapports citoyens face au pouvoir de la technologie et d’envisager la lutte contre le sentiment d’impuissance qu’il provoque.
Références :
Technologies partout, démocratie nulle part – Plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous
Yaël Benayoun et Irénée Régnauld
FYP, 2020 – 230 pages
Chasser les idées reçues en étudiant l’histoire des médias
Roy Pinker est le nom d’un journaliste fictif créé dans la première moitié du XXème siècle pour le journal Détective. C’est sous ce pseudonyme évoquant une mystification journalistique qu’un collectif de chercheurs et chercheuses ont décidé de réfléchir aux rapports entre presse et littérature. Pour cet ouvrage, ce sont donc Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-Eve Thérenty, trois universitaires spécialistes des médias, qui ont adopté le nom de Roy Pinker.
Tout au long des quinze chapitres du livre, les auteurs et l’autrice illustrent de manière plutôt amusante et largement sourcée comment des phénomènes médiatiques que l’on a tendance à lier au numérique existaient déjà à la fin du XIXème siècle. Ainsi, on apprend que les mèmes, buzz, fake-news et autres copier-coller étaient déjà des pratiques répandues bien avant l’émergence du numérique. Un texte permettant de prendre du recul sur les accusations de création de la désinformation portées sur les nouvelles technologies, même si ces dernières ont leur part de responsabilité dans l’accélération de sa diffusion.
Références :
Fake news & viralité avant Internet – Les lapins du Père-Lachaise et autres légendes médiatiques
Roy Pinker
CNRS Edition, 2020 – 220 pages