Il est 8h30 ce vendredi. Le jour vient tout juste de se lever à Drefféac, une commune de 2 300 habitant·es située près de Pontchâteau, à 50 km de Nantes. Ici, point de salle de spectacle. Alors quand un car vient s’installer sur la place de l’église pour jouer de la musique baroque, c’est un évènement.
« J’ai su hier soir par ma fille qu’il y avait un super camion qui arrivait ce matin » confie cette mère de famille croisée dans la rue. « Elle m’a dit qu’il y aurait un spectacle et un goûter, qu’elle y venait avec l’école. Elle m’en a parlé 5 à 6 fois et je trouve ça super ».
Le maire, Phillipe Jouny, est là sur le parvis. Il attend les musiciens de l’Ensemble Masque pour les accueillir comme il se doit.
8h45. Un poids lourd bariolé aux couleurs de la région Pays de la Loire pointe le bout de son nez, hésite à s’engager sur la place, s’éloigne puis fait demi-tour pour revenir à l’endroit réservé. Le maire le guide et l’invite à prendre un café.
La course contre la montre
« Merci bien mais je n’ai pas le temps » lui répond le chauffeur en sautant du camion. « Je dois installer la scène mobile ».
Accrocher les escaliers d’accès, se brancher au compteur électrique, allumer les lumières, mettre en chauffe l’intérieur, placer le clavecin comme il faut, redresser les sièges. En 10 minutes chrono, tout doit être prêt.
9h. Les trois musiciens débarquent d’une voiture avec leurs instruments. Olivier Fortin s’empresse d’aller accorder son clavecin. Simon Pierre va s’échauffer dans une salle de la mairie. Il étire son cou et ses épaules. Il respire lentement et profondément. « Le matin, on est un peu raide » avoue-t-il. « Et comme il faut pouvoir bouger dans tous les sens, on a besoin de se détendre ».
Un divertissement pour les scolaires
9h45. Les élèves de l’école primaire de l’Arbre Enchanté sont déjà là, bien rangé·es en file indienne. À l’intérieur du camion transformé en petite salle de spectacle, les musiciens révisent leur partition et leur texte. Pour les jeunes scolaires, ils ont mis au point un divertissement. En une heure, ils vont leur raconter la journée d’un roi, une journée réglée comme du papier à musique : lever, toilette, repas, musique, chasse. Des scènes entrecoupées de musique baroque.
10h. Le jeune public entre dans le camion, découvre les lieux, s’assoit sur les 38 sièges qui leur sont destinés. Un drôle de personnage avec une couronne en papier leur raconte la vie de Louis XIV. Les élèves écoutent, rient, se prennent au jeu et à la fin de la représentation, les trois musiciens présentent leurs drôles d’instruments.
La leçon de musique baroque
« Savez-vous comment s’appelle cette espèce de piano ? » interroge Olivier Fortin. Quelques mains se lèvent. « Un clavecin » répond un des élèves. « Et savez-vous comment il émet du son ? » poursuit le chef de file de l’Ensemble Masque. Grand silence. « Grâce à des cordes que l’on pince » leur dévoile-t-il.
Puis c’est au tour du violoniste d’apprendre aux jeunes les mystères du son qu’il produit. « À votre avis, de quoi sont faites les cordes de mon archet ? » lance Simon Pierre à la foule de jeunes curieux et curieuses. « De queue de cheval. Sans tous ces crins, je n’arriverais pas à accrocher les cordes ». Stupéfaction dans la salle.
Dernière partie de ce quiz musical : trouver le nom de cet instrument qui ressemble fort à un violoncelle. « Une viole de gambe » finit par trouver un élève après plusieurs tentatives infructueuses de ses camarades. Et voilà qu’Etienne Floutier se met à jouer de la viole comme une guitare. Étonnant.
11h. Fin de la séance. Le compte à rebours est commencé. Le camion est attendu à 14h30 à Guémené Penfao et à 19h à Vay. Il ne faut pas trainer. Emmanuel Rousset, le chauffeur, replie tout, se débranche et file vers sa prochaine destination tandis que les musiciens vont rapidement saluer ceux qui les ont accueillis.
Mission réussie
Le maire de Drefféac est aux anges. Il ne pouvait pas rêver mieux pour ouvrir l’esprit de ses administré·es. « Si la folle Journée revient l’an prochain, je saisirai à nouveau l’opportunité » glisse-t-il avant d’ajouter. « En 2023, on va aménager un théâtre de verdure pour faire de la culture en plein air ».
Satisfaction aussi pour le directeur de l’école publique du village, Pierre André. « Les élèves ont été réceptifs. D’habitude, ils se contentent de regarder des spectacles devant un écran télé. Là, ils ont vu ce qu’était un spectacle vivant ».
Mission accomplie enfin pour la région Pays de la Loire qui finance cette opération de décentralisation comme le précise leur communiqué de presse : «Être partout et pour tous, c’est notre devise. Aller à la rencontre du public, provoquer des rencontres en proximité, c’est notre volonté».
Avec cette scène itinérante, 14 communes et 5 départements ont bénéficié de cette nouvelle initiative entre le 25 et le 29 janvier. Une action culturelle dans l’esprit de René Martin, le fondateur de cette Folle Journée.
La formule va bientôt fêter ses 30 bougies et elle connaît toujours le même succès. Sa recette est simple : démocratiser la musique classique, l’amener hors les murs et éduquer les publics éloignés à cette musique savante.