En prolongement de belles émotions d’opéras, tels Cenerentola de Rossini et le diptyque Cavalleria Rusticana (de Pietro Mascagni) et Paillasse (de Ruggero Leoncavallo), le Festival de Saint-Céré 2021 a proposé quelques concerts marquants, dans des lieux sublimes. C’est ainsi que la quatrième symphonie et le quatrième concerto pour piano de Beethoven ont été interprétés dans le cadre grandiose du Château de Castelnau, dont le mur était enveloppé d’une lumière rouge, bleue ou mauve, selon les variations d’atmosphères des partitions, en de troublantes correspondances. Dès l’entrée à ce concert, après tant de jours de manque de tout spectacle vivant, on ressent une vive émotion d’entendre à nouveau des musiciens qui s’accordent avant de se produire face à un public enfin réuni. Quelle joie aussi de reconnaître des visages familiers de l’orchestre d’Opéra Éclaté ! Cette soirée Beethoven est dirigée par Victor Jacob, qui met en valeur ce mélange de grandeur et de légèreté caractérisant les deux œuvres. Les premiers accords de la symphonie sont d’une saisissante profondeur et atteignent d’emblée une plénitude, le chef dessinant ensuite de suggestives nuances de la partition, dans un mélange de retenue et d’exubérance. Le pianiste Gaspard Thomas rejoint l’orchestre pour le quatrième concerto, en un étonnant dialogue ponctué d’instants de symbiose. On retrouve avec plaisir ce sympathique interprète, virtuose et totalement habité, sculptant les mélodies avec un bouleversant sens des contrastes et mêlant la fougue à la délicatesse avec une rare subtilité. En rappel, Gaspard Thomas interprète une valse de Chopin, dont il fait scintiller les accords.
…où la musique fait vibrer les vieilles pierres par une chaude nuit d’été
Dans un registre différent, un autre concert, au programme plus intimiste, a permis de confronter les univers de Johannes Brahms (Trio pour clarinette, violoncelle et piano op. 114) et de Gabriel Fauré (Quatuor avec piano et cordes n°1), dans la cour du somptueux Château de Curemonte, où la musique fait vibrer les vieilles pierres par une chaude nuit d’été. Ce quatuor de Fauré a particulièrement touché Marcel Proust, il résonne avec la Sonate de Vinteuil, invention romanesque de La recherche du temps perdu, dans une même expression de l’âme et des souvenirs. Les deux partitions sont jouées avec beaucoup de sensibilité par Eva Zavaro, au violon, Violaine Despeyroux à l’alto, Raphaël Sévère à la clarinette, Clément Lefebvre au piano, et on est heureux de retrouver Aurélie Allexandre d’Albronn, qui a offert de lumineuses Suites pour violoncelle de Bach, à Carennac, lors de l’édition du festival de l’an passé.
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« … le piano fait corps avec l’orchestre, dans un dialogue permanent… »
Le pianiste Gaspard Thomas revient sur le concert Beethoven du Château de Castelnau, et évoque sa passion pour la musique dans un véritable tourbillon d’émotions.
Fragil : Comment présenteriez-vous ce Quatrième Concerto de Beethoven, que vous avez joué cet été au Festival de Saint-Céré ?
Gaspard Thomas : C’est vraiment une œuvre que j’avais envie de jouer depuis longtemps, un véritable coup de cœur, pour sa signification poétique mais aussi pour ses climats particuliers. Il y a un côté optimiste, très positif et apaisé, comme si le compositeur exprimait un soulagement et une joie simple. De plus, le piano fait corps avec l’orchestre, dans un dialogue permanent, avec un aspect chambriste, ce qui me touche beaucoup.
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« … face à ces vieilles pierres chargées d’histoire et à cette vue sublime qui s’étend tout autour. »
Fragil : Quelles émotions ce concert, donné en extérieur dans le cadre magique du Château de Castelnau, vous a-t-il procurées ?
Gaspard Thomas : Tout change dans ce lieu magnifique sous l’air du soir. L’écoute et les vibrations ne sont pas les mêmes et c’est comme s’il y avait une oxygénation des choses. De plus, on avait créé pour ce soir-là de jolies lumières, et j’avais l’impression d’être projeté dans une autre époque. Dès la montée au château, on est plongé au cœur du sujet en se trouvant face à ces vieilles pierres chargées d’histoire et à cette vue sublime qui s’étend tout autour. On est amené à produire quelque chose de spécial. Cet espace privilégié est associé à des spectacles d’opéras, c’est pourquoi le concert a pris une dimension scénique et festive, dans un esprit de partage.
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« … cette étonnante proximité de la campagne où l’on entend tout près les cloches des vaches. »
Fragil : Quels autres concerts vous ont particulièrement marqué lors des précédentes éditions du festival ?
