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28 octobre 2016

Echos-graphie du Proche-Orient : l’imagerie d’un monde pluriel et culturel

La quatrième édition du festival « Échos, des lectures qui résonnent », s’est déroulée du 13 au 16 octobre 2016 au Château des Ducs de Bretagne. Cette année, le festival a sondé la relation riche et complexe que nous avons avec le Proche-Orient d’hier et d’aujourd’hui. Il a convié des historiens, des écrivains et des comédiens, venant d’ici et de là-bas. L’invitation au voyage dans le temps et l’espace était donc totale durant ces 4 jours, particulièrement dans ce lieu chargé d’histoire…

Echos-graphie du Proche-Orient : l’imagerie d’un monde pluriel et culturel

28 Oct 2016

La quatrième édition du festival « Échos, des lectures qui résonnent », s’est déroulée du 13 au 16 octobre 2016 au Château des Ducs de Bretagne. Cette année, le festival a sondé la relation riche et complexe que nous avons avec le Proche-Orient d’hier et d’aujourd’hui. Il a convié des historiens, des écrivains et des comédiens, venant d’ici et de là-bas. L’invitation au voyage dans le temps et l’espace était donc totale durant ces 4 jours, particulièrement dans ce lieu chargé d’histoire…

Jeudi 13 octobre, 20h

Les grilles sont fermées et il faut montrer patte blanche au vigile pour pouvoir s’introduire dans le château. Le sésame qui ouvre les portes de cette société secrète est «Échos, des lectures qui résonnent ». Me voilà donc à l’intérieur, je me dirige vers une porte dans le fond de la cour. Elle s’ouvre sur une librairie improvisée contenant les livres des auteurs invités et d’autres sur le thème du Proche-Orient. Une autre porte mène à la salle d’exposition qui accueille le projet de l’écrivain et photographe Christos Chryssopoulos, Disjonction. Son exposition est composée d’un ensemble de photos et d’écrits sur Athènes. Elle est née lors des déambulations incessantes de l’écrivain dans sa ville ; il y montre Athènes dans sa vérité crue, sans aucune complaisance et loin des clichés touristiques. La foule s’est amassée dans cette salle car la cérémonie d’ouverture, avec petits fours orientaux et boissons sucrées délicieuses, s’y est déroulée et se conclut dans une ambiance chaleureuse.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/conf-Reynolds.jpg » credit= »Echos, des lectures qui résonnent. Château des ducs de Bretagne. Nantes (Loire-Atlantique) ©Matthieu Chauveau/LVAN » alt= »Conférence : « Une histoire courte des relations entre musulmans et chrétiens aux premiers siècles de l’Islam » par le professeur Gabriel Said Reynolds » align= »center » lightbox= »on » caption= »Conférence : « Une histoire courte des relations entre musulmans et chrétiens aux premiers siècles de l’Islam » par le professeur Gabriel Said Reynolds » captionposition= »left »]

Conférence : « Une histoire courte des relations entre musulmans et chrétiens aux premiers siècles de l’Islam » par le professeur Gabriel Said Reynolds

Maintenant, place aux choses sérieuses, la conférence inaugurale de Gabriel Said Reynolds, professeur en islamologie et théologie aux États-Unis, va commencer. Nous montons deux étages interminables pour accéder à cette salle où toutes les conférences s’enchaîneront durant le week-end. Le professeur américain semble intimidé par les auteurs qui lui succéderont, et s’excuse d’avance de son accent « american » sauvage et du ton scolaire de sa conférence.

Gabriel Said Reynolds nous explique méthodiquement que musulmans et chrétiens se côtoyèrent beaucoup durant ces premiers siècles car ils étaient voisins dans la région autour de La Mecque, ville de naissance du prophète Mahomet. Cette promiscuité explique pourquoi le Coran réfute autant le christianisme. Dès lors, les désaccords sur les textes du Coran et de la Bible sont nombreux. Philosophes et théologiens s’opposent. Mais finalement le Coran est plutôt clément envers les chrétiens, hormis quelques textes polémiques. Durant les conquêtes musulmanes qui vont s’enchaîner lors de ces premiers siècles, les chrétiens resteront la plupart du temps relativement libres. Les deux communautés adoptent le vivre-ensemble, et même en temps de conquête, ils se tolèrent. Les musulmans laissent aux chrétiens la liberté de culte, ne les forcent pas à la conversion mais leur imposent un impôt et ne veulent pas de nouvelles constructions chrétiennes. Pour conclure, Gabriel Said Reynolds souligne le fait que les djihads actuels de groupuscules comme Daech n’ont rien à voir avec ces premières guerres de religion. Ces derniers s’inspirent selon lui de la vie de Mahomet qui fut un guerrier plutôt que des textes du Coran.

