24 mai 2023

Fenêtre sur recours : le Katorza et le Concorde s’expriment

Face à l’ambitieux projet d’agrandissement du Concorde, le Katorza avait déposé un recours en janvier auprès de la Commission nationale d’aménagement commercial. La demande a depuis été rejetée, mais cette action du Katorza a néanmoins suscité des interrogations. Caroline Grimault, directrice du Katorza, explique la raison de ce recours et dresse la situation actuelle des cinémas de l’agglomération nantaise. Sylvain Clochard, directeur du Concorde, nous livre aussi son point de vue.

Fenêtre sur recours : le Katorza et le Concorde s’expriment

24 Mai 2023

Face à l’ambitieux projet d’agrandissement du Concorde, le Katorza avait déposé un recours en janvier auprès de la Commission nationale d’aménagement commercial. La demande a depuis été rejetée, mais cette action du Katorza a néanmoins suscité des interrogations. Caroline Grimault, directrice du Katorza, explique la raison de ce recours et dresse la situation actuelle des cinémas de l’agglomération nantaise. Sylvain Clochard, directeur du Concorde, nous livre aussi son point de vue.

Avec la volonté de passer de 287 à 778 places, le Concorde dévoile un projet optimiste, qui nous prouve que la fréquentation des cinémas ne ressort pas abattue par les années Covid. Toutefois, en déposant un recours à la CNAC (Commission Nationale d’Aménagement Commercial), le Katorza a été perçu selon certains médias comme un concurrent pessimiste qui contestait cette dynamique encourageante. 

Caroline Grimault déclare que le groupe Cinéville, dont fait partie le Katorza, a déposé ce recours « pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur le risque de déséquilibre de l’offre art et essai que cet agrandissement pouvait causer ». 

30% de clientèle commune

Plusieurs facteurs ont pu faire naître une crainte chez le cinéma de la rue Corneille : tout d’abord, les deux enseignes (Concorde et Katorza) ont réalisé en 2018 une étude de clientèle, et selon les résultats, ils partageraient 30% de clientèle commune malgré leurs situations géographiques relativement éloignées. 

Ensuite, Caroline Grimault explique que les cinémas nantais fonctionnent selon un système bien rodé : les films sont diffusés dès leur sortie au Katorza, et le Concorde prend le relais en les diffusant un peu plus tard. Ce roulement permet ainsi une « durée de vie » des films allant de 4 à 6 semaines sur grand écran. 

« J’ai peur que ça accélère le côté jetable des films »

Un film estampillé art et essai ne demeure bien souvent que deux semaines à l’affiche, sauf exceptions. Si le Concorde diffuse lui aussi les films dès leur sortie, Caroline Grimault révèle « avoir peur que ça accélère le côté jetable des films. »

Elle nous interroge alors sur notre habitude de spectateur : « Si demain, un film est diffusé dès sa sortie sur trois salles (Katorza / Concorde / Gaumont…), préfère-t-on avoir le film près de chez soi dès sa sortie, ou pouvoir le voir pendant 4, 5, 6 semaines ? » 

Et d’expliquer, avec l’exemple du film de Maryam Touzani « Le bleu du caftan a été un succès et un coup de cœur de l’équipe, avec une belle avant-première. Il faut reconnaître qu’il a bien marché pour nous parce que nous étions les seuls à le diffuser à sa sortie. Nous l’avons porté du 23 mars jusqu’au 30 avril, et le Concorde l’a relayé les semaines suivantes. S’il avait été diffusé dans deux cinémas différents dès sa sortie, il aurait probablement tenu moins longtemps. » 

Le Concorde affirme sa différence par rapport à son homologue du centre-ville.

Sylvain Clochard, le directeur du Concorde voit les choses autrement : « Sur environ 430 films art et essai qui sortent par an, le Katorza en sélectionne entre 200 et 250, dont certains en exclusivité. Le Concorde en diffuse entre 100 et 120, et ce ne sont pas forcément les mêmes films. Oui, il est tout à fait possible que nous sortions une copie d’un film simultanément avec le Katorza, mais ce risque a été jugé minime par la Commission. Selon les statistiques, on aura peut-être un film en commun par mois, ce qui est négligeable. C’est ce pourquoi le recours a été rejeté ».

Sylvain Clochard indique que son équilibre financier se fait à la fois sur les films art et essai, et aussi sur les films populaires. Il qualifie ainsi le spectre de programmation du Concorde plus large, là où celui du Katorza est plus réduit. Il certifie que sa programmation ne se définit pas selon celle du Katorza, et que cette ligne de conduite ne changera pas dans le futur. Selon lui, les deux établissements ont leur propre ADN : le Katorza diffuse majoritairement les films reconnus par la critique et considérés comme les plus porteurs, tandis que le Concorde diffuse une tranche de films moins porteurs et plus fragiles économiquement.

Le Concorde et le Katorza ont chacun leur ADN

Plus que la durée de vie d’un film, Sylvain Clochard invite à prendre en considération une offre qui ne suffit pas à l’échelle de la ville. « La commission nationale a estimé qu’il manquait une ou plusieurs copies de films sur l’agglomération nantaise. Par exemple, une copie supplémentaire de Babylon ou Fabelmans n’est pas illogique. »

Selon lui, sur la pluralité de films produits chaque année, le Katorza ne diffuse pas tout et n’offre pas assez de séances. L’offre peut donc être élargie sans que cela porte préjudice aux différents établissements, d’autant plus que le secteur est de Nantes n’est pas aussi bien desservi que l’ouest. 

La Katorza, situé rue Corneille à Nantes

Ces arguments ont été retenus par la Commission, le recours du Katorza a donc été rejeté. Cependant, et c’est l’argument principal de Caroline Grimault : le groupe Cinéville avait déposé ce recours car la DRAC ne les avait pas informés des détails du dossier déposé par le Concorde. C’est ce manque de renseignements qui avait fait naître une inquiétude financière pour l’avenir, dans l’hypothèse où le Concorde projetait de prendre les parts du Katorza. Avec une pointe d’embarras, Caroline Grimault insiste sur le fait que le recours n’a pas été déposé pour nuire à l’ambition du Concorde, mais pour se faire entendre, estimant même qu’il s’agit « d’un beau projet ». 

Les deux directeur·ices nous livrent ainsi deux points de vue différents, mais tout aussi intéressants. Heureusement, et il est important de conclure là-dessus, la santé financière de l’ensemble des cinémas se porte bien en ce début d’année 2023. Sylvain Clochard l’atteste : « ça a repris partout de manière satisfaisante, même pour les multiplexes. Le Concorde a l’un des taux d’occupation des fauteuils les plus forts de FranceMême constat pour Caroline Grimault : « Actuellement, c’est plutôt optimiste. Après le festival du cinéma espagnol, nous avons habituellement un creux, mais pas cette année. Les festivals représentent un certain investissement, mais ils font partie intégrante de notre politique et ils permettent d’alimenter la curiosité des nantais ».

Amateur de musique, de littérature et d'art en général, auteur de fantasy. J'aime découvrir et partager ce qui me passionne.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017