Ai WeiWei est un homme du monde. Un artiste qui fait œuvre d’humanité an se servant de l’art comme poil à gratter nos consciences collectives. Parfois surnommé Ai Welai (celui qui aime l’avenir) l’artiste chinois est à la fois photographe, sculpteur , architecte et aime à défier les autorités chinoises. Ce qui lui a valu deux mois de prison pour dissidence en 2010. Il est emprisonné quatre-vingt-onze jours sans inculpation. Libéré, il ne peut quitter la Chine qu’en 2015.
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« Lorsqu’un homme n’a pas la moindre considération pour la douleur et le d’espoir d’autrui cet homme sera lui-même oublié. C’est la cause de la disparition de la morale et de l’éthique et c’est l’explication des périls successifs que nous affrontons. »
Son documentaire Human Flow met en lumière le flux migratoire à l’œuvre à l’échelle de la planète. Il nous rappelle qu’en 2016, 65 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur pays dans le monde pour fuir la famine, les bouleversements climatiques, la guerre. Pour réaliser son documentaire il a tourné pendant un an aux quatre coins du globe, a missionné 200 techniciens postés dans 23 pays et s’est entouré de 7 monteurs. Son film de deux heures trente a été réalisé à partir de plus de mille heures de rushs.
La force du film provient de ces moyens dispensés pour évoquer l’ampleur planétaire du flux migratoire.
La première image, éblouissante, montre la mer méditerranée vue du ciel et son apparente tranquillité. A cette image fait écho, de manière glaçante, la dernière image : celle d’une montagne de gilets de sauvetages derrière laquelle on devine les drames possibles.
Il suit les traces d’hommes et de femmes forcés à l’exil ou reclus dans des camps de transit qui parfois n’ont plus rien de transitoire comme ce camp palestinien au Liban vieux de 60 ans. Sa caméra capte ces flux au-delà de l’occident : en Afghanistan, en Birmanie, en Israël, en Irak, au Kenya, au Mexique, il reconstitue le parcours des réfugiés. Il universalise son propos en rappelant que sur les 65 millions de personnes forcées à quitter leur pays seul 1 million sont présentes dans toute l’Europe. Il souligne que le continent africain à lui seul accueille 25% des réfugiés au monde , soit plus de 15 millions. Que la Jordanie peuplée de 9,5 millions d’habitants accueille à elle-seule 1,5 millions de syriens, l’équivalent de 60 millions de personnes dans toute l’union européenne.
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Sa caméra capte la vie dans les camps au quotidien. Dans ces camps, on est nulle part et on est personne. L’identité de chacun est réduite à sa plus simple expression d’homme cherchant à survivre, jour après jour. Le désespoir est prégnant, l’intimité inexistante. C’est l’image déchirante d’une humanité poussée à la marge que Ai Wei Wei va chercher dans cette enquête de terrain sans commentaire, sans musique, entrecoupée par des extraits de poètes perses ou arabes et de gros titres de la presse internationale.
Images d’une colonne de réfugiés en Europe, qui rappelle un autre temps d’exode, hommes, femmes, enfants, éreintés, tels des fantômes, bloqués à la frontière gréco-macédonienne. D’un mur érigé en Hongrie qui rappelle de funestes moments de l’histoire européenne. D’un groupe de passagers d’un canot égaré évacués dans un calme plombant. De chants cristallins entonnés par un groupe d’érythréens sur un bateau de sauvetage en méditerranée D’un père étreignant son enfant épuisé par le froid et lui murmurant des mots qui rassurent. Du vent sec balayant le camp de Dabbab au Kenya. De militaires en treillis en Jordanie portant des enfants ou soutenant des vieillards à la frontière syrienne. D’une colonne de personnes muettes recouvertes par du papier aluminium doré à leur arrivée en Italie. De pancartes suppliantes sur le sol européen : « UE, ne nous renvoie pas dans cet enfer ».
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« UE, ne nous renvoie pas dans cet enfer ! »
Ai WeiWei se met parfois en scène pour rendre le propos plus humain, pour introduire un peu de compassion et d’humour, politesse du désespoir, dans ses échanges avec des migrants.
Les images se suffisent à elles-mêmes. Et les seuls jugements moraux sont portés par des citations de poètes comme Baba Tahern, persan du 11ème siècle : « Je suis cette mer entrée dans un vase », ou le poète turc Nazim Hikmet condamné à l’exil en 1950 après des mois d’emprisonnement : « Je veux le droit à la vie , du léopard au printemps, de la graine qui éclot. Je veux le droit du premier homme. »
Ai WeiWei n’a pas de message politique à délivrer. Et pourtant son œuvre est éminemment politique de par son engagement pour les invisibles. Il nous rappelle avec force et brio que le droit à migrer est constamment bafoué, que les murs et les frontières continuent à être érigés dans notre village global : 11 pays étaient isolés par des frontières en 1989, 70 en 2016. Il nous rappelle que l’histoire sera juge de nos frilosités. Que personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.
Pour Ai WeiWei l’artiste porte une responsabilité car, selon lui, l’art nous permet de mieux savoir qui nous sommes, dans quel genre de monde nous vivons et à quels rêves nous aspirons. Et avec ce documentaire bouleversant d’humanité, Ai WeiWei aura largement fait sa part d’artiste.