9 juin 2022

Jeune diplômé déjà en reconversion professionnelle : un grand écart entre deux métiers

Le rapport au travail évolue au sein de la société. Un certain nombre de jeunes, souvent diplômé.e.s se posent des questions quant à leur parcours professionnels. Le sens de leur travail, les ruptures déjà envisagées en débutant leur carrière, autant de sujets qui traversent les débats d’aujourd’hui.

Jeune diplômé déjà en reconversion professionnelle : un grand écart entre deux métiers

09 Juin 2022

Le rapport au travail évolue au sein de la société. Un certain nombre de jeunes, souvent diplômé.e.s se posent des questions quant à leur parcours professionnels. Le sens de leur travail, les ruptures déjà envisagées en débutant leur carrière, autant de sujets qui traversent les débats d’aujourd’hui.

Pour en savoir plus Fragil est allé à la rencontre de Mathieu trentenaire en voie de reconversion. De l’informatique au vélo, il a franchi le pas pour une nouvelle aventure professionnelle. Pourquoi et comment en est il arrivé à ce changement radical ?

Fragil :  Avant de rentrer dans le vif du sujet de votre reconversion, pourriez vous parler de votre parcours ?

Mathieu : « Quand j’étais au lycée, en première il fallait que je m’interroge sur ce que j’avais envie de faire et je n’avais pas vraiment d’idée. En classe de première, durant l’ été je suis tombé sur un site internet ou j’ai appris un langage informatique pour créer des applications sur ordinateur et cela m’a plu. J’ai donc poursuivi par un Bac S et naturellement je suis rentré dans une école d’ingénieur informatique (Polytech à Angers) où j’ai fait cinq ans d’études. La dernière année je devais faire un stage long que j’ai pu réaliser dans une start up à Paris où je suis resté pendant six mois. »

Fragil :  Après vos études comment êtes vous entré dans la vie professionnelle ?

Mathieu: « Lors d’une conférence j’ai rencontré un recruteur et j’ai été embauché tout de suite dans une nouvelle start-up prestataire de services pour des grosses entreprises dans le développement Web. J’y suis resté cinq ans. A la fin de cette période mon entreprise a décidé d’ouvrir une filiale à Nantes. Originaire de la région cela m’a permis d’y revenir. De là, j’ai travaillé deux ans au siège du Crédit Mutuel à Nantes toujours pour le compte de cette entreprise. »

Mathieu devant sa nouvelle création

Fragil: A quel moment vous êtes vous posé la question de votre reconversion professionnelle ? 

Mathieu: « Les dernières années, je commençais à m’ennuyer, j’avais du mal à accepter le fonctionnement des entreprises où on nous demande surtout de faire de la rapidité et de la rentabilité au détriment de la qualité. De plus les cadres à différents niveaux nous faisaient des commandes contradictoires. Cela engendrait parfois des heures de travail sur un projet qu’il fallait abandonner pour un autre, les objectifs ayant changés entre temps. Avec les années cela devient pesant et on n’arrive pas à faire changer les choses de l’intérieur. Je ne trouvais plus vraiment de sens à ce que je faisais, produisant des offres souvent inutiles. »

Fragil:  Qu’est ce qui vous a amené à franchir le pas pour envisager un nouveau métier ?

Mathieu: « Quand je suis arrivé à Nantes, j’ai commencé à m’intéresser au vélo, le pratiquant déjà un peu moi-même. Il se trouve que l’on m’a donné un vélo de course et j’ai pu ainsi expérimenter lors de voyages longs en vélo. J’y ai pris du plaisir avec du matériel fiable et rapide, qui ne demandait pas de très grands efforts. Étant curieux des fonctionnements techniques de manière générale, j’ai fait des recherches sur internet pour en savoir plus sur les modes de fabrication. J’ai alors découvert par hasard un professionnel qui fabriquait des cadres de vélo sur mesure. Cela m’a vivement intéressé.
Aussi pour découvrir le métier je suis allé en stage une semaine avec lui. j’y ai appris à découper et souder les tubes. Il n’y a pas d’école spécifique pour cela. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait que trois entreprises en France qui réalisaient du vrai sur mesure et non en grande séries. Cela m’a donné envie d’aller plus loin car il n’y en a pas dans notre région. C’est pourquoi j’ai demandé en septembre 2021 une rupture conventionnelle à mon entreprise qui savait déjà depuis longtemps que je voulais partir. »

