29 mai 2024

En conférence à Nantes, des indépendantistes Kanaks remettent en contexte les récentes révoltes

Daniel Wéa, président des jeunes Kanak en France et Rock Haocas, coordinateur général du parti travailliste, étaient invités par le parti ouvrier indépendant afin mettre en lumière l'histoire de leur île et les raisons de son embrasement.

En conférence à Nantes, des indépendantistes Kanaks remettent en contexte les récentes révoltes

29 Mai 2024

Daniel Wéa, président des jeunes Kanak en France et Rock Haocas, coordinateur général du parti travailliste, étaient invités par le parti ouvrier indépendant afin mettre en lumière l'histoire de leur île et les raisons de son embrasement.

Jeudi 23 mai, le local du Parti ouvrier indépendant (POI) était bondé. Tellement bondé que des chaises supplémentaires ont dû être ressorties, et les dernier·ère·s arrivé·e·s ont eu du mal à s’installer. À l’appel du POI, de La France Insoumise, de la Fédération 44 de la Libre Pensée, du Mouvement des Jeunes Kanaks en France, du Cercle nantais du Marronnage et de l’association Insomnia, une conférence sur la situation en Nouvelle-Calédonie a été organisée. « Enfants du pays » ou métropolitains, tous étaient venu·e·s échanger sur les récentes révoltes de l’île. Baptiste, étudiant en droit, avoue : « Avant les émeutes, je n’étais même pas au courant de l’existence de ce peuple et du rôle de la France dans sa colonisation. »

Salle comble pour la conférence sur la Kanaky dans le local du POI. @ju_dcntz

Daniel Wéa, président des Jeunes Kanaks en France, et Rock Haocas, coordinateur général du Parti travailliste (un des principaux mouvements indépendantistes, ndlr), étaient invités à s’exprimer sur cette situation alarmante. « Le Caillou », comme ils l’appellent affectueusement, subit depuis plusieurs jours de violentes révoltes à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi sur le dégel du corps électoral.

Pour les deux hommes, « il est important de faire une traversée de l’histoire pour comprendre le contexte d’aujourd’hui et pourquoi le Kanak s’est mis debout pour défendre sa terre, son identité et demander son indépendance. »

 

Nidal, Jean Paul, Rock Hoacas, Daniel Wéa, les intervenants de la conférence. @ju_dcntz

 

« Tant que la question coloniale n’est pas réglée, on continuera à se rebeller »

Territoire passé sous commandement français en 1853, les intervenants rappellent les mots de Pierre Messmer, Premier ministre en 1972, dans une lettre : « À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »

Ces mots résument parfaitement la politique qui sera celle de la France. Pendant près d’un siècle, elle enverra au bagne des dizaines de milliers de prisonniers blancs « avec l’obligation de rester sur place en s’installant dans des fermes pénitentiaires, une fois la peine purgée », comme l’explique Jeanne Belanyi, directrice de l’Observatoire des Outre-mer de la Fondation Jean-Jaurès.

« Tant que la question coloniale n’est pas réglée, on continuera à se rebeller », prévient Daniel Wéa. Il ajoute : « Les Kanaks ont toujours été un peuple qui tendait la main à l’autre. En 1983, ça a été leur choix d’ouvrir le vote aux victimes de l’histoire (les déportés du bagne et les prisonniers politiques de la Commune, ndlr) et aux autres. »

Les accords de Nouméa, signés en 1998 et qui font suite à ceux de Matignon de 1988, ont permis d’éloigner la guerre civile et de maintenir une paix relative. Ces accords stipulent que seules les personnes inscrites sur la liste électorale générale en 1998 obtiendront le droit de vote aux élections locales, à condition de justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie.

Le passage en force de l’État sur le dégel du corps électoral ouvre la voie à des violences, en choisissant de s’imposer sur un dossier aux relents coloniaux. Les révoltes qui en résultent étaient prévisibles et évitables : « Depuis plus de six mois, la CCAT (cellule de coordination des actions de terrain, ndlr), composée de plusieurs structures de mouvances indépendantistes, s’est mobilisée pacifiquement jusqu’à la veille du vote. Autour du 13 avril, jusqu’à 60 000 personnes ont marché dans les rues de Nouméa », nous informe Rock Haocas.

 

Une dame partageant son soutien aux Kanaks à la fin de la conférence. @ju_dcntz

« Ne cédez pas, battez-vous. »

À la fin de la conférence, une dame d’une quarantaine d’années, guadeloupéenne, prend la parole d’un ton ému mais ferme : « La France dit que l’un des moyens pour mettre fin à la colonisation est la départementalisation. Nous l’avons vécue en 1948, ne l’acceptez pas, c’est un piège. Vous n’aurez jamais l’égalité des droits, vous serez toujours traités comme des sous-citoyens. La France est en train de faire un repli sur ses bases coloniales à cause de sa bourgeoisie qui ne veut pas partager les richesses et continuer à vous exploiter. Ce que vous vivez chez vous, qu’on tire sur vos populations, même après la départementalisation, on l’a vécu et jusqu’à maintenant c’est secret défense sur le nombre de morts qui sont tombés chez nous. C’est toujours un chantage. Ne cédez pas, battez-vous. »

Si le gouvernement français refuse de céder, c’est en partie en raison de la position géostratégique indéniable de l’île dans l’Océan Pacifique, ainsi que de ses importantes réserves de nickel, matériau indispensable à la construction des batteries de voitures électriques, faisant de l’île un trésor à conserver pour ses colonisateurs. Mais pour les premiers habitants, cela signifie que les différences de salaire ou de statut à compétences équivalentes, le taux de chômage presque deux fois plus élevé qu’en métropole, et les écarts énormes en termes de qualifications, autant d’inégalités qui sont le résultat d’un passé colonial et d’une marginalisation de son peuple autochtone, continueront.

Des manifestations ont depuis eu lieu partout en France, notamment à Nantes, avec plus d’une centaine de sympathisants à l’indépendance. Malgré la levée du couvre-feu et le retour de la plateforme TikTok, la situation reste extrêmement tendue.

 

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017