L’action de Cabaret a pour cadre les nuits de la capitale allemande, à une époque particulièrement troublée de son histoire. C’est le lieu des excès les plus fous et de tous les possibles, une période de création et de liberté, où l’on ose tout. Mais derrière l’éclat des paillettes, quelque chose d’effrayant est en marche. Le spectacle d’Olivier Desbordes, porté par une troupe explosive, exprime de manière poignante l’urgence de rire encore une fois et d’oser vivre, dans un monde qui bascule dans les ténèbres.
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« Willkommen, Bienvenue, Welcome ! »
Ces formules de bienvenue en trois langues, chantées par le maître de cérémonie, ont été immortalisées par le film que Bob Fosse a réalisé en 1972, d’après cette comédie musicale, avec Liza Minnelli. Elles reflètent l’ouverture artistique et intellectuelle qui régnait alors à Berlin, et son aspect cosmopolite. Olivier Desbordes a précisément choisi de raconter une histoire d’artistes et de gens de théâtre, et le décor représente une cour d’immeuble bordée par des coulisses et des loges d’acteurs. La confusion entre la fiction et la réalité, le grotesque et le pathétique, est partout, et le maître de cérémonie orchestre une fête où l’on se dépêche de rire avant d’être obligé de pleurer.
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A la fois narrateur, démiurge et témoin, Eric Perez insuffle à cette figure inquiétante une présence tourbillonnante, dans la chronique d’un désastre annoncé. C’est un rôle énorme, à la mesure de son talent et de sa sensibilité. Son jeu est sans cesse en mouvement : il amuse, trouble, questionne et nous échappe, et rappelle Helmut Berger dans son personnage insaisissable des Damnés de Luchino Visconti (1969) au cinéma.
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Ce cabaret, le Kit Kat Klub, a une fenêtre ouverte sur l’extérieur grâce aux créations vidéo de Béranger Thouin qui dévoilent des archives historiques, et des façades de théâtres berlinois en noir et blanc, renforçant le mélange entre l’illusion et le réel. Des personnages authentiques et hauts en couleur gravitent autour de ce lieu de la nuit : un écrivain en mal d’inspiration s’éprend de Sally Bowles, l’une des chanteuses du cabaret ; leur logeuse, Fräulein Schneider, est sur le point d’épouser l’épicier juif Herr Schultz. La chanteuse de jazz et de blues China Moses, fille de la célèbre Dee Dee Bridgewater, interprète avec une bouleversante sensibilité la première. Elle exprime, dans une énergie débordante et communicative, l’envie de vivre par delà les menaces, et elle enflamme le plateau par un chant rempli de lumière.
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[aesop_image force_fullwidth= »off » lightbox= »on » captionposition= »left » credit= »Photo : Guy Rieutort » caption= »Nicole Croisille apporte son tempérament hors du commun » align= »center » alt= »Nicole Croisille apporte son tempérament hors du commun » imgwidth= »75% » img= »http://fragil.org/wp-content/uploads/2016/05/28croisille.jpeg »]
Nicole Croisille apporte son tempérament hors du commun à la seconde, avec quelques instants de grâce et de poésie. Elle trouve en particulier dans cette figure de femme amoureuse, fragilisée par la montée de l’intolérance, les gestes touchants d’une petite fille : une enfance retrouvée pour faire face à l’horreur. Avant L’Opéra de Quat’sous que l’on verra notamment au festival de Saint-Céré cet été, cette magnifique artiste a connu un beau succès récemment dans la comédie musicale Irma la Douce au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Les murs du Kit Kat Klub s’effritent, Sally Bowles perd son emploi et une locataire de Fräulein Schneider a dénoncé l’épicier juif. Le microcosme du cabaret est contaminé par la folie des hommes.
Un volcan sur le point d’entrer en éruption
Le volcan est un texte de Klaus Mann paru en 1939. Il évoque ces jeunes qui, à l’époque, se glissaient dans des nuits semblables à celles du cabaret, sans réaliser l’imminence de la menace qui planait sur l’Europe. La proximité d’un tel volcan se manifeste dans le spectacle lorsque Ernst Ludwig ôte son imperméable, de façon anecdotique, dévoilant un brassard nazi.
[aesop_quote type= »pull » quote= »La fête pourrait nous laisser croire que l’on est à l’abri » direction= »right » parallax= »on » size= »2″ align= »left » height= »auto » text= »#ffffff » background= »#282828″ width= »100% »]
Le Kit Kat Klub s’absorbe dans les excès les plus fous, explore les désirs les plus secrets, tandis que les images vidéo révèlent une réalité de plus en plus sombre. La fête pourrait nous laisser croire que l’on est à l’abri, comme ce bal costumé pour échapper à une épidémie de peste dans Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Poe (1842). Dans Cabaret, l’on se travestit et l’on se masque également beaucoup. La chorégraphie très expressionniste de Glyslein Lefever exhibe la part d’ombre et la noirceur, tellement proche. Le voile de la fête fait songer aussi, dans une même thématique d’artistes mis à mal, à une pièce de Federico Garcia Lorca, Sans titre (1936), où des acteurs se pensent protégés de la réalité, qui les rattrape finalement, parce qu’ils répètent une pièce de Shakespeare.
Les derniers instants laissent sans voix. Herr Schultz chante, déguisé en clown. Patrick Zimmermann donne à ce rôle des accents d’une sincérité poignante. Derrière lui, ces images d’époque auxquelles on s’est habitué. Elles représentent un train. La destination se précise dans un ultime éclat de rire : « Arbeit macht frei, l’arrivée dans un camp. Le maître de cérémonie se tire une balle dans la tête.
Une grande partie de cette troupe est réunie pour la reprise de L’Opéra de Quat’sous, une œuvre qui appartient à cette époque troublée. On retrouve notamment Nicole Croisille, Patrick Zimmermann, Samuel Theis et Eric Perez, qui signe aussi la mise en scène avec Olivier Desbordes. Le spectacle a été créé à Clermont- Ferrand en novembre dernier. Il ne faudra pas manquer ses reprises aux prochains festivals de Figeac et Saint-Céré et en tournée en 2017.