Fragil: Comment concrètement vous êtes vous engagé dans ce nouveau métier ? 

Mathieu : «J’ai cherché un atelier pour m’installer. J’ai alors répondu à une annonce du Bon coin de quelqu’un qui cherchait des colocataires dans un atelier partagé situé à Basse Indre et ce concept m’a plu. Cet atelier est occupé par d’autres entrepreneur.se.s (tapissière, couturière, entre autres). Ils sont cinq à partager leur quotidien dans ce lieu en tant qu’artisans .
Dans le développement de mon projet, je suis actuellement sur une étape préparatoire pour m’assurer que je maîtrise vraiment la fabrication de ces vélos. J’ai ainsi sept vélos à fabriquer pour des commandes d’amis. Cela va me permettre de me confronter au sujet mais je vois déjà que je progresse vite dans la réalisation. »

Un vélo en devenir

Fragil :  Comment envisagez vous l’avenir de votre activité ?

Mathieu : « Après cette phase technique, à partir de septembre, je compte travailler sur l’aspect commercial pour évaluer la rentabilité du projet. A quel tarif je pourrais vendre les vélos et quelle communication je devrais faire pour me faire connaître, quel statut à cette activité. Je n’évalue pas encore la viabilité du projet. Je compte aussi me faire accompagner par les organismes spécialisés sur la création d’entreprises, n’ayant pas de formation commerciale. »

Fragil :  A l’avenir qu’est qui vous fera dire que vous avez réussi cette reconversion ?

Mathieu : « Tout d’abord cela me rassure pour le moment de me dire que je ne suis pas sans ressources et que j’ai du temps devant moi pour avancer. De plus je sais que j’ai un métier, je pourrais y retourner si besoin sachant qu’il faudra que je me reforme, l’informatique étant un secteur qui évolue très vite. Mais déjà avant de quitter ce métier je savais que je ne l’exercerais pas toute ma carrière.
En tous cas, pour moi, la reconversion ne s’est pas jouée sur un déclic mais par une lente maturation pour passer d’un métier à un autre très différent. Pour l’instant je m’y retrouve, mais il est trop tôt pour savoir si cela sera durable ou pas. »

Le témoignage de Mathieu est-il un cas isolé ?

Selon le site Visiplus Acdemy qui a réalisé une enquête intitulée « Les actifs français et la reconversion professionnelle » :
« 49% des actifs envisagent, effectuent ou ont déjà réalisé leur reconversion professionnelle en juin 2021. 62 % d’entre eux sont des jeunes entre 18 et 24 ans ».

Ce qui les pousse à se reconvertir ? l’enquête réalisée auprès de la population  montre en premier l’ennui et le sens au travail, puis la pression au sein de l’entreprise et l’épuisement professionnel. A cela il faut rajouter la crise sanitaire qui a provoqué aussi beaucoup d’interrogations chez les actifs.

Le témoignage de Mathieu fait donc écho à un contexte sociétal, particulièrement pour les jeunes. Être diplômé ne suffit pas toujours pour certains à trouver un épanouissement professionnel. Pour se reconvertir encore faut-il des conditions de vie favorables pour oser le changement et se lancer dans une nouvelle aventure !

Aux lecteurs et lectrices de Fragil : vous êtes jeunes et vous êtes en cours ou avez changé radicalement de profession, vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous en faire part pour en témoigner dans un futur article (asso@fragil.org) !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017