Jeudi 23 mai, le local du Parti ouvrier indépendant (POI) était bondé. Tellement bondé que des chaises supplémentaires ont dû être ressorties, et les dernier·ère·s arrivé·e·s ont eu du mal à s’installer. À l’appel du POI, de La France Insoumise, de la Fédération 44 de la Libre Pensée, du Mouvement des Jeunes Kanaks en France, du Cercle nantais du Marronnage et de l’association Insomnia, une conférence sur la situation en Nouvelle-Calédonie a été organisée. « Enfants du pays » ou métropolitains, tous étaient venu·e·s échanger sur les récentes révoltes de l’île. Baptiste, étudiant en droit, avoue : « Avant les émeutes, je n’étais même pas au courant de l’existence de ce peuple et du rôle de la France dans sa colonisation. »
Daniel Wéa, président des Jeunes Kanaks en France, et Rock Haocas, coordinateur général du Parti travailliste (un des principaux mouvements indépendantistes, ndlr), étaient invités à s’exprimer sur cette situation alarmante. « Le Caillou », comme ils l’appellent affectueusement, subit depuis plusieurs jours de violentes révoltes à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi sur le dégel du corps électoral.
Pour les deux hommes, « il est important de faire une traversée de l’histoire pour comprendre le contexte d’aujourd’hui et pourquoi le Kanak s’est mis debout pour défendre sa terre, son identité et demander son indépendance. »
« Tant que la question coloniale n’est pas réglée, on continuera à se rebeller »
Territoire passé sous commandement français en 1853, les intervenants rappellent les mots de Pierre Messmer, Premier ministre en 1972, dans une lettre : « À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. »
Ces mots résument parfaitement la politique qui sera celle de la France. Pendant près d’un siècle, elle enverra au bagne des dizaines de milliers de prisonniers blancs « avec l’obligation de rester sur place en s’installant dans des fermes pénitentiaires, une fois la peine purgée », comme l’explique Jeanne Belanyi, directrice de l’Observatoire des Outre-mer de la Fondation Jean-Jaurès.
« Tant que la question coloniale n’est pas réglée, on continuera à se rebeller », prévient Daniel Wéa. Il ajoute : « Les Kanaks ont toujours été un peuple qui tendait la main à l’autre. En 1983, ça a été leur choix d’ouvrir le vote aux victimes de l’histoire (les déportés du bagne et les prisonniers politiques de la Commune, ndlr) et aux autres. »
Les accords de Nouméa, signés en 1998 et qui font suite à ceux de Matignon de 1988, ont permis d’éloigner la guerre civile et de maintenir une paix relative. Ces accords stipulent que seules les personnes inscrites sur la liste électorale générale en 1998 obtiendront le droit de vote aux élections locales, à condition de justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie.
Le passage en force de l’État sur le dégel du corps électoral ouvre la voie à des violences, en choisissant de s’imposer sur un dossier aux relents coloniaux. Les révoltes qui en résultent étaient prévisibles et évitables : « Depuis plus de six mois, la CCAT (cellule de coordination des actions de terrain, ndlr), composée de plusieurs structures de mouvances indépendantistes, s’est mobilisée pacifiquement jusqu’à la veille du vote. Autour du 13 avril, jusqu’à 60 000 personnes ont marché dans les rues de Nouméa », nous informe Rock Haocas.
« Ne cédez pas, battez-vous. »
À la fin de la conférence, une dame d’une quarantaine d’années, guadeloupéenne, prend la parole d’un ton ému mais ferme : « La France dit que l’un des moyens pour mettre fin à la colonisation est la départementalisation. Nous l’avons vécue en 1948, ne l’acceptez pas, c’est un piège. Vous n’aurez jamais l’égalité des droits, vous serez toujours traités comme des sous-citoyens. La France est en train de faire un repli sur ses bases coloniales à cause de sa bourgeoisie qui ne veut pas partager les richesses et continuer à vous exploiter. Ce que vous vivez chez vous, qu’on tire sur vos populations, même après la départementalisation, on l’a vécu et jusqu’à maintenant c’est secret défense sur le nombre de morts qui sont tombés chez nous. C’est toujours un chantage. Ne cédez pas, battez-vous. »
Si le gouvernement français refuse de céder, c’est en partie en raison de la position géostratégique indéniable de l’île dans l’Océan Pacifique, ainsi que de ses importantes réserves de nickel, matériau indispensable à la construction des batteries de voitures électriques, faisant de l’île un trésor à conserver pour ses colonisateurs. Mais pour les premiers habitants, cela signifie que les différences de salaire ou de statut à compétences équivalentes, le taux de chômage presque deux fois plus élevé qu’en métropole, et les écarts énormes en termes de qualifications, autant d’inégalités qui sont le résultat d’un passé colonial et d’une marginalisation de son peuple autochtone, continueront.
Des manifestations ont depuis eu lieu partout en France, notamment à Nantes, avec plus d’une centaine de sympathisants à l’indépendance. Malgré la levée du couvre-feu et le retour de la plateforme TikTok, la situation reste extrêmement tendue.