9 octobre 2018

Durable

Le Nouveau Studio Théâtre a fait sa crémaillère mardi 25 septembre, invitant le voisinage, proposant un verre, une visite des lieux, de répondre aux questions et présenter le projet et l'agenda culturel.

Durable

09 Oct 2018

Le Nouveau Studio Théâtre a fait sa crémaillère mardi 25 septembre, invitant le voisinage, proposant un verre, une visite des lieux, de répondre aux questions et présenter le projet et l'agenda culturel.

« C’est un espace de travail et c’est déjà énorme. »
« Ce sont par exemple des gens que je n’aurais jamais rencontrés avant donc ça offre une émulation intellectuelle. »
« On est un théâtre où il va se passer tout le temps des choses »

[aesop_image imgwidth= »40% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/10/Affiche.jpg » credit= »Nouveau studio théâtre » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Une soirée voisinage, dans un théâtre qui, à lui seul, montre sa façade et franchit la ligne de courtoisie avec un geste vers l’autre. Une façade tatouée comme un Maori et pas de signe qui donne son nom. Peut-être que le Nouveau Studio Théâtre ne se veut pas identitaire, unique, il se considère peut-être comme un pluriel, ou comme un théâtre sans nom mais avec un grand prénom (sans particule) qui lui scie adorablement la peau ; Nouveau Studio Théâtre. À ce stade je pourrais envisager de lui ôter les majuscules pour qu’il se sente à l’aise, fondu dans la masse du monde, ce serait un geste pour lui rendre le pareil, un peu comme on enlève le manteau d’une personne que l’on reçoit. Le monde comprend : d’autres, certains visages, des corps mais loin, la vie de chaque jour.

Entrer à l’intérieur du nouveau studio théâtre c’est avant tout accepter de passer outre nos inquiétudes, c’est une façade vivante pour une activité à son égal. Je trouve la proposition de la peinture pour la façade assez belle, je veux dire qu’elle me semble aller à l’opposé d’un minimalisme austère qui place le contenu sur un socle. Peut-être pour essayer de formuler un acte volontaire de mauvais goût, ou de mauvais genre qui me semble approprié aujourd’hui. C’est une contre façade qui peut me faire sentir que c’est encore possible (se maquiller un peu trop).

Ma rencontre avec les habitants du nouveau studio théâtre s’est simplement bien passée. J’ai été généreusement accueilli par Clémence Llodra (j’insiste) qui nous a (avec Dany) décrit les différentes activités du lieu, avec les différentes missions qu’elle se donne pour deux ans. C’est-à-dire créer une émulsion de spectacles, de performances, de danses, de soirées et de conférences de choses (pour le moins surprenantes avec les alambic-cocktails). Elle rajoute (et c’est important) que deux ans c’est court et qu’il ne faut pas perdre un objectif qu’est de maintenir cohérent les résidences et ses résidents qui ont l’opportunité d’avoir cet espace de travail à se répartir dans l’agenda. C’est peut-être honnête. Un théâtre qui propose des pièces artistiques, des résidences de créations, des cartes blanches etc. (parce que je ne connais pas toute la programmation).

Les habitants sont le nerf du voisinage, je présente les trois compagnies habitantes.

Alambic’théâtre fondée à Nantes en 2005 par Norman suivi d’Anthony et Mickaël qui explore les phénomènes culturels et sociaux marquants de notre monde contemporain. Privilégiant la déconstruction de la forme théâtrale et les mélanges des genres, le travail de la compagnie s’axe sur la confrontation entre différentes sources textuelles (littératures, sociologie, chansons, archives, témoignages…) et l’écriture au plateau avec les comédiens, dans une volonté de créer des formes énergiques et sensibles, aux thèmes évocateurs pour toutes les générations.
Le collectif Allogène (qui m’a été présenté par Marc Têtedoie, danseur) est créé en 2004, est né de l’association du vidéaste et réalisateur Arnaud Van Audenhove et de la danseuse et chorégraphe Élise Lerat. « Cet espace nous le dédions à la recherche artistique, nous le souhaitons comme un lieu d’échanges et de construction en laissant circuler nos réflexions. » Il s’agit d’une structure de production et de diffusion axée autour de deux activités principales de recherche : la création de pièces de danse contemporaine et la création de films (fiction, documentaire, institutionnel). Des formes singulières émergent à chaque rencontre entre artistes.
Grosse Théâtre compagnie, née sous l’impulsion d’Hervé Guilloteau (ref interview), crée et produit des spectacles de théâtre depuis vingt ans. Des années synonymes de croisements entre artistes, auteurs, plasticiens, musiciens. Expériences éphémères, parfois. Rencontres et partenariats durables, souvent. La compagnie a ainsi choisi d’apporter son soutien à trois jeunes metteur.e.s en scène rencontrés sur son parcours : Tanguy Malik Bordage, Marine de Missolz et Clément Pascaud.