Gaspard Thomas : C’est ma cinquième année au Festival de Saint-Céré, et je n’ai que de bons souvenirs. Le Château de Montal offre des émotions similaires, mais le lieu est plus intime, avec cette étonnante proximité de la campagne où l’on entend tout près les cloches des vaches. Je me souviens aussi d’un concert donné notamment au sublime Château de Curemonte en 2019, Un soir à Broadway, où je jouais un répertoire inhabituel composé d’extraits de comédies musicales américaines et de standards du jazz, avec un formidable trio de chanteuses, Diana Higbee, Sarah Lazerges et Anandha Seethanen. Ce programme mettait tout le monde en valeur puisque ces trois chanteuses, aux personnalités très riches, venaient d’univers contrastés, de l’opéra, du jazz et des musiques du monde. J’aime me confronter à d’autres esthétiques, comme en 2020 également, avec Sur la route des Amériques, où l’on mêlait le tango argentin avec le jazz latin, aux côtés de Marie Bedat à la trompette, de François Michels au trombone et d’Olivier Pham Van Tham aux percussions, dans de beaux endroits, sympathiques et très diversifiés, du Lot : Cavagnac, Bretenoux et Martel. Je garde aussi un souvenir très fort d’un concert de musique de chambre en 2019, avec des musiciens enthousiastes et très investis de l’orchestre d’Opéra Eclaté, Robin Defives au violoncelle, et Stéphanie Blet à l’alto, dans un programme Beethoven, Brahms et Schubert présenté à l’abbatiale de Beaulieu-sur-Dordogne et au Château de Labastide Marnhac. En jouant plusieurs fois, nous avons le temps de peaufiner et de tester différentes choses…
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« … d’un raffinement extrême dans l’harmonie et d’une texture fine et cristalline. »
Fragil : Durant l’été dernier, vous avez interprété au Château de Lourmarin, dans le Luberon, des pièces du compositeur polonais Karol Szymanowski, à qui l’on doit un fascinant opéra, Le roi Roger, créé en 1926. Que représente pour vous cette musique ?
Gaspard Thomas : C’est une musique touchante, qui joue tout de suite sur la corde sensible. Szymanowski s’inspire, dans ses variations de jeunesse pour piano, de Frédéric Chopin, pour qui j’ai une tendresse particulière. Il a cependant pris ensuite un chemin très personnel, comme Alexandre Scriabine. Ses variations opus 1 et opus 3, dans les neuf préludes, sont à la fois d’un raffinement extrême dans l’harmonie et d’une texture fine et cristalline, foisonnante dans l’aigu. Je suis également très ému par son cycle de trois pièces pour violon et piano, les mythes. On sent dans son œuvre un désir de transparence infiniment poétique, qui fait penser à Maurice Ravel. Ce compositeur s’est aussi abandonné à de puissants crescendos, à des harmonies plus dissonantes, en créant des climats étranges et en multipliant les nuances, tout en se complaisant dans la douleur, dans quelque chose de très romantique et parfois tortueux. C’est une musique magnifique mais exigeante.
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« … une volonté de suggérer par la musique. »
Fragil : Quels sont les compositeurs que vous aimez le plus interpréter et quels plaisirs vous procurent-ils ?
Gaspard Thomas : J’ai eu l’occasion de jouer les dernières sonates de Beethoven, avant d’aborder son quatrième concerto. J’aime de plus en plus cette musique, qui a un caractère profondément humain, tellement proche de nous. Elle exprime des choses que chacun porte en soi et qui atteignent une universalité. Ces émotions humaines sont restituées par une jouissance toute simple d’écrire de la musique , même si elles sont parfois très douloureuses. Une force cachée laisse malgré tout entrevoir la lumière, dans une profonde générosité et une belle énergie. J’adore également jouer du Chopin, une musique plus romantique à laquelle on peut facilement s’identifier. L’expression des sentiments est exacerbée, mais avec une manière légère et très pure de présenter les choses. Les pièces de la fin de sa vie, alors que Chopin était très malade, me touchent beaucoup : elles gardent une couleur optimiste, dans une lumière crépusculaire. Dans ses préludes, ses nocturnes, ses ballades et ses études, il n’y a pas de titres, mais une volonté de suggérer par la musique.
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« Ce concert était organisé par une association nantaise, Musique et Vous. »
Fragil : Vous vous êtes produit en récital en décembre 2019 à Orvault, dans le prestigieux magasin de pianos Desevedavy. Cette institution se trouvait, de sa création en 1942 jusqu’en 2016, à Nantes, rue du Maréchal Joffre, près de la cathédrale. Quelles traces ce concert vous a-t-il laissées ?
Gaspard Thomas : C’est un très beau souvenir. Ce concert était organisé par une association nantaise, Musique et Vous, qui a pour but de promouvoir la musique comme outil de communication, d’expression et d’échanges. Ce sont des musiciens que j’ai connus au Festival de Saint-Céré qui m’ont permis de le faire. Dans la journée, il s’agissait de concerts de médiation auprès d’enfants et de personnes âgées. Je jouais sur un très beau piano ! Le soir, j’ai interprété du Chopin, et Gaspard de la nuit de Maurice Ravel, d’après des poèmes d’Aloysius Bertrand. Il y avait du monde et l’accueil a été enthousiaste. Ça m’a fait plaisir !
« … je jouerai le 30 janvier en compagnie de la violoniste Élise Bertrand, une œuvre qu’elle a composée elle-même, la Sonate-Poème opus 11… »
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Gaspard Thomas : Le 18 novembre*, je vais proposer un programme construit autour des compositeurs russes du XIXème siècle, à la Fondation Singer-Polignac à Paris. Ensuite, je me produirai le 18 décembre au CRR de Paris, rue de Madrid, dans le premier concerto de Rachmaninov, avec l’orchestre des jeunes sous la direction de Xavier Delette. Début 2022 enfin, je serai aux Sommets musicaux de Gstaad, en Suisse. Il s’agit d’un festival de musique de chambre dirigé par Renaud Capuçon où je jouerai le 30 janvier en compagnie de la violoniste Élise Bertrand, une œuvre qu’elle a composée elle-même, la Sonate-Poème opus 11, mais aussi du Gabriel Fauré, du Wolfgang Rihm et du Maurice Ravel. Ce sont des projets enthousiasmants…
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* Cet entretien a été réalisé le 23 octobre 2021