29 septembre 2020

La Nuée, le fléau au XXIe siècle

La Nuée, premier long-métrage du réalisateur Just Philippot, labellisé Cannes 2020, sortira en salles le 4 Novembre 2020. C’est un beau film qui marque le renouveau du film français de genre, sensible, émouvant et dérangeant à la fois malgré une fin un peu poussive.

La Nuée, le fléau au XXIe siècle

29 Sep 2020

La Nuée, premier long-métrage du réalisateur Just Philippot, labellisé Cannes 2020, sortira en salles le 4 Novembre 2020. C’est un beau film qui marque le renouveau du film français de genre, sensible, émouvant et dérangeant à la fois malgré une fin un peu poussive.

Virginie est veuve et mère de deux enfants. Elle se lance dans l’élevage de sauterelles pour sauver sa ferme de la faillite. Confrontée aux difficultés du métier et à la solitude, elle s’enfonce dans un rapport maladif avec les insectes et entraîne sa famille avec elle. 

Renouveler le genre

Le thème de la cellule familiale en crise était déjà présent dans le premier court-métrage du réalisateur, Ses Souffles (2015). Dans La Nuée, il entraîne le spectateur dans la descente d’une mère vers la folie, en douceur, faisant planer une ambiance de plus en plus pressante à mesure que l’histoire se déroule. Le film bascule petit à petit dans l’horreur et n’hésite pas à bousculer le spectateur en développant certains thèmes qu’il emprunte au cinéma de genre. Il ne tombe pas pour autant dans le gore ou le spectaculaire, sauf peut-être dans une scène finale un peu excessive. Les effets spéciaux signés Antoine Moulineau (Avatar, The Dark Knight) sont réussis, notamment pour l’animation des nuées de sauterelles, puisque réalistes et donc peu visibles.

Dans La Nuée se retrouve l’esprit de Grave, film de Julia Ducournau sorti en 2017 qui avait bousculé les codes du cinéma français d’horreur. Mais c’est aussi un film catastrophe du temps présent, catastrophe qui ne participe plus de l’anticipation comme le voulait le genre à l’origine. Il oscille sans cesse entre fantastique et réalisme. Il livre en filigrane une critique de l’agriculture d’aujourd’hui et dénonce l’inhumanité de toute la chaîne de production. L’achat de la farine de sauterelle à un prix toujours plus bas par des personnages antipathiques en est une illustration criante. La violence de l’histoire et la figure biblique du fléau que sont les sauterelles donnent au scénario la possibilité d’une double lecture, le film n’est pas simplement un drame d’horreur, il dénonce également la catastrophe annoncée d’un monde qui ne cesse de tirer sur la corde. Tous les personnages sont à la fois victimes et coupables. Victimes du monde dans lequel ils vivent, coupables d’y participer.

Le piège se referme

Les sauterelles, insectes à priori inoffensifs, sont un choix intéressant comme objet central et déclencheur de la tourmente. Très photogéniques, elles sont de nombreuses fois détaillées en très gros plans, et sont des personnages du film à part entière. C’est aussi par elles que monte l’inquiétude. Leur bruit strident est exploité jusqu’à devenir entêtant pour le spectateur et il participe à la progression de l’ambiance oppressante. Elles deviennent de plus en plus monstrueuses, grouillantes et agressives à mesure que Virginie sombre et développe avec elles un rapport morbide.
 Le film se déroule presque exclusivement dans la ferme familiale, le peu de lieux et de personnages participent à une sensation de piège qui se referme.

Le jeu des acteurs est juste, celui de Virginie (Suliane Brahim, aperçue dans Hors Norme de Éric Toledano et Olivier Nakache) est saisissant. Pour la première fois dans un premier rôle, l’actrice offre une belle surprise. Elle se transforme littéralement, elle devient de plus en plus maigre, tendue et explosive, sans jamais que cela sonne faux. Elle est accompagnée par Sofian Khammes (que l’on retrouve dans Le monde est à toi de Romain Gavras ou Poissonsexe de Olivier Babinet) discret mais percutant dans le rôle d’un viticulteur attentionné essayant de sauver la famille. Les enfants de Virginie, Laura (Marie Narbonne, déjà croisée dans la série Dix pour cent de Fanny Herrero) et Gaston (Raphaël Romand) sont les derniers piliers qui l’empêchent de sombrer totalement mais aussi les premières victimes de son égarement.

 

La Nuée

Réalisation : Just Philippot

Scénario : Jérôme Genevray, Franck Victor

Photographie : Romain Carcanade

Musique : Vincent Cahay

Effets spéciaux : Antoine Moulineau

Nationalité : Français

Durée : 1h41

Avec : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphaël Romand

 

Après des études en sociologie, je décide de me réorienter vers le journalisme. C'est une révélation pour moi. Passionnée par la photographie et le reportage, je mets ma curiosité au service d'histoires à raconter.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017