Dans la salle comble du cinéma Bonne Garde, il règne une familiarité qui donne la sensation d’un tissu resserré entre les professionnel·les. Du travail social à la protection maternelle et infantile (PMI) en passant par l’éducation nationale, ce réseau d’acteur·ices est majoritairement féminin. Il se réunit pour « apprendre, se former, parler d’une même voix, travailler de concert » comme le résume Myriam Bigeard, conseillère départementale en charge de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes.
Le programme de la journée est chargé. Anne Martinais, coordinatrice de l’Observatoire, remercie les professionnel.les présent.es puis donne la parole aux représentants des institutions en rappelant la vocation de plaidoyer de l’évènement.
Nommer pour protéger
L’expression « enfant co-victime » a été consacrée dans la loi du 18 mars 2024 qui marque un tournant décisif pour renforcer la protection et l’accompagnement des enfants victimes et co-victimes de ces violences. Cette édition 2024 permet de faire le point sur les avancées de la culture de la protection depuis la journée organisée en 2021 et intitulée « protéger la mère, c’est protéger les enfants ». Ernestine Ronai, pionnière de la lutte contre les féminicides, s’exclame victorieuse « on pèse sur les législateurs et on peut continuer à peser ».
La culture de la protection c’est anticiper le risque suivant. Le procureur Renaud Gaudeul fait état d’importantes évolutions des pratiques en matière de retrait de l’autorité parentale (deux fois plus de retraits que l’année passée) au tribunal judiciaire de Nantes et évoque la création d’un pôle de protection de la famille au parquet. Pour lui, il est nécessaire de protéger pour éviter le phénomène de reproduction. Le vécu des enfants engendre « des problématiques de santé et des comportements en conséquence, on le sait donc il faut repérer au mieux et le plus tôt possible » surenchérit Marie Argouarc’h, directrice de cabinet du préfet.
Les interventions sont ponctuées d’écoutes du podcast documentaire « Mais c’était un bon père… » dans lequel Thomas Belhalfaoui donne la parole à des enfants co-victimes. Il raconte « Le mot co-victime m’a permis de me dire que c’était un sujet ». La découverte de ce contenu permet de rappeler aux acteur·ices que nommer permet aussi de légitimer le vécu des enfants qui ont grandi.
Valoriser les actions, former aux bonnes pratiques, partager les outils
Hélène Boiteau-Chatelet et Marion Yhuel, assistantes de Service Social en EDS (espace départemental des solidarités), ont testé le questionnement systématique pour mieux repérer et prévenir les violences faites aux femmes. L’efficacité de ce questionnement est effrayant, 85% des femmes questionnées répondent « oui ». Pour le travail social, ça donne du sens, mais c’est une charge conséquente et « il faut que ce soit repris ».
Questionner, Karen Sadlier invite les PMI à le faire dans le cas où une mère arrête soudainement d’allaiter. Elle a constaté dans de nombreux cas que l’allaitement pouvait être un vecteur de violences conjugales, voire de viols, et que la mère pouvait développer une phobie ou simplement ne plus sécréter assez de lait.
Elle partage également des outils qui permettent aux enfants de comprendre les différents fonctionnements du parent violent et de développer des « boucliers » pour s’en protéger. D’un coup, la moitié de la salle se retrouve avec des tubes pour faire des bulles de savon et l’autre moitié crie « je suis une star », un dernier outil pour apprendre la respiration ventrale en s’amusant et à valoriser les professionnel·les « dans des métiers qui ne sont pas très narcissisants ».
L’importance des mots est un fil rouge de la journée. Comme dans un accident de voiture, l’enfant est victime et non témoin. Il a grandi dans la violence et non dans le conflit.
Alerter sur les incohérences du système qui empêchent de protéger correctement
Lucie Rétif, présente les résultats de son étude sur les enfants co-victimes au travers de l’analyse de dossiers de la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) du Département. Elle rappelle l’importance de bien nommer les choses, « ça induit la manière dont le dossier est accompagné et traité par la suite car le conflit est autorisé par la loi, pas la violence ». Elle remonte l’alerte : dans 44% des dossiers avec des violences en cours mentionnent encore « conflit ». D’autres problèmes persistent, elle a constaté 7 situations de violences conjugales dans lesquelles la médiation familiale a été préconisée. Le but n’est pas de pointer du doigt mais de prendre du recul pour faire réfléchir et former les acteur·ices du terrain.
Ces derniers peuvent aussi rencontrer des difficultés structurelles. Le cas des professionnel·les de l’AEMO (action éducative en milieu ouvert) est marquant. On leur demande de mettre en place un modèle démocratique entre les parents avec des projets éducatifs communs alors que dans certains cas c’est impossible. Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, rappelle que certains agresseurs imposent un régime dictatorial, qu’ils ne supportent ni la dissociation de la victime, ni l’autonomie d’action des enfants. Elle les présente comme « les profils rouges » et met en lumière un retard du système français « les canadiens vous diraient déchéance de l’autorité parentale et suspension complète du droit de visite ».
Les intervenantes de Solidarités Femmes Loire Atlantique, spécialisées dans l’accompagnement des femmes et de leurs enfants victimes de violences conjugales, évoquent la complexité et la frustration liées à des décisions de justice jugées incohérentes. Parfois, certaines femmes submergées retournent au domicile malgré la violence. La présidente de l’association ajoute « Pour nous c’est une évidence que les enfants sont victimes. C’est un enjeux de santé publique parce qu’il y a un risque de passage à l’acte. On ne peut pas faire autrement parce qu’il n’y a pas d’autre espace qui aide les enfants de cette manière. On a besoin du soutien politique et financier ». Fluidifier le parcours de sortie demande des moyens, et cette association militante s’inquiète du contexte budgétaire de la région.
La journée se clôture en musique sur le spectacle de Slam « Mots pour Maux » qui raconte les violences faites aux femmes et aux enfants. C’est une oeuvre du groupe Dialem, dont l’interprète est Diariata N’Diaye, fondatrice de l’association nantaise Resonantes.