Vendredi 14 octobre, 18h

Lecture-entretien :  Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé

Toujours cette même salle surchauffée, elle est aujourd’hui pleine à craquer. Toutes ces personnes sont pressées d’entendre Laurent Gaudé, l’écrivain surdoué aux multiples prix prestigieux, très attendu dans le cadre du festival.

Il arrive sobrement vêtu, quelque peu décoiffé. Il semble pressé et il se plonge rapidement dans une lecture énergique de passages de son dernier livre : Écoutez nos défaites.
Le récit se déroule à notre époque, et les deux protagonistes, un agent des services de renseignements français et une archéologue irakienne, font des allers-retours entre Orient et Occident. Ils sont présents aux endroits où le monde se disloque : Syrie, Irak, Afghanistan… et tous deux été confrontés aux ravages de la guerre, humains comme matériels.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/Laurent-Gaudé.jpg » credit= »Echos, des lectures qui résonnent. Château des ducs de Bretagne. Nantes (Loire-Atlantique) ©Matthieu Chauveau/LVAN » alt= »Laurent Gaudé, l’écrivain surdoué aux multiples prix prestigieux, est très attendu dans le cadre du festival » align= »center » lightbox= »on » caption= »Laurent Gaudé, l’écrivain surdoué aux multiples prix prestigieux, est très attendu dans le cadre du festival » captionposition= »left »]

Les personnages évoquent alors leurs défaites intimes au sein de ces combats. Ils ont vu les gens se faire massacrer mais aussi l’histoire s’effacer devant leurs yeux lorsque les combattants de Daech se sont attaqués aux œuvres antiques.
En parallèle, Laurent Gaudé nous raconte également d’autres grandes batailles de l’histoire avec le regard de leurs protagonistes : Hannibal, Hailé Sélassié et le Général Grant. En effet, l’histoire se répète sans tirer les leçons du passé, l’effroyable recommence toujours. Les guerres antiques sont différentes de celles d’aujourd’hui mais la souffrance des combattants, vaincus comme vainqueurs, est toujours présente. L’auteur nous explique que, pour lui, l’écriture comme l’archéologie sauvent l’histoire de l’oubli.
Dans Écoutez nos défaites, l’agent du service des renseignements rencontre le grand poète palestinien Mahmoud Darwich qui lui dit :

[aesop_quote type= »pull » background= »#222222″ text= »#ffffff » height= »auto » align= »center » size= »1″ quote= »Ne laissez pas le monde vous voler les mots » cite= »Mahmoud Darwich » parallax= »off » direction= »left »]

Et c’est ce à quoi s’emploie Laurent Gaudé dans ce récit romanesque, il fait résonner ces défaites muettes avec ses mots à lui, prend possession de l’histoire et nous laisse à notre propre compréhension du monde.

Samedi 15 octobre 11h30

Regards croisés d’artistes « le Proche-Orient et nous » : Wajdi Mouawad et Christos Chryssopoulos

Je suis heureuse de retrouver l’auteur, metteur en scène et comédien Wajdi Mouawad. Libanais d’origine, il a vécu 6 ans à Nantes avant de prendre la direction du Théâtre de la Colline à Paris et, en tant qu’artiste associé au Grand T, y a joué Sophocle les 15 et 16 octobre derniers dans la pièce Des Mourants. Il dialogue ici, dans l’antre du Château des Ducs de Bretagne, avec Christos Chryssopoulos , écrivain grec très prolifique de la nouvelle génération, qui est aussi photographe. Il connaît aussi bien notre région car il y a participé à plusieurs résidences d’écrivains, notamment à Saint-Nazaire.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/16112014-AT2B3088.jpg » credit= »Antoine Galtier » alt= »échos » align= »center » lightbox= »on » caption= »La rencontre entre Wadji Mouawed et Christos Chryssopoulos est l’occasion de croiser leurs regards sur la relation Orient-Occident » captionposition= »left »]

 

 

Une connivence naît rapidement entre eux, ils se trouvent de nombreux points communs dont la flânerie inspiratrice dans les grandes villes, à Athènes en particulier. A tel point que Wajdi Mouawad, quelque peu interloqué, nous dit que Christos Chryssopoulos lui semble plus proche de lui que les membres de sa propre famille. L’entretien va d’ailleurs rapidement s’orienter sur ces déambulations dans les grandes villes. Chrystos Chryssopoulos nous dit qu’il voit la ville comme un palimpseste, il y a plusieurs couches et selon l’histoire, on en a sa propre perception. Wajdi Mouawad voit plutôt la ville comme un chant car lors de ses déambulations, il ne regarde pas, il écoute.

