“Alors, on en est à combien aujourd’hui ?”. Depuis la rentrée de janvier, la question est quotidienne lorsqu’un‧e membre de la vie scolaire passe le pas de la porte du bureau. Les lignes rouges sur le tableur Excel s’accumulent et s’additionnent. Chacune d’entre elles correspond à un élève positif au Covid-19. Derrière l’ordinateur, Agathe*, la trentaine. Elle est assistante d’éducation (AED) depuis neuf ans dans un établissement privé nantais qui accueille près de 1500 élèves. Par un hasard d’organisation, elle se trouve en septembre 2020 à gérer, en lien avec l’infirmière, une explosion de cas de Covid-19 dans une classe de seconde. Elle se propose en renfort et sollicite auprès de sa direction des heures dédiées au covid-tracing. “Au début ce n’était pas grand chose, environ quatre heures par semaine. En fonction des vagues et du niveau de personnes touchées, ces heures augmentent ou baissent. Jusqu’à ce que ça devienne en janvier 2022 ma seule activité. Pendant cinq semaines, j’y ai consacré tout mon temps de travail”.
L’exceptionnelle mobilisation des assistant‧es d’éducation
Entre covid-tracing, protocoles en cascades, enseignant‧es et personnels malades, le quotidien des surveillant‧es est le plus souvent un casse-tête permanent. Ils et elles endossent, depuis le début de la pandémie, de multiples casquettes sans n’avoir reçu aucune formation spécifique et sans que cela ne fasse partie de leur fiche de poste initiale. “On a l’impression d’être devenu une antenne de l’ARS” confie Juliette*, 22 ans. Elle, qui travaille dans un lycée public du sud de Nantes depuis un an et demi, décrit un quotidien surchargé, des collègues à cran et un sentiment de servir de “variable d’ajustement”. Le tout sans aucune compensation financière relative à cette surcharge de travail.
#grèvedu13janvier 80% de grévistes chez les #AED, une mobilisation exceptionnelle, de nombreuses vies scolaires fermées. La colère est immense chez des personnels en première ligne pour gérer les protocoles incompréhensibles.#AEDenGrève13Janvier https://t.co/bsta7BR84o pic.twitter.com/3im7bMbDfR
— SNES-FSU (@SNESFSU) January 13, 2022
C’est pourquoi elle, ainsi que l’intégralité de l’équipe de vie scolaire de son établissement, a fait grève le 13 janvier dernier, répondant à l’appel de très nombreux syndicats et fédérations de l’Éducation nationale. Une grève qualifiée d’“exceptionnelle” par l’ampleur et l’unité de cette mobilisation. Pourtant, ce qui n’a pas fait grand bruit, c’est ce chiffre, avancé par le syndicat national SNES-FSU (premier syndicat des personnels enseignants, d’éducation et d’orientation de second degré) : 80% des AED auraient fait grève ce jour. Un pourcentage plus important encore que celui des enseignant‧es, qui trahit une spécificité de leurs conditions de travail et une réalité : ce sont sur leurs épaules que repose toute la charge organisationnelle autour de la crise sanitaire actuelle.
La cinquième vague révélatrice de dysfonctionnements
“Je ne doute pas de la difficulté que c’est de faire cours aux élèves avec un masque, ni de devoir gérer les cours en distanciel. Mais je pense que la pression que l’on ressent en tant qu’AED est décuplée car elle est permanente. On côtoie deux milles élèves, de 7h45 à 18h, en continu” analyse Juliette, qui a fait grève car elle était “épuisée”. Une fatigue corrélée avec l’arrivée de la cinquième vague. A partir du 3 janvier 2022, date de la rentrée des vacances d’hiver, le nombre de cas de Covid-19 a explosé dans toutes les écoles. Dans le collège-lycée privé d’Agathe, il y a eu près de 390 cas positifs. Dans le lycée de Juliette, jusqu’à deux tiers des effectifs ont été absents.
Clémentine, assistante d’éducation dans un collège REP+ (Réseaux d’éducation prioritaire renforcée) de Nantes, n’a pas fait grève le 13 janvier 2022. Non pas par manque d’envie, mais pour des raisons financières. « Ça coûte trop cher ! Pourtant j’avais des raisons de vouloir aller manifester. Les protocoles annoncés trop tardivement, des consignes irréalistes à mettre en place et le fait que nos avis ne soient pas pris en compte dans la décision du maintien des écoles ouvertes, entre autres”, explique celle qui travaille depuis quatre ans dans un petit établissement de 340 élèves. Agathe, non gréviste pour la même raison, renchérit : “J’aurais aimé dénoncer la très grande précarité de notre métier, considéré comme un petit job temporaire alors que c’est une fonction très complète qui nécessite plein de compétences différentes”.
Une confiance à reconstruire
Les trois femmes ont toutes témoigné de leur sentiment d’être en première ligne et du manque de reconnaissance envers leur travail, de la part des parents, des professeur‧es, de leurs directions et de l’État. “C’est nous qui sommes au contact des élèves sur tous les temps où ils et elles ne sont pas en classe et qui faisons le lien avec toutes les familles” relève Clémentine. Toutes trois ont également mentionné un moment charnière de leur journée : “Dans le self chaque midi, on surveille 500 à 700 élèves sans masque dans un espace clos” témoigne Agathe. “On est en contact avec un large public qui a de fortes probabilités d’être touché par le Covid, donc on est exposé également, pourtant personne ne parle de nous”, soupire Juliette.
“Heureusement qu’on est débrouillard‧es, note-t-elle, car on a été en sous-effectif” jusqu’aux vacances scolaires de février. En effet, au plus fort de la pandémie, le quotidien a été quelque peu chaotique. Les missions des AED ont changé du tout au tout au dépend de leurs missions initiales. “Il est difficile de trouver du temps pour faire autre chose que ce qui est relatif au Covid, au mépris de la relation et du suivi des élèves” constate amèrement Juliette. La pandémie a d’ailleurs exacerbé les fragilités de certain‧es élèves, le décrochage scolaire, les phobies et autres angoisses. La vigilance des assistant‧es d’éducation doit être d’autant plus grande qu’il est de plus en plus compliqué d’instaurer un lien de confiance avec les jeunes. “Le plus usant est de faire la police en permanence concernant le port du masque, le respect des distances, les sens de circulation… On passe notre temps à trier, séparer, ranger les ados, ce qui déshumanise nos rapports” regrette Agathe. “Ce n’est pas le genre de relations qu’on veut entretenir avec nos élèves”, renchérit Clémentine.
Alors que le taux d’incidence du Covid semble repartir à la hausse et que le port du masque n’est plus obligatoire même à l’intérieur depuis le 14 mars, les AED sont quelque peu inquiètes. Agathe, qui n’a encore jamais contracté le virus, en est persuadée, dans les prochaines semaines elle n’y coupera pas.
*les prénoms ont été modifiés