29 mai 2024

Femme Vie Liberté Nantes : entre craintes et espérances après la mort du « boucher de Téhéran »

Près d'une semaine après la mort du président iranien Ebrahim Raïssi, Fragil est allé à la rencontre de deux membres du collectif Femme Vie Liberté Nantes qui présente jusqu'au 30 mai à Cosmopolis l’exposition “L’Iran en révolution 1979-2024”. Au cours de cet échange, iels nous ont parlé de celui qu'on appelait "le boucher de Téhéran" et de leurs sentiments sur ce qui est à venir en Iran.

Femme Vie Liberté Nantes : entre craintes et espérances après la mort du « boucher de Téhéran »

29 Mai 2024

Près d'une semaine après la mort du président iranien Ebrahim Raïssi, Fragil est allé à la rencontre de deux membres du collectif Femme Vie Liberté Nantes qui présente jusqu'au 30 mai à Cosmopolis l’exposition “L’Iran en révolution 1979-2024”. Au cours de cet échange, iels nous ont parlé de celui qu'on appelait "le boucher de Téhéran" et de leurs sentiments sur ce qui est à venir en Iran.

C’est entre deux clichés du photojournaliste Reza que Fragil rencontre Tara. Celle-ci est née pendant la guerre Iran-Irak et a quitté l’Iran en 2011. Juste avant notre entretien, Rahmat nous rejoint. D' »une différente génération » que Tara nous dit-il en rigolant,  il a quitté l’Iran en 1983.  Au sein du collectif « Femme Vie Liberté », ils organisent des manifestations depuis le 2 octobre 2022 (date de création du collectif) en soutien au peuple iranien. Ce collectif veut “porter la voix des gens à l’intérieur du pays”.

« Révolution volée » de Reza, Téhéran, place Shahyad (actuelle place Azadi), mai 1980

C’est donc dans le contexte particulier de la mort du président iranien Ebrahim Raïssi, ou « le boucher de Téhéran », que notre rédaction est allée recueillir leur témoignage. Un surnom qu’il doit à son implication dans les massacres des opposants du régime. Il fut notamment responsable de l’exécution de milliers de prisonniers en 1989, une « année noire pour l’Iran » nous dit Tara en précisant « qu’il faisait partie du comité de la mort » en tant que juge. “Certains allaient même finir leur condamnations” explique Rahmat avant d’ajouter qu’un ordre du guide suprême Khomeyni fauchât la vie de ces milliers de détenus.   

À propos de Raïssi, Rahmat développe : “Il était le représentant des factions les plus extrémistes et ultra conservatrice du régime”. Président en 2021, il avait été élu au terme « d’une des élections les plus pourries de l’histoire de l’Iranpoursuit-il. À titre de comparaison, “C’est comme si Adolf Eichmann était le président de l’Allemagne« .

Avec la mort de celui qui était pressenti comme le prochain guide suprême, nos deux interlocuteurs restent mitigés sur la suite des événements. “Ce qui est sûr c’est que les gens sont contents” nous dit Tara à propos du crash d’hélicoptère, à l’origine de la mort du “boucher de Téhéran”. Un crash entraînant des scènes de joie et de célébration comme on en voit rarement dans les rues iraniennes.  

Cependant, pour Tara, cette situation ne doit pas être prise pour acquise. “C’est temporaire… J’aurais aimé que l’opposition s’organise et utilise cette occasion”. “Le premier jour et le deuxième jour les gens étaient dans les rues pour danser mais il ne se passe rien” continue Rahmat, en évoquant le rappeur iranien Toomaj Salehi, toujours condamné à mort. “J’espère qu’ils ne vont pas profiter de l’occasion pour le tuer.” “J’ai trop peur” ajoute Tara.  

Malgré tout, les deux membres de Femmes Vie Libertés Nantes gardent espoir : “Ça bouge un peu et un jour ça [le régime actuel] va tomber … Ils ne sont pas aussi solides qu’ils le croient… C’est pourquoi on est optimiste”. 

Tara (à gauche) et Rahmat devant une banderole de Femme Vie Liberté Nantes  

Le 30 mai, dernier jour de l’exposition, une conférence animée par l’expert Tierry Corville, sur la situation géopolitique iranienne se tiendra à Cosmopolis. L’occasion d’en apprendre plus sur la situation actuelle de l’ancienne Perse et de pourquoi pas faire un don au collectif nantais.  

Numa, originaire de Rezé, entretient un lien indéfectible avec Nantes, sa ville natale. Amateur de sport, il vibre au rythme du FC Nantes à la Beaujoire. Sa passion pour la culture se nourrit grâce aux manifestations culturelles nantaises tel que, le Festival des Utopiales. Nantes est pour lui une source inépuisable d'inspiration et de découvertes.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017