• Ali devant un logement nantais
1 février 2024

Jeunes et racisé·es, la recherche de logement à Nantes a été un combat

Alors que la recherche de logement dans les grandes villes est déjà complexe pour les jeunes en France, les témoignages d’Hamidou, Ali, Mélanie et Stanley, quatre jeunes racisés, nous mettent face à une autre réalité. Entre discriminations subtiles et préjugés tenaces, leurs recherches d’appartement à Nantes se sont avérées compliquées.

Jeunes et racisé·es, la recherche de logement à Nantes a été un combat

01 Fév 2024

Alors que la recherche de logement dans les grandes villes est déjà complexe pour les jeunes en France, les témoignages d’Hamidou, Ali, Mélanie et Stanley, quatre jeunes racisés, nous mettent face à une autre réalité. Entre discriminations subtiles et préjugés tenaces, leurs recherches d’appartement à Nantes se sont avérées compliquées.

En mars 2022, une campagne de testing menée par SOS Racisme révélait la docilité de près de la moitié des agences immobilières face à l’exigence de critères discriminatoires de certains propriétaires. Selon la campagne publiée dans un article Franceinfo, « les personnes d’origine subsaharienne ou maghrébine ont une chance sur deux de contacter une agence qui accepterait de pratiquer ou de laisser pratiquer une discrimination à leur endroit« . Et les témoignages recueillis ci-dessous en atteste.

Hamidou, 21 ans, nous raconte : “En 3 mois de recherche, j’ai dû postuler à entre 50 et 100 offres de logement, pour moins de 5 visites”, il ajoute, “pourtant j’ai plutôt un bon dossier, payer mon loyer et mes factures, ce n’est pas un problème”.
En effet, Hamidou cumule 2 emplois, ce qui lui permet de gagner correctement sa vie. Mais son dossier continue de se faire refuser par la majorité des propriétaires.

“J’avais compris le fond de sa pensée et je n’avais pas envie de débattre”

Je me souviens d’une dame avec qui ça s’était très bien passé au téléphone, mais quand je suis venu faire la visite, elle est tout de suite devenue perplexe”. Il ajoute : “J’étais pourtant bien habillé”. L’incompréhension, c’est la première chose qu’Hamidou a ressenti après avoir vécu une telle situation, mais la multiplication de ce genre d’expériences vont habituer le jeune homme à ce genre de réactions hostiles.
Ma pire expérience, est cette fois téléphonique” annonce-t-il, “’c’est quand le gars m’a rappelé après que je lui ai envoyé mon dossier et ma photo d’identité, il m’a dit “j’ai vérifié votre travail, ça paye pas bien” après, il a ajouté “j’ai pas envie d’avoir des problèmes, avant, j’ai loué à des africains et chaque mois ils repoussaient le loyer au mois prochain”. Choqué, la première réaction d’Hamidou a été de se défendre : ”Je lui ai répondu que je cumulais deux travails et que j’étais éducateur sportif donc je pouvais gérer financièrement”, il continue “mais j’avais compris le fond de sa pensée et je n’avais pas envie de débattre, j’ai dit “ok il n’y a pas de soucis” et j’ai raccroché”.
Ce genre de comportements a fini par épuiser le jeune éducateur sportif, qui finit par confier : “je trouve que c’est dur de trouver un appartement quand t’es pas blanc”.

“En 2 jours, ma mère avait décroché avec son profil autant de visites que moi en 1 mois”

Ali, jeune intérimaire de 21 ans partage le même avis : “C’est plus facile quand t’es blanc en France, c’est comme ça”. Pour lui, la recherche d’appartement a abouti, mais n’a tout de même pas été simple, il déclare : “J’ai dû postuler à plus de 100 annonces et j’ai mis un mois à trouver mon appartement”.
Le jeune intérimaire va décrocher 8 visites, mais la plupart du temps, les propriétaires vont le laisser sans nouvelles. Le plus marquant pour lui reste la différence de traitement dû à son prénom. “Au vu de mon prénom et nom, on m’a sûrement ignoré ou laissé en « vu » parce que je m’appelle Ali, mais je ne pouvais pas attester que c’était du racisme”. Il poursuit : “Cependant, ma mère, qui a un prénom français m’a aidé à faire ma recherche d’appartement”. Et c’est là qu’il a réalisé : “En 2 jours, ma mère avait décroché avec son profil autant de visites que moi en 1 mois”, “En postulant aux mêmes annonces, on lui répondait trois fois plus qu’à moi”.
Ce genre de choses, Ali n’y prête pas attention, il conclut : “c’est comme ça”.

Le poids des préjugés

Mélanie, 22 ans, étudiante et salariée s’attendait à être confrontée au racisme, tout comme Stanley* son ami juriste de 27 ans. Tous deux originaires de Martinique, iels sont habitué·es aux amalgames liés à leur île.
Stanley nous raconte, lors d’une visite : “L’appartement ne m’intéressait pas trop alors j’ai discuté avec le propriétaire, il m’a annoncé clairement qu’il était réticent à prendre les Antillais, parce qu’il pensait que nous n’avions pas les mêmes droits qu’en France”. Il poursuit : “Les gens sont ignorants et ont des préjugés sur les Antilles”.
Mais ce qui l’irrite le plus, c’est l’hypocrisie derrière ce racisme. Le jeune juriste me raconte sa pire visite. “Elle m’a dit que mes garants n’étaient pas bons, alors que je ne lui avais pas encore donné mon dossier […] certains propriétaires essayent tellement de justifier leur refus que leurs excuses ne sont même pas cohérentes” s’indigne-t-il.

“Vous êtes sûre que c’est vous ?”

Pour Mélanie, les premières difficultés sont aussi liées à la Martinique. “Pour certaines personnes, on fait partie du Tiers-monde donc certains pensait que mon profil était une arnaque, c’est un propriétaire qui a dit à mes parents clairement qu’étant donné que j’étais en Martinique, il ne pouvait pas avoir de garantie de notre part”.
Le racisme qu’elle a vécu, c’était toujours la même histoire. “À mon nom et mon prénom, on ne peut pas savoir que je suis noire, plusieurs fois, les propriétaires ont été surpris par ma couleur et je pouvais sentir leur appréhension”. Ce “contraste” entre son prénom et sa couleur de peau s’est démontré une fois en particulier : “Je me suis rendue à une visite et le monsieur m’a dit “c’est vous Mélanie ?” j’ai répondu oui, et il a renchéri en disant “Vous êtes sûre que c’est vous ?”« . Quand elle raconte cette anecdote, la jeune femme en rigole, mais cette expérience l’a vraiment marquée et a malgré tout affecté sa perception d’elle-même.

Les témoignages d’Hamidou, Ali, Mélanie et Stanley révèlent des expériences parfois douloureuses, soulignant l’importance cruciale d’une réflexion autour de l’égalité d’accès au logement en France.

*Prénom modifié

Léa, 19 ans, est étudiante en 3ème année de licence information-communication à Nantes. Journaliste en devenir, elle aime la création sous toutes ses formes, et possède surtout un réel attrait pour l’humain, ce qui l’a tout naturellement conduite à lancer le podcast Free Your Mind.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017