20 décembre 2022

Doulon-Gohards : le projet d’urbanisation d’anciennes terres agricoles divise

Validé par la préfecture en mars dernier, le projet Doulon-Gohards est contesté par des collectifs en raison de l’impact de l’artificialisation des terres sur l’environnement.

Doulon-Gohards : le projet d’urbanisation d’anciennes terres agricoles divise

20 Déc 2022

Validé par la préfecture en mars dernier, le projet Doulon-Gohards est contesté par des collectifs en raison de l’impact de l’artificialisation des terres sur l’environnement.

Cet article est la 2ème partie du dossier : Le projet d’urbanisation Doulon-Gohards est-il écologique ?

La cohérence des plans d’aménagement de Nantes Métropole contestée par des collectifs

C’est un projet qui ne convainc pas un certain nombre de riverain·es, ainsi que les collectifs qui y sont opposés. C’est le cas notamment de « Nantes en Commun·e·s« , un mouvement de réappropriation de la ville par ses habitant·e·s. « Nantes Métropole construit plus de logements que l’objectif déjà haut qu’elle s’est elle-même fixé (objectif de 6 000 logements par an) dépassé depuis plusieurs années », ont-iels soutenu. Iels dénoncent notamment le fait que ces mesures n’ont pas permis de faire baisser les prix des logements à Nantes, ni à de jeunes adultes nantais·es d’acheter et continuer d’habiter à Nantes, ni aux personnes à la rue d’avoir un toit au-dessus de leur tête.

« Avant de construire des logements sociaux neufs sur des zones naturelles d’autres solutions sont possibles. »

« Nantes en Commun·e·s » reconnaît le besoin de logements sociaux dans la ville. Toutefois, «avant de construire des logements sociaux neufs sur des zones naturelles d’autres solutions sont possibles » : iels mettent en avant des dispositifs permettant l’accession, pour les plus précaires, à des logements à loyers modérés : ce sont les dispositifs PLAI et PLUS. « Elle [la métropole] peut refuser l’augmentation des surfaces commerciales et si les surfaces sont déjà artificialisés, préférer y installer des logements sociaux en rendant la zone plus agréable à vivre (comme à Paridis où 42 000m² de zone commerciale, de loisirs et quelques logements vont être construits) « , argumentent les membres du mouvement. D’ici 2030, la zone d’activité commerciale Paridis accueillera 25000 m² de commerces supplémentaires, contre 370 nouveaux logements. Nantes en Commun·e·s dénonce également le projet immobilier qui se tiendra à la place de l’ancien collège Notre-Dame du Bon Conseil : « toute la zone va être détruite pour des commerces et du logement sans qu’aucun logement social n’y soit prévu. »

Une logique de concentration urbaine…avec artificialisation !

Olivier Segur, Gaëtan Foulon et Morgane Petiteau, membres du collectif « Sauvons les Gohards ». Crédits photo : Audrey Guillamet

Nantes Métropole veut lutter contre l’étalement urbain, c’est-à-dire la progression des surfaces urbanisées à la périphérie des villes. Elle concerne le plus souvent des zones peu ou pas desservies par les transports en commun, contraignant à l’usage de la voiture individuelle.

La densification urbaine vise à concentrer la population dans les villes, afin de lutter contre l’artificialisation des territoires périurbains. Le principe est simple : construire sur des espaces déjà artificialisés. Or ici, le projet d’urbanisation s’installe sur d’anciennes terres maraîchères préservées cloisonnées entre des espaces urbains. Le projet a donc un statut particulier : située dans l’enclave urbaine, la zone concernée a tous les dispositifs urbains à sa disposition : bus, gare, rocade. Ce qui peut laisser penser qu’il s’agit de densification. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un projet d’artificialisation de terres préservées jusqu’à maintenant. D’autant plus que sur 180 hectares d’anciennes terres maraîchères, seuls 15 resteront cultivées. Les opposant·es voient ce projet comme un potentiel perdu pour ces territoires.

Rencontré·es sur place, trois membres du collectif « Sauvons les Gohards », Morgane Petiteau, Gaëtan Foulon et Olivier Segur, font également part de leur désaccord avec la cohérence globale des politiques de logement menées par la ville. « On était à la fête paysanne, on en a profité pour parler aux gens », rapporte Morgane Petiteau. Les militant·es s’opposent à l’artificialisation de ces anciennes terres agricoles. Selon le dernier rapport du GIEC Pays de la Loire, « la superficie des terres artificialisées a presque doublé entre 1982 et 2018 ». Ainsi, 15 % du territoire est artificialisé en Loire-Atlantique, contre 9 % dans toute la France métropolitaine selon l’Insee.