« Il y a plusieurs moyens-âge » dit Dany, je trouve ça intéressant…

« Il y a plusieurs moyens-âge » dit Dany, je trouve ça intéressant, chacun donne sa propre Histoire, on fait circuler nos respirations, peut-être avec emphase et on partage de manière plus ou moins approximative entre nous et on ne dit pas que nous avons besoin d’un rendez-vous chez l’ophtalmo car on a la vue qui a encore baissé. Dans cette soirée aux abords ludiques avec une présentation des lieux par Marie Chapelain, les conversations s’animent, le théâtre s’assombrit pour devenir un salon chaleureux, humain, où l’on ne se présente plus et l’on prend part de ce qui se passe de près ou pas de près. Les bavardages à bâtons rompus et son laisser-aller sont justement peut-être la part infiniment sérieuse de ce lieu. C’est du moins ce que j’imagine, rêve en quelque sorte. Dans le nouveau studio théâtre on a le droit de venir fatigué (c’est toujours ce que je veux penser), on a le droit de se faire payer un verre en échange d’un match commun (même fatigué), on peut venir et pas être là, on peut se croiser du regard et être ensemble sans être ensemble. Le regard est aussi un voisin qui communique de loin sa plus grande faiblesse : sa timidité. Mardi soir, le théâtre est devenu un carrefour sans feu, où l’on peut faire marche arrière. Comme dit Stéphane Bouquet Un monde existe, il y a un peuple : ou au moins il y a l’espoir d’un peuple, d’une affluence faite de gens et de passé et de mémoire contenus dans des livres et des fois dans des corps vivants : et on monterait dedans, on serait compris dans le mouvement général. Et c’est le monde. Nous sommes les voisins les uns des autres, nos vies sont des solitudes avec intersections plus ou moins grandes, plutôt moins que plus en général.

En ce moment au nouveau studio théâtre c’est Tony à l’affiche du 2 au 6 octobre. Je recommande fortement !

 

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/10/2-salle.jpg » credit= »Kevin Martos » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Interviews

Hervé Guilloteau est metteur en scène de la compagnie Grosse Théâtre. Il témoigne dans ce lieu où les créations se rencontrent et les compagnies s’associent pour faire vivre le théâtre nantais. Il fait part de son avis sur le projet mais porte également une réflexion sur le secteur.

« …ça offre une émulation intellectuelle.»

Fragil : Pourquoi le nom Grosse théâtre ?
Hervé Guilloteau : C’est par rapport à la professionnalisation du métier. J’ai commencé à des moments où les lieux s’appelaient l’espace de vie, ou l’espace 44 par exemple. Des noms aux connotations politiques. Puis des gens sont devenus des responsables de boutique, ils ont eu des envies commerciales et ont appelé des communicants pour dire comment on fait ? Puisque c’est un peu ringard de s’appeler espace 44. Donc des tas de gens étaient payés pour réfléchir à créer de la singularité autour des noms. Moi j’avais une compagnie qui s’appelait meta jupe à l’époque et je voulais changer de nom et j’ai dit alors ça va s’appeler grosse théâtre.

Fragil : Que pensez-vous de cet espace mis à votre disposition ?
Hervé Guilloteau : C’est super d’avoir des lieux pour travailler. Mais après je n’ai pas l’ambition de nommer le truc. Par exemple j’aimerais que ça soit repeint d’une autre façon mais si ça se fait pas je m’en fous un peu parce que ce n’est pas là que je vais faire ma vie non plus (rire).

Fragil : Que vous inspire cette rencontre de trois compagnies composant des choses différentes ?
Hervé Guilloteau : C’est génial. Ce sont par exemple des gens que je n’aurais jamais rencontrés avant donc ça offre une émulation intellectuelle.

Elise Lerat et son Collectif Allogène font justement dans la pluridisciplinarité.
Danseuse et chorégraphe, elle a co-fondé avec le réalisateur Arnaud Van Audenhove ce collectif singulier. Elise Lerat nous dévoile cette initiative portant surtout la création de films et de pièces de danse contemporaine.

