Créé en 1825 à l’Opéra-Comique, La dame blanche connut au XIXème siècle l’un des plus grands succès de l’histoire de l’opéra. L’ouvrage fut représenté dès mars 1826 à Nantes, où la dernière représentation au Théâtre Graslin date d’avril 1991 dans une mise en scène de Jean-Claude Auvray. Le livret d’Eugène Scribe trouve sa source dans deux romans de Walter Scott, Guy Mannering (1815) et Le monastère (1820), évoquant le Roman gothique anglais du XVIIIème siècle, dans la fascination des vieilles pierres et l’importance du surnaturel. La défense et l’achat d’une propriété, la mélancolie du passé et le coup de théâtre induit par un acquéreur improbable et ruiné font songer à La cerisaie de Tchekhov, mais l’œuvre s’impose surtout par son incroyable virtuosité. Le rôle de George Brown est à cet égard d’une difficulté redoutable ; le ténor Sahy Ratia s’en empare avec une aisance et une joie fabuleuses. Louise Vignaud signe un spectacle inventif et léger, qui a notamment été joué à l’Opéra de Rennes en décembre 2021. Au château de Castelnau par une chaude nuit d’été, la lune se détache dans le ciel entre deux tours tandis que les voix s’élèvent le long d’imposantes façades, en un fascinant dialogue avec la mémoire d’un site d’exception.
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…des images oniriques, d’une réjouissante naïveté, où il est possible de croire aux apparitions, aux miracles et aux retournements de situation.
Retour au pays de l’enfance
Le spectacle de Louise Vignaud joue avec la grandeur du château, dont les vieilles pierres de couleur ocre constituent l’arrière plan, avec une table blanche et des chaises au centre et quelques meules de foin pour l’aspect pittoresque. Les musicien·nes de l’Orchestre Les Siècles sont placé·es côté jardin, sous la direction pleine de vie de Nicolas Simon, vêtu d’un costume à plumes rouges introduisant tout un monde animalier, poétique et irréel. Un officier du roi, George Brown, arrive tel un étranger durant les préparatifs d’un repas. Ce personnage mystérieux semble venir de nulle part, étranger à lui même « comme un enfant volé » ne sachant pas bien qui il est. Son premier air, « Ah ! quel plaisir d’être soldat », est cependant d’une étonnante insouciance, avec de stupéfiants aigus. À la création de La dame blanche, on aimait se perdre dans de tels morceaux de bravoure dans le plaisir de l’instant, en marge de toute intention dramatique. Dans La fille du régiment de Donizetti, créé en français à l’Opéra-Comique en 1840, l’un des airs du ténor, « Ah ! Mes amis quel jour de fête ! », enchaîne ainsi neuf vertigineux contre-ut* ! Louise Vignaud retrouve une semblable immédiateté dans le jeu, le bonheur d’être sur scène reflétant cette joie de chanter. Elle invente des images oniriques, d’une réjouissante naïveté, où il est possible de croire aux apparitions, aux miracles et aux retournements de situation. Les choristes du Cortège d’Orphée apportent aux figures des convives de savoureuses présences dans les ensembles et une belle énergie. Le nouvel arrivant prend la place du parrain absent destiné au bébé dont on célèbre le baptême, retrouvant ainsi une famille alors qu’il parait avoir perdu toute trace de souvenir. L’enfance recherchée se décline dans ces étranges créatures animalières qui peuplent le plateau, rappelant l’univers des contes dans l’ombre des tours du château.
* Il s’agit d’une note, le do, plus aiguë d’une octave, que le do le plus aigu du registre habituel.
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Ce bestiaire des souvenirs perdus
Une mémoire retrouvée
L’action bascule dans une inquiétante étrangeté à l’évocation du château voisin, qui tombe en ruines et paraît hanté, d’un « garçon de la campagne qui deviendrait Seigneur » et d’un troublant rendez-vous avec la Dame blanche. La stupeur s’exprime alors sur les notes détachées de l’air « Je n’y puis rien comprendre », des éclairs illuminant les vieilles pierres de Castelnau et le chœur s’affolant : « Prenez garde, la dame blanche vous regarde, la dame blanche vous attend ». Marguerite, la vieille servante, vit dans cette mystérieuse propriété, traînant sa mélancolie du passé et rêvant de voir ses maîtres revenir. Elle tisse sa toile déguisée en araignée, dans ce bestiaire des souvenirs perdus. Majdouline Zerari donne à cette figure nostalgique un tempérament intense et de beaux graves. Le féroce intendant Gaveston, un paysan parvenu, voudrait acheter le château abandonné et le titre de Comte, mais les esprits du lieu perturbent ses projets. À minuit, on sonne l’arrivée d’un pèlerin, « Qu’il passe son chemin ». C’est George qui est finalement venu au rendez-vous avec la Dame blanche, « Viens gentille dame, de toi je réclame la foi des serments » ; la voix de Sahy Ratia explore avec agilité des notes suspendues et aériennes, tandis qu’apparaît au balcon, sur les accords délicats de la harpe, la figure blafarde du fantôme, aux ailes argentées d’une libellule. L’apparition incite l’étranger à assister aux enchères de la vente du domaine, tout en représentant une mémoire du lieu.
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Angers Nantes Opéra programme la nouvelle mise en scène de Louise Vignaud, Zaïde de Mozart, du 26 février au 5 mars 2023 au Théâtre Graslin.
La vente du château marque un retour au réel, même si la Dame blanche rôde toujours et qu’un homme vêtu de noir tenant une bougie apparaît à une lucarne. George Brown propose toujours plus, alors qu’il n’a rien, mais il retrouve peu à peu une mémoire affective, « cet air qui malgré moi fait couler mes larmes ». Dans un étourdissant retournement de situation digne d’une comédie de Molière, il se révèle finalement le fils légitime des propriétaires disparus. La Dame blanche fait tomber son masque : elle était en vérité Anna, la jeune orpheline élevée par les parents du nouveau Comte, qu’elle n’a jamais cessé de vouloir retrouver après l’avoir soigné d’une blessure durant un bref retour, quand il était soldat. Caroline Jestaedt construit ce personnage volontaire avec une magnifique présence, de somptueux aigus et un timbre riche en nuances, atteignant durant les duos avec George/Julien des moments de grâce. Ce spectacle était un enchantement vocal comme visuel. Une bonne nouvelle : Angers Nantes Opéra programme la nouvelle mise en scène de Louise Vignaud, Zaïde de Mozart, du 26 février au 5 mars 2023 au Théâtre Graslin.
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…l’exécution du sublime poème symphonique de Richard Strauss, Don Quichotte (1897), dans une réécriture d’Arthur Lavandier pour douze musiciens au Château de Montal.
Le festival de Saint-Céré a renouvelé, durant son édition de 2022, cette merveilleuse synthèse entre les œuvres présentées et la magie des lieux. L’un des autres temps forts a été l’exécution du sublime poème symphonique de Richard Strauss, Don Quichotte (1897), dans une réécriture d’Arthur Lavandier pour douze musicien·nes au Château de Montal. Ce concert a été repris le 12 février au Théâtre des Champs Élysées, sur des textes dits par le comédien Elliot Jenicot. Mais la musique se suffit à elle-même, et les musicien·nes de l’ensemble Ouranos restituent la variété des couleurs de la partition, ses accords envoûtants et toute son intensité, sous les étoiles surplombant ce château Renaissance et les champs tout proches, dans un moment unique. Le prochain festival de Saint-Céré se déroulera du 31 juillet au 12 août 2023 ; la programmation, qui réserve d’autres émotions fabuleuses, sera dévoilée en ce mois de mars.
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