A l’origine de cette œuvre, un choc émotionnel en 2014 à Ouagadougou au Burkina Faso. Basile participe à un festival de théâtre panafricain, Élan des Récréâtrales. Et il est interpellé par le nombre d’enfants jetés à la rue, vivant de mendicité, en haillons, sans chaussure, dans la boue.
«Ils étaient très jeunes» raconte Basile Yawanké. «Certains avaient 5 ans, les plus vieux 15 ans. Et ils étaient une cinquantaine sur un petit périmètre».
Les enfants sorciers du Congo
Un an plus tard, Basile rencontre John Atta Tama, un ami de longue devenu psychologue au Samu social au Congo. Celui-ci préparait une thèse de doctorat sur les enfants sorciers du Congo à l’université de Nantes. C’est alors qu’il prend la mesure de l’ampleur du phénomène.
«Ces enfants, souvent issus de familles recomposés, souvent maladifs, sont accusés de tous les maux» poursuit Basile. «Ils sont un poids mort, une bouche de trop à nourrir, une menace pour les autres enfants légitimes, pour leur héritage. Bref, ils incarnent le mal et sont maltraités. Parfois, ils préfèrent préfèrent partir d’eux-mêmes pour s’extirper de ce contexte destructeur».
Les prophètes de malheur
Mais le plus scandaleux pour Basile, c’est l’utilisation cynique de ces enfants indésirables par des prêcheurs peu scrupuleux, pour la plupart des pasteurs d’une nouvelle église charismatique.
«Ces faux prophètes vont voir les parents en leur proposant d’ôter le mauvais esprit de leur enfant indésirables, lors de séances de délivrance collective. Pour eux, c’est un excellent fonds de commerce car évidemment ces cérémonies ne sont jamais gratuites. Et pour l’enfant, c’est un réel traumatisme car on lui dit qu’il est possédé et que c’est trop dur à vivre par leurs parents».
Une fois dans la rue, ces enfants rejetés, se mettent au service leur nouveau protecteur qui leur demande d’aller faire l’aumône pour renflouer les caisses de l’église. Au Sénégal, ce sont des imams qui jouent ce mauvais rôle ce qui fait dire à Basile que la religion entretient le phénomène.
La vie en bande et ses violences
Dans son spectacle soutenu par le Grand T, le togolais montre aussi la vie de ces pestiférés, vivant en bandes, avec leurs propres codes et modes de fonctionnement. Victimes de violences familiales, ils continuent à exercer envers eux-mêmes leur pouvoir de nuisance.
«Dans la rue, une bande apporte une forme de protection. On n’est plus seul» constate Basile Yawanké. «Mais la bande peut être aussi destructrice. Les nouveaux arrivants sont bizutés et on leur fait bien comprendre qui est le chef. Les abus physiques et sexuels sont une réalité et ils n’épargnent ni les garçons, ni les filles».
Hiboux, sorciers, même combat
Reste une interrogation : Pourquoi avoir parlé des enfants hiboux et non pas des enfants sorciers ? Pour l’auteur de cette pièce, il n’y pas de différence.
«En Afrique, le sorcier est un homme puissant» précise Basile. «Il vit souvent la nuit et il a ce pouvoir surnaturel de voler dans les airs et d’aller guérir les possédés en une nuit et à des centaines de kilomètres de chez lui. Le hibou, c’est pareil. C’est un oiseau nocturne qui fait peur, annonciateur de mauvaises nouvelles. Ne dit-on pas de lui que c’est un oiseau de mauvais augure».
Donner la parole
Avec ce spectacle haut en couleur, Basile Yawanké, comédien par ailleurs, a voulu dénoncer un phénomène aux accents très africains mais présent partout dans le monde et souvent tu.
«La voix des ses enfants, on ne l’entend quasiment jamais. J’ai eu envie de leur donner la parole en effectuant un travail artistique. Je ne prétends pas trouver la solution pour régler leur problème. Mais au moins de faire réfléchir sur ces monstres que la société a créée».
Les séances
Créé à Limoges aux Francophonies, jouée en Guyane, c’est aujourd’hui à Nantes que « Les enfants hiboux ou les petites ombres de nuit » se produisent. Séances à 20h au Théâtre Universitaire, du 1er au 4 février.
Un spectacle soutenu par le Grand T et le TU-Nantes et réalisé avec la compagnie Éclat des Os et l’Ensemble Artistique Fako.