16 octobre 2024

L’art face aux violences judiciaires : ouvrir le débat

Ana Pich propose à Pol’n le jeudi 17 octobre une exposition de dessins d’audiences pour interroger les violences judiciaires. Accompagnée d’un débat réunissant avocat, ex-magistrates et auteur·ices, cette soirée invite à réfléchir aux dysfonctionnements du système judiciaire et à imaginer des solutions concrètes pour un changement profond.

L’art face aux violences judiciaires : ouvrir le débat

16 Oct 2024

Ana Pich propose à Pol’n le jeudi 17 octobre une exposition de dessins d’audiences pour interroger les violences judiciaires. Accompagnée d’un débat réunissant avocat, ex-magistrates et auteur·ices, cette soirée invite à réfléchir aux dysfonctionnements du système judiciaire et à imaginer des solutions concrètes pour un changement profond.

Ana Pich, auteure de la bande dessinée Chroniques de l’injustice ordinaire, inaugure une exposition de dessins d’audiences à Pol’n, un espace nantais engagé, pour aborder les violences judiciaires sous un angle différent. À travers ses œuvres, mais aussi un débat réunissant plusieurs intervenant·es critiques du système judiciaire, l’artiste espère ouvrir le dialogue et imaginer des solutions concrètes pour un changement en profondeur.

L’exposition : rendre visible l’invisible

À l’origine de ce projet, une proposition inattendue : au printemps dernier, Ana Pich a été invitée à exposer ses dessins lors d’un festival de bande dessinée. Elle y a vu l’opportunité de donner une nouvelle forme à ses croquis d’audiences, d’ordinaire visibles sur ses réseaux sociaux. « Les réseaux touchent un public déjà sensibilisé. Avec une exposition, on peut créer des échanges directs », explique-t-elle.

Pour l’occasion, l’illustratrice a retravaillé ses planches à l’encre de Chine, les agrandissant au format A3 pour en accentuer la lisibilité et l’impact. Chaque dessin illustre un moment de violence, de tension dans les tribunaux, des scènes souvent invisibles au grand public. « Le thème n’est pas réjouissant », concède Ana. L’objectif est de rendre ces violences accessibles, tangibles, pour ouvrir la porte à une réflexion plus large.

Un débat aux voix multiples

L’exposition n’est qu’une partie de l’événement. Autour de la table, Ana a réuni un panel d’intervenant·es venu·es de divers horizons. Parmi elleux, Basile de Bure, journaliste et auteur de La justice est-elle la même pour tous ?, un ouvrage éducatif accessible à toustes, destiné en premier lieu à la jeunesse. Il a découvert la réalité brutale de l’institution judiciaire en animant des stages de travaux d’intérêt général (TIG), ce qui a radicalement transformé sa perception.

Maxime Gouache, avocat et membre du Syndicat des Avocat·es de France, apporte également sa voix au débat, avec une vision très critique du système carcéral. À ses côtés, Lara et Juliette, deux ex-magistrates impliquées dans la revue Délibérée, apportent un regard plus nuancé, de leur expérience à l’intérieur du système. « C’est la première fois que je parle à des juges de manière consentante », plaisante Ana. L’idée est de confronter des points de vue différents, critiques de l’institution judiciaire.

De l’indignation à l’action : repenser la justice par la grève ?

Ce débat n’a pas pour but de seulement discuter des dysfonctionnements. Ana Pich veut pousser plus loin, vers l’action. Elle rêve d’une grève générale des magistrat·es, une action qui mettrait le système judiciaire à l’arrêt. « Contrairement à l’hôpital, si la justice s’arrête, personne ne meurt », affirme-t-elle. Elle interroge le conformisme des magistrat·es, ce qui les pousse à obéir sans remise en question. « Quand ils rentrent chez eux le soir, ressentent-ils vraiment le devoir accompli après avoir condamné quelqu’un à la prison pour quelques grammes de cannabis ? ».

Pour Ana, il ne suffit plus de débattre. L’exposition et le débat sont des moyens d’ouvrir la réflexion, mais le véritable enjeu est de proposer des actions concrètes. « On est déjà convaincu·es que la justice ne fonctionne pas, mais comment faire pour que ça change ? ». Cette soirée se veut donc un tremplin pour imaginer de nouvelles formes de résistance, en espérant que, tôt ou tard, les magistrat·es elleux-mêmes refusent d’obéir à un système qu’iels savent injuste.

Info pratiques :

Expo et table ronde autour des violences judiciaires, le 17 octobre 2024 à POL’N.
Vernissage de l’expo des dessins d’audiences d’Ana Pich à partir de 18h30, avec une sélection de livres et de BD de la Librairie Invisible.
À partir de 20h, début de la table ronde avec comme invité.es : la revue Délibérée, l’auteur Basile de Bure, le procureur général Stéphane Cantéro, et le Syndicat des avocat.es de France.
Entrée prix libre, bar et librairie sur place.

Affiche de l’événement Pas de Justice Pas de Paix

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017