7 mars 2024

Etats généraux de la presse indépendante à Nantes : la liberté de l’info a un prix !

Le jeudi 22 février avaient lieu au Médiacampus de Nantes les Etats généraux de la presse indépendante. Plusieurs journalistes de médias indépendants du Grand Ouest sont intervenu·es au cours de cette conférence pour faire part au public des différents enjeux auxquels est confrontée la presse indépendante aujourd’hui en France.

Etats généraux de la presse indépendante à Nantes : la liberté de l’info a un prix !

07 Mar 2024

Le jeudi 22 février avaient lieu au Médiacampus de Nantes les Etats généraux de la presse indépendante. Plusieurs journalistes de médias indépendants du Grand Ouest sont intervenu·es au cours de cette conférence pour faire part au public des différents enjeux auxquels est confrontée la presse indépendante aujourd’hui en France.

Le 3 octobre 2023, le président de la République Emmanuel Macron lançait les Etats généraux de l’information, une initiative censée donner lieu à « un ensemble de propositions concrètes afin d’anticiper les évolutions à venir dans le monde de l’information » d’ici l’été 2024. C’est en réaction à ces Etats généraux de l’information que Le Fonds pour une Presse Libre (FPL) – un organisme à but non lucratif qui se donne pour mission de soutenir le pluralisme de la presse et l’indépendance du journalisme – a organisé des Etats généraux de la presse indépendante (EGPI).

Selon la directrice du FPL Charlotte Clavreul, les principales raisons ayant poussé la structure a créer son propre évènement s’expliquent par « l’organisation et les modes de nomination des membres des Etats généraux de l’information » qui ne convenaient pas à une partie de la profession des journalistes en France.

Après une première réunion publique des EGPI à Paris fin novembre réunissant une centaine de médias indépendants ainsi que des collectifs de journalistes et des syndicats, 59 préconisations pour « libérer l’information » ont été formulées sur des sujets liés à la concentration des médias, à l’organisation de leur capital ou encore à la précarité du métier de journaliste. Les Etats généraux de la presse indépendante se sont ensuite poursuivis dans d’autres villes de France parmi lesquelles Lyon, Marseille, Toulouse puis Nantes dernièrement. Cette dernière étape nantaise des EGPI réunissait le jeudi 22 février, une dizaine de journalistes de la presse indépendante au 41 boulevard de la Prairie au Duc (Médiacampus).

Affiche de la première réunion publique des Etats généraux de la presse indépendante qui avait lieu le jeudi 30 novembre à l’Espace Reuilly à Paris.

L’indépendance comme objectif

La réunion nantaise des EGPI à Médiacampus était divisée en deux temps, avec une première table ronde durant laquelle les journalistes présent.e.s ont eu l’occasion d’échanger sur l’importance de la presse indépendante, son utilité dans la société et ses relations avec les pouvoirs locaux.

Pour Jacques Trentesaux, directeur du média en ligne d’enquête et de décryptage Médiacités : « L’indépendance c’est vraiment une intention, c’est un objectif, c’est toujours en recherche ». Selon lui, un des enjeux de l’indépendance d’un média est « d’éviter un maximum de filtres » afin de fournir une information qui soit la plus fiable possible. « Quand on n’a pas de publicité, on n’est pas tenté de faire plaisir aux annonceurs, […] quand on n’a pas un actionnaire qui agit dans un autre secteur que celui de la presse, on n’est pas tenté de lui faire plaisir » précise-t-il.

Marie Coq, rédactrice en chef du Sans Culotte 85, explique que l’indépendance d’un média s’acquiert aussi « par le fait de réussir à prouver qu’on est d’abord une presse d’investigation et qu’on ne se crée pas contre qui que ce soit ou quoi que ce soit ». La journaliste relève la difficulté parfois rencontrée par les journaux indépendants à faire comprendre qu’ils ne sont « le(s) support(s) de comm’ [communication] de personne ».

Julien Collinet, co-fondateur du journal indépendant angevin La Topette, indique pour sa part l’importance du temps accordé aux journalistes pour mener des enquêtes dans la presse d’investigation indépendante : « Nos confrères en presse quotidienne régionale n’ont pas forcément le temps pour faire de l’investigation. […] Pour les gens qui bossent à La Topette, on est tous passé par les grands médias, et ce dont on souffrait le plus, c’était d’avoir l’impression de mal faire notre travail, parce qu’on avait pas le temps d’enquêter ni de vraiment fouiller des sujets. ». Qu’il soit indépendant ou non, le rôle du journalisme « c’est de révéler des choses, c’est de gratter un peu » explique le journaliste de La Topette. Selon lui, la presse indépendante est utile car elle permet de creuser certains sujets et « de pointer du doigt ce qui ne va pas ».