Dans la continuité du jardin des ronces en 2016, le collectif «Sauvons les Gohards» s’est mobilisé contre le projet à travers plusieurs actions. «Les gens en ont ras le bol de la bétonisation», rapportent les membres du collectif qui déplorent par ailleurs la perte de terres agricoles encore fertiles au cœur de Nantes : «Peu importe ce qu’on construit de vert et dans quel matériau, ces terres ne seront plus cultivables. » Pour protester, différentes actions non violentes ont été organisées par le collectif : « On a planté un potager qui a été arraché », témoignent ensemble les militant·es. Soutenu·es par des habitants du quartier, Nantes en commun et des mouvements écologistes tels que Youth for climate, iels ont organisé leur propre déambulation en juin, puis le 1er octobre dernier. Pas moins de 400 personnes ont défilé, malgré la pluie, pour protester contre le projet d’urbanisation de ces terres.

« Au-delà de l’écologie, entasser des gens, socialement, ça ne marche pas. Ça n’intègre pas les gens, ces projets de masse. »

Avec près de 319000 habitants, dont +9000 nouveaux habitants par an, la ville poursuit une politique de densification. À Nantes, les exigences du PLU (plan local d’urbanisme) sont loin de faire l’unanimité. « Nous ce qu’on critique c’est que le projet participe à la gentrification. La métropole dit qu’il faut loger des gens, alors que c’est eux qui créent le problème », expliquent les militant·es de “Sauvons les Gohards”. Iels poursuivent : « Au-delà de l’écologie, entasser des gens, socialement, ça ne marche pas. Ça n’intègre pas les gens, ces projets de masse ». Les actions du collectif sont encouragées par un certain nombre de riverain·es, inquiet·es des conséquences que le projet pourrait avoir sur cet environnement ainsi que sur leur cadre de vie.

La zone entourant le ruisseau des Gohards est par ailleurs considérée comme un secteur de promenade par les habitant·es des alentours. Nombreux·ses sont les riverain·es qui viennent y flâner ou promener leur chien. « On y a même croisé une personne qui ramassait de quoi faire de la vannerie. Le week-end, ici, c’est une véritable autoroute », affirment les militant·es qui souhaitent que cet espace de biodiversité et de détente soit préservé de l’habitat résidentiel.

Préserver l’environnement est un enjeu de taille pour les villes, d’autant plus quand le nombre de résident·es ne cesse d’augmenter. En effet, en France, l’extension urbaine, surtout liée à l’habitat, est la première cause de l’artificialisation des sols. Nantes Métropole assume le choix de répondre à la demande croissante de logements en accueillant un maximum de ces nouveaux et nouvelles habitant·es sur son territoire. Pour ce faire, la politique principale mise en œuvre est celle de la densification. Cette dernière vise à lutter contre l’étalement urbain en préservant les terres en périphérie des villes, mais le cas de Doulon-Gohards est particulier car comme nous l’avons vu il s’agit d’anciennes terres agricoles, et non pas d’un secteur déjà artificialisé.

Deux visions de l’écologie qui s’affrontent

Le projet d’extension du quartier de Doulon cristallise donc les tensions entre deux visions opposées de l’écologie. D’une part, celle, pragmatique, qui consiste à construire davantage de logements en échange d’une réduction de l’impact carbone liée aux déplacements, puisque de toute façon, les futur·es résident·es, en l’absence d’offre résidentielle sur Nantes et ses alentours proches, seront contraint·es d’habiter plus loin, donc d’opter, sous contrainte, pour des mobilités plus polluantes comme la voiture individuelle. Mais cette solution est aussi court-termiste : quand bien même on concentre de plus en plus de personnes sur le territoire, jusqu’à quand la ville de Nantes ainsi que sa métropole pourront-elles supporter la hausse croissante de leur population?

D’autre part, il existe une écologie sensible, celle qui, théorisée par Jacques Tassin, consiste à penser l’environnement comme une part de nous-même et de notre histoire : les collectifs militants, ainsi que certain·es riverain·es et ancien·nes habitant·es de Nantes, sont attaché·es à ces terres non seulement parce qu’elles sont un espace de détente, de loisir et de promenade qui abrite un certain nombre d’espèces animales et végétales, parce qu’elles font partie intégrante de l’histoire Nantaise, mais aussi parce qu’elles constituent un réservoir, même si dégradé, de biodiversité. Les liens entre artificialisation et réchauffement climatique rendent difficilement acceptable le fait de porter atteinte a ce territoire en l’artificialisant, même en partie. De ce point de vue, les transformer en espaces résidentiels est perçu comme un affront par certain·es habitant·es, ainsi que par des collectifs militants. Cette écologie est donc aussi pragmatique : au-delà de l’impact carbone, elle prend en compte les intérêts non-humains sur le long terme, mais ne propose pas de solution à l’épineuse question du logement.

Un recours a été déposé par deux associations contre le projet. Nous en parlerons plus en détails dans notre prochain article du dossier, qui traitera des impacts du projet sur la biodiversité et des stratégies de compensation environnementales adoptées par la Métropole.

Diplômée du Centre Nantais de Journalisme, j'écris principalement sur l'écologie.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017