« On est dans un échange, une circulation de pensées…»

Fragil : Vous êtes à l’origine de la fondation du collectif allogène, expliquez-nous son historique.
Elise Lerat : À l’origine je suis chorégraphe et ça a été crée avec un réalisateur (Arnaud Van Audenhove). Après il y a Marc Têtedoie qui est aussi danseur et chorégraphe qui s’est joint à nous, ainsi que plein d’artistes . En fait, on a le nom de collectif au départ, mais c’est un bien grand mot, c’est aussi histoire de dire que l’on est dans un échange, une circulation des pensées, des idées et de créer ensemble.

Fragil : Comment êtes-vous entrés dans ce projet ?
Elise Lerat : La ville de Nantes a demandé à plein de compagnies, environ 25-30, de mener une réflexion sur l’avenir de ce lieu. On a élaboré tous ensemble des méthodes, des envies pour ce lieu.  La ville de Nantes a alors élaboré un projet à l’issue de cette consultation que toutes les compagnies ont accepté et ils ont désigné trois compagnies pour être la première poule pour deux ans et demi afin de cogérer ce lieu et tenter des choses.

Elise Lerat : Que vous apporte ce lieu ?
Fragil : Cela permet d’avoir un lieu de travail et déjà c’est énorme. D’avoir une émulation car nous sommes plusieurs artistes. D’avoir une réflexion sur ce que l’on fait, sur la possibilité assez grande de reprendre des pièces, de travailler et de pouvoir exercer notre profession finalement.  On a une réflexion sur ce que l’on fait de ce lieu, et quel public on y amène également.  Et c’est super d’être plusieurs et pas tout seul.

Norman Barreau-Gely est quant à lui comédien et directeur artistique pour Alambic’Théâtre.
La compagnie fait également partie des trois retenues pour investir le lieu du nouveau studio théâtre dans le quartier Saint-Félix.

« faire du théâtre avec ce qui n’en ait pas forcément. »

Fragil : Présentez-nous Alambic’Théâtre.
Norman Barreau-Gely : On a une compagnie qui existe depuis une dizaine d’années à Nantes, un peu protéiforme. Depuis 5-6 ans on s’est recentré autour de trois leaders de la compagnie, Anthony Breurec, Mickaël Freslon et moi. À l’intérieur de ça, Anthony Breurec fait beaucoup de mise en scène, même si on est un peu électron libre, on essaie un peu de mélanger.

Fragil : Qu’est-ce qui pourrait vous définir au regard de vos différentes productions ?
Norman Barreau-Gely : Sur ce que l’on fait en ce moment, puisque peut-être dans dix ans on fera autre chose, c’est faire du théâtre avec ce qui n’en ait pas forcément. Par exemple, je fais du théâtre avec des archives. Le précédent spectacle qui s’appelait écho qu’Anthony Breurec avait mis en scène, traitait du rapport entre les fans et les idoles. Il avait monté tout un corpus de texte dont aucun ne venait du théâtre. C’était soit de la parole réelle et du témoignage, soit de la parole mythologique, de la philo ou encore de la sociologie. Puis le fait d’avoir des projets comme les alambics cocktails où l’on ouvre la porte à des gens en one-shot, cela nous caractérise bien.

Fragil : Avez-vous envie de créer une passerelle avec les habitants du quartier ?
Norman Barreau-Gely : Oui on aimerait beaucoup. Ça fait six mois qu’on est là pour mettre en branle le lieu, pour l’instant ça a été plutôt conflictuel mais on essaie de revirer de bord d’où une telle initiative ce soir.
Et puis par ce que l’on est un théâtre de quartier. Donc avant d’aller chercher le public il faut se poser la question de ce qui nous entoure. On est un théâtre où il va se passer tout le temps des choses, où il y a toujours du passage donc si un habitant du quartier se demande ce qu’il se passe ici et vient boire un café c’est génial. Après il y a aussi des projets participatifs comme les chansons de l’espace, le projet replay du collectif allogène, donc si on peut arriver à attirer des gens du quartier tant mieux.

Entretiens réalisés par Dany Tougeron

C'est un exercice pour chercher à mieux me connaître, n'en doutez pas, ce que je propose m'est plus destiné, mais le jour où vous souhaitez que l'on dîne ensemble, j'aurais réussi mon pari.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017