Le fragile modèle économique dans la presse indépendante

Comment garantir un modèle économique pérenne dans la presse indépendante ? Voilà le grand thème de la seconde table ronde organisée lors de ces Etats généraux de la presse indépendante à Nantes. En effet, l’ensemble des intervenants des EGPI ont évoqué les difficultés économiques auxquelles est confronté le milieu de la presse indépendante locale en France. La Fédération des Radios Associatives, représentée par sa présidente Manon Delmas (également directrice de la radio Prun’), est très dépendante des subventions : « On touche des subventions du Ministère de la Culture, le FSER (Le Fonds de Soutien à l’expression Radiophonique), et ça nous permet de fonctionner, car la radio est quelque chose qui coûte très cher, notamment au niveau du matériel ».

Fin janvier, le média Splann publiait une enquête révélant qu’en décembre 2023, une télé associative brestoise s’était vue refuser une demande de subvention de 2500€ par la préfecture du Finistère, car, selon le sous-préfet de Brest, certains aspects de son fonctionnement étaient incompatibles avec le Contrat d’engagement républicain. Surtout, ce qui inquiète Manon Delmas, c’est le flou entourant les différents points de ce Contrat en vigueur depuis 2022 et que les médias associatifs doivent signer pour toucher leurs subventions : « Il y a plein de points différents que l’on nous demande de respecter mais il n’y a pas de points précis. Donc on peut avoir la lecture qu’on veut et retirer une subvention sans vraiment donner de justifications, donc c’est extrêmement dangereux et nous ça nous inquiète beaucoup comme on est assez dépendants des subventions. ».

Concernant le presse indépendante écrite locale, l’un des principaux problèmes se révèle être le financement. Cela pousse les médias indépendants à diversifier leur activité pour garantir un modèle économique pérenne explique Marie Bertin, rédactrice en chef du magazine des Autres Possibles à Nantes. « On se rend compte que même si on atteint des audiences très honorables à échelle locale, par exemple, pour Les Autres Possibles on est à 3.500 ventes de journaux, La Topette c’est autour de 5.000, le Sans Culotte fait 4.500… Mais ça ne suffit pas à cette presse là pour vivre. Donc on est obligé d’aller rajouter des petits bouts de prestation éditoriale, de faire bosser nos journalistes pour les autres, nous, on a choisi de faire de l’éducation aux médias. ». Aujourd’hui, le coût de production d’un numéro du magazine des Autres Possibles s’élève à 14.000€ et rapporte 5.000€. « On a aussi, grâce à l’aide de la DRAC [Direction Régionale des Affaires Culturelles], 5.000€, donc on arrive à peu près à l’amener à l’équilibre mais pas tout à fait, il est un peu déficitaire. », détaille Marie Bertin. Aux problématiques financières, s’ajoute le temps consacré à la réalisation d’un numéro, comprenant la distribution, la rédaction et la communication effectuées en intégralité par les journalistes du magazine. « Je l’ai constaté dans les autres médias indépendants, le problème c’est qu’on ne peut pas développer cette information locale indépendante. Elle est pourtant nécessaire car la démocratie vit aussi à l’échelle locale. » se désole la rédactrice en chef des Autres Possibles.

La précarité des journalistes pigistes

Autre problématique soulevée cette fois-ci par le co-fondateur de l’ONG d’enquête journalistiques bretonne Splann lors des EGPI de Nantes, la précarité des journalistes pigistes. « Qu’on vienne de la presse traditionnelle ou indépendante, on a tous été pigiste, et on sait que ce sont les pigistes qui sortent les enquêtes et ce sont eux qui sont les plus en danger. ». Pour Pierre-Yves Bulteau, l’un des objectifs du média Splann est d’assurer un modèle économique permettant de « faire vivre » ces journalistes, car « on a besoin des journalistes  pigistes […] ils sont les fers de lance de l’investigation ».

Le coût des frais de justice, autre obstacle financier des médias indépendants

Enfin, certains médias d’enquêtes indépendants doivent aussi compter au sein de leurs dépenses le paiement des services juridiques et d’un avocat, c’est le cas de Splann, mais aussi de Médiacité, comme l’explique son directeur Jacques Trentesaux : « Ce qui est très rare en droit de la presse, c’est qu’on soit remboursé des frais de justice. Même quand on gagne, on perd en argent… ». Pour pallier cet obstacle financier, le média est parvenu à trouver un avocat engagé auprès de la presse indépendante leur permettant ainsi de bénéficier d’une réduction du forfait à l’année. « Pour la première dépense, on avait pris un forfait avec l’avocat. C’était 12.000€ pour l’année » confie Jacques Trentesaux. Depuis sa création en 2016, les frais de justice du média cumulés ont dépassé les 50.000€ indique son directeur de publication.

L'arrivée d'Antoine à Fragil est une suite presque évidente à son parcours, ses rêves et ses passions. Il dégage une sensibilité palpable de par ses mots et ses intonations.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017