C’est dans le petit salon de la librairie Les bien aimé.e.s que Fragil a rencontré le jeudi 22 février 2024 quelques unes de ces « oiseaux déguisés » : Anouk, Mélaine et Julia sont à l’origine de la création de cette jeune compagnie théâtrale nantaise pleine de projets. Avec un nom qui fait la part belle au poème d’Aragon (Les oiseaux déguisés, Louis Aragon, 1982 ndlr), les membres de cette troupe ambitionnent de prendre à bras le corps l’expression de « spectacle vivant » : vivant, comme leur travail qu’elles veulent organique, sensible et ancré dans notre réalité. C’est ainsi qu’elles ont lancé très vite leur premier spectacle Folles alliées, profitant d’un temps de résidence à La Générale en novembre 2023 pour développer ce projet autour des femmes et de la psychiatrie. Un seul.e en scène qui s’est construit pendant plusieurs semaines de recherche, entre Anouk et Mélaine, et qui s’est concrétisé par une sortie de résidence le 11 janvier dernier. En attendant leurs futures représentations, les 29 et 30 mai prochain aux ateliers Magellan, Les oiseaux déguisés nous parlent de Folles alliées.
« C’est comme une grande fresque de plusieurs femmes qui à un moment donné sont réunies au même endroit. »
« Sur Folles alliées, il y a eu une sorte d’urgence pour plein de raisons : parler de la psychiatrie et particulièrement des femmes, de la parole des femmes et des personnes sexisées. » Tout a commencé à partir de textes apportés par Anouk, notamment ceux de Virginia Woolf. Ça a été pour elles le point de départ, sans savoir alors quelle serait la dramaturgie de la pièce. « Quand on regarde le sujet de la psychiatrie et des femmes, on a des soignant.e.s qui prennent la parole… quand le sujet est abordé ! On a des hommes qu’on traite de génies, mais la parole des femmes est compliquée… » Très vite, il a donc été question de porter ces voix passées sous silence : la mise en scène alterne donc entre des moments de jeu avec des textes littéraires et entre ces tableaux, des voix. Anouk explique : « Je ne voulais pas que leur parole soit jouée et je ne voulais pas que ce soit un texte littéraire. Je voulais que ce soit des témoignages. »
« La parole qu’on entend, la parole délivrée. On vous donne à écouter la parole de ces femmes. D’époques différentes, d’âges différents. »
Anouk et Mélaine ont donc travaillé conjointement pour donner vie à ces témoignages avec un seul.e en scène interprété par Mélaine : « L’idée, c’était le lien entre nous. Comment on se répond… toi t’as écrit un texte, et moi je le joue. D’où le « folles alliées ». J’en joue plusieurs et du point de vue du jeu ça fait du bien d’imaginer leurs histoires, de passer de l’une à l’autre. » A partir de ce lien noué entre les deux artistes, il a fallu trouver comment mettre en lumière les portraits croisés de ces femmes. Pour Mélaine, l’essentiel est passé par le corps : « Je n’ai pas trouvé d’autres moyens pour aimer ces personnages-là que dans une incarnation physique. On est passées par toute une phase de réappropriation de mon corps comme outil de travail à travers des exercices de danse, quelque chose de très organique. » Un travail porté par Mélaine pendant près d’une heure sur scène, pour lequel elle puise dans des danses comme le Buto, cet art scénique japonais qui s’apparente à une lente dislocation des membres.
« Le spectacle s’ouvre sur une danse qui, selon d’où on la regarde, peut apparaitre comme une crise. »
Une interprétation vivante qui tombe sous le sens pour Anouk : « le théâtre n’est pas un travail littéraire. Le texte est un support technique. L’outil du comédien, de la comédienne, c’est propre à chacun, c’est concret, c’est du domaine du sensible. Ça passe par la voix, le corps. C’est de l’artisanat. »
De la violence pour parler de la violence
En utilisant de vrais témoignages, c’était aussi la vérité que cherchait à partager la Compagnie. Dans son travail d’écriture, Anouk n’a pas voulu travestir le réel : « Le soin est nécessaire car c’est une souffrance, mais le soin tel qu’il est prodigué aujourd’hui, il est maltraitant et il fallait le montrer aussi. Quand on est interné.e dans des hôpitaux publics, c’est d’une extrême violence. » Une violence qu’il était nécessaire de montrer… au risque parfois de choquer le.la spectateur.trice ? Anouk s’est longuement interrogée sur cet aspect : « J’ai écrit une note d’intention. Car au fond, je ne sais pas ce qui peut être violent pour les uns et les autres. Ce sujet est violent et la violence c’est violent. Je ne saurais pas traiter d’un sujet violent sans violence. On en oublierait l’urgence de l’éradiquer. »
« C’était important pour moi de ne pas dire que les personnes qui ont un trouble n’en ont pas. Évidemment elles ne sont pas que ça et ça ne les empêche pas d’être superbes. »
« Un des tableaux du spectacle traite de la contention, du fait d’être contenu.e, attaché.e. c’était important de le montrer. L’immobilité, elle amène à la mort. » La violence dans Folles alliées passe également par l’utilisation de la voix et du cri. Un sujet qui a lui aussi été largement discuté lors de la création du spectacle, nous explique Mélaine : « On s’est beaucoup questionné sur le cri. On était timides sur ça, avec l’idée de ne pas vouloir reproduire des images de femmes hystériques, et il nous est apparu que cette réalité-là il ne fallait pas qu’on la cache. Quand ça crie, ça crie de douleur. » Pour autant, Folles alliées est aussi un cri d’espoir sur le rétablissement mental : « Les tableaux et témoignages montrent des troubles très divers. On finit avec le dernier tableau qui montre qu’il y a quand même un espoir et la possibilité de vivre avec son trouble. »
« Folles alliées » : la suite
Les oiseaux déguisés auront l’occasion de travailler à nouveau sur ce spectacle pendant quelques jours de résidence, en mai prochain, qui se concluront par deux représentations aux ateliers Magellan (12 quai Magellan, 44000 Nantes), les 29 et 30 mai 2024. En attendant, elles développent dors et déjà d’autres projets, comme celui d’une adaptation du conte d’Andersen La petite fille aux allumettes. Anouk nous parle de ce choix : « Parce que ça parle du réel, de ce qu’on ne voit pas. Et de la précarité. Qu’est-ce que c’est la petite fille aux allumettes ? C’est une gamine qui meurt dans la rue une nuit du saint sylvestre en regardant la bourgeoisie bouffer. Alors qu’on a un président qui nous a promis « plus personne dans la rue », il n’y a jamais eu autant de monde dehors. Et ça déborde, même si on essaie de le cacher. On n’a jamais eu autant de logement vide. Ce conte-là il parle de ce qu’il se passe aujourd’hui. » Du spectacle vivant bien ancré dans sa réalité !
Vous pouvez suivre l’actualité de la compagnie des Oiseaux déguisés sur leur page Instagram pour ne rien rater de leurs projets en cours ou prendre contact pour des stages et ateliers de théâtre.