[aesop_quote type= »pull » background= »#222222″ text= »#ffffff » height= »auto » align= »center » size= »1″ quote= »Le rythme de ma marche finit par soulever des questions à la mesure du souffle de mon coeur. Je prends le pouls de la ville. » cite= »Wajdi Mouawad » parallax= »off » direction= »left »]

 

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/16112014-AT2B3083.jpg » credit= »Antoine Galtier » alt= »sonor9″ align= »center » lightbox= »on » caption= »Wajdi Mouawad voit plutôt la ville comme un chant car lors de ses déambulations, il ne regarde pas, il écoute » captionposition= »left »]

 

Il enregistre les bruits de la ville sur un magnétophone, cela lui permet de retrouver l’ambiance de Beyrouth à Montréal ou à Paris. Il aime travailler avec pour bruit de fond ces villes en mouvement. Pour lui, Athènes est la ville que Beyrouth aurait été s’il n’y avait pas eu la guerre. Il l’a d’ailleurs photographiée, et comme Christos Chryssopoulos, ses photos montrent une Athènes en crise, une Athènes désordonnée, une Athènes entre Orient et Occident. Il est vrai que la Grèce est la porte de l’Occident pour de nombreux migrants. Tous deux parlent du désenchantement du monde à travers leur travail, au Proche-Orient comme en Europe. Pour conclure Wajdi Mouawad nous invite à aller prendre notre temps, nous ennuyer, suivre les camions-poubelles dans ces grandes villes car ce n’est que là que nous aurons le sentiment d’avoir appris à les connaître.

Samedi 15 octobre, 20h

Lecture : Tout est halluciné de Hyam Yared, suivie d’un entretien avec Nicolas Vatin

Nous sommes peu nombreux à avoir patienté jusqu’à 20h, l’ambiance de la salle devient alors plus intimiste et propice aux confidences.
La comédienne Elizabeth Masse nous lit d’une manière très investie des extraits du dernier roman de Hyam Yared, Tout est halluciné.
L’entretien qui suit se déroule entre l’auteure, la Libanaise francophone Hyam Yared, et l’historien spécialiste de l’Empire ottoman Nicolas Vatin. Dans ce roman, le père de l’héroïne est un Libanais émigré en Égypte, d’origine grecque orthodoxe, et arabophobe. Il fait partie de cette chrétienté d’Orient qui regrette un Empire ottoman fantasmé, qu’il voudrait réinstaurer. Il pense avoir une appartenance byzantine d’où une logorrhée sans fin sur son délire identitaire. Un délire sur l’histoire qu’il refait à sa sauce, et qu’il inflige à sa fille. Le but étant de lui masquer la réalité, notamment sur les origines de sa mère disparue, qui est un sujet tabou. Mais elle n’est pas dupe.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/Hyam-Yared.jpg » credit= »Echos, des lectures qui résonnent. Château des ducs de Bretagne. Nantes (Loire-Atlantique) ©Matthieu Chauveau/LVAN » alt= »La comédienne Elizabeth Masse nous lit d’une manière très investie des extraits du dernier roman de Hyam Yared, Tout est halluciné » align= »center » lightbox= »on » caption= »La comédienne Elizabeth Masse nous lit d’une manière très investie des extraits du dernier roman de Hyam Yared, Tout est halluciné » captionposition= »left »]

 

[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »Certains anciens appellent encore Istanbul, la Constantinople occupée » parallax= »off » direction= »left »]

 

Hyam Yared nous raconte ce Liban où une pluralité de dogmes coexiste, certains Libanais vivant encore dans cette frénésie identitaire de nos jours. Les maronites et les grecs orthodoxes se trouvent tous une appartenance byzantine, certains anciens appellent encore Istanbul, la Constantinople occupéeEn effet les chrétiens d’Orient, ainsi que les juifs, avaient beaucoup de libertés sous l’Empire ottoman. Nicolas Vatin dit qu’il était plus facile d’être un bon orthodoxe sous le sultan que sous le pape. De nos jours, les versions de l’histoire du Liban sont variées, il y a des vides traumatiques liés à la guerre. Les manuels d’histoire des jeunes Libanais s’arrêtent à l’indépendance du Liban, soit 1943. Des générations vivent dans le déni de ces guerres et aujourd’hui, avec le conflit syrien, la situation est telle un volcan prêt à entrer en éruption.
Après ces sujets sérieux, Hyam Yared, très à l’aise dans cette ambiance intimiste et chaleureuse, se laisse aller à quelques confidences et nous livre des anecdotes cocasses sur son pays. Elle évoque même le sujet de son prochain livre qui est, je dois le dire… très alléchant ! Mais hélas pour vous, chers lecteurs, elle m’apostrophe à la fin de la conférence en me demandant de garder ces détails secrets. Il faudra donc patienter jusqu’à fin 2017 pour connaître cette histoire dont seuls quelques initiés de cette société secrète qu’est « Échos », ont eu la primeur.

Je quitte alors le château dans l’obscurité, les grilles se referment sur moi et je me demande déjà, impatiente, quel sera le thème de l’édition 2017.

Arpenteuse du bitume nantais, et de contrées plus nomades, Audrey est toujours à la recherche de nouveaux coups de cœur culturels. Elle travaille dans les Métiers du Livre car la littérature la nourrit et fait battre son cœur depuis toujours...

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017