18 décembre 2017

Latifa: « Je vais là où il y a de la peur »

Fragil a eu la chance d'assister à la projection de "Latifa, le coeur au combat", documentaire retraçant le combat de Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad Ziaten, premier militaire assassiné à Toulouse par le terroriste Mohammed Merah le 11 mars 2012. Retour sur une soirée pleine d'émotions.

Latifa: « Je vais là où il y a de la peur »

18 Déc 2017

Fragil a eu la chance d'assister à la projection de "Latifa, le coeur au combat", documentaire retraçant le combat de Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad Ziaten, premier militaire assassiné à Toulouse par le terroriste Mohammed Merah le 11 mars 2012. Retour sur une soirée pleine d'émotions.

Il est 19h30. Le ciel est dégagé et les températures sont clémentes. L’appréhension commence à m’envahir. Je sais que ce moment va être particulier mais je ne sais pas à quels sentiments je vais devoir me confronter. Nous sommes tous assis les uns à côté des autres en se questionnant du regard sur l’expérience que l’on va vivre. Petit à petit les voix s’apaisent pour laisser place à un silence qui en dit long. Le film démarre. Les premières secondes donnent un avant goût des minutes voire des heures qui vont suivre. L’émotion est au rendez-vous et nous transporte tous, peu importe d’où l’on vient. Je ne vais pas vous raconter les différentes séquences du film car cela serait aller à l’encontre du message qui est transmis. Nous ne sommes pas seulement confrontés à notre histoire, on nous dépeint une société ancrée dans la différence et le manque d’attention vis-à-vis de celui qu’on considère comme “l’autre”. C’est une société dont l’histoire ne s’écrit pas de la même manière selon qu’on s’appelle Julien, Mohammed ou bien Rachid.

C’est une société dont l’histoire ne s’écrit pas de la même manière selon qu’on s’appelle Julien, Mohammed ou bien Rachid.

Je ne vous parle pas de religion, ni de nationalité puisqu’ils sont tous Français. Je viens vous parler de ce terme qui n’a pas la même connotation pour tout le monde : l’intégration. Vous avez sans doute remarqué que je n’ai toujours pas abordé l’histoire du personnage principal de ce film : je crois que je ne m’attendais pas à vivre une expérience aussi émouvante que bouleversante. Je veux trouver les mots justes pour que vous puissiez vivre cette expérience à travers ces mots.
Ce film suit le combat de Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad Ziaten, premier militaire assassiné à Toulouse par le terroriste Mohammed Merah le 11 mars 2012. Cette femme a refusé de rester enfermée dans sa souffrance pour clamer haut et fort l’importance de croire en la vie et en ce que l’on est. Elle a refusé le silence pour tous ces hommes et ces femmes que la vie n’a pas gâtés, pour tous ces autres qui cherchent encore leur place dans cette société. On se retrouve confronté à une femme charismatique, une héroïne des temps modernes qui a choisi de ne pas rester victime là où la vie l’avait mise. Marathonienne inépuisable pour certains, elle est l’emblème d’un combat pour d’autres. “Ma force c’est que je n’ai pas peur des gens que je dérange, je vais là où il y a de la peur, où il y a du risque. J’ai perdu plus qu’un fils, j’ai perdu une moitié de moi”. En refusant de se mettre à genou, Imad Ziaten est devenu un symbole pour les musulmans.

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Dans ce film nous sommes confrontés à nos blessures, pour certaines bien refermées et pour d’autres toujours sensibles. On revoit les images des attentats qui font désormais partie de l’histoire, de notre histoire. Comme le rappelle Latifa, l’histoire ne s’arrête pas à ces atrocités, elle s’écrit d’une autre manière. Ce film n’est pas qu’une leçon, c’est aussi une réconciliation avec la vie. On est face à des valeurs auxquelles on ne prête plus forcément attention aujourd’hui. Nous sommes tous responsables puisqu’on ne prend plus la peine de s’intéresser à la personne assise en face de nous. “Aujourd’hui on va chez les gens, ils ne peuvent pas vous offrir un café, ils n’ont pas le temps”. L’ignorance et la peur créent la haine.

Ce film n’est pas qu’une leçon, c’est aussi une réconciliation avec la vie.

Il faut connaître pour comprendre et souvent il y a de l’intolérance quand on ne connaît pas. Il n’existe malheureusement pas de livres qui nous apprennent à mener notre vie sans écarts. La vie n’est pas un long fleuve tranquille c’est pour cela qu’il est important de dresser cette jeunesse vers le haut. On est certes dans un monde où la simplicité est de rigueur mais il est important de rappeler que ce n’est pas parce qu’on est à un endroit qu’on ne peut pas faire plusieurs choses à la fois. Un père ayant perdu sa fille de 16 ans témoigne qu’il a un devoir de revanche de vivre deux fois plus et qu’on nous devons faire équipe avec nos enfants disparus pour témoigner sur la vie.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/12/image11.jpg » credit= »Le Blog de PRH France » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

La religion est une des thématiques qui anime ce film. Les religions ont toutes des caractéristiques communes et aucunes d’elles n’incitent à la haine et l’intolérance de l’autre. Au contraire elles ont toutes le respect sacré de la vie. “Aujourd’hui on parle beaucoup de l’Islam, on a oublié tous les problèmes de la société française, on a tout mis dans l’Islam. L’Islam est devenu une entité, une nationalité en Europe”. Latifa a pris le soin de rappeler que ces jeunes qui tuent tous les jours au “nom” de l’Islam, n’ont rien à voir avec l’Islam. C’est sa mission, son combat de témoigner encore et encore pour qu’on arrête d’être dans un discours de séparation, de fragmentation au sein de la société. Cette société a besoin de dialogue et de cœur pour une jeunesse qui ne cesse de rêver. “Il est important en tant qu’adulte de transmettre à ces jeunes les valeurs qui nous animent de jours en jours, il faut leur dire la vérité pour les sortir de l’ignorance”. Elle parle toujours de “nos enfants” et pas de “ces enfants”. Elle ne les montre pas du doigt, au contraire, elle montre notre responsabilité vis-à-vis d’eux en tant qu’adulte.

Cette société a besoin de dialogue et de cœur pour une jeunesse qui ne cesse de rêver.

Lors du débat, une femme a su élever la voix dans la salle pour faire part de son sentiment vis-à-vis du film et des attentats. “Tous ces terroristes ont volé mon visage”, tels ont été ses mots remplis d’émotion. Elle rappelle avec l’appui de sa mère et de sa fille, qu’elle a été élevée avec un Islam riche, rempli de bienveillance et de tolérance qui ne discrimine personne. Cet Islam est pour tout le monde, comme dans les autres religions. C’est une richesse de connaître la religion de l’autre. “Il n’y a que dans l’ombre que l’on voit la lumière”. C’est avec ce type d’intervention qu’on se rend compte que les héros d’aujourd’hui sont des personnes qui ont la lucidité de rappeler la richesse de tous et les valeurs de bienveillance et de tolérance qui ont tendance à se perdre aujourd’hui. Elle termine son intervention par les paroles d’Hassan II “Vos racines sont au Maroc, vos feuillages sont en Europe”.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/12/image13.jpg » credit= »France TV pro » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Ce message est adressé à tous, peu importe d’où l‘on vient. Le sourire, le dialogue, l’échange, l’ouverture aux autres sont autant de qualités qui vous permettront de ne pas être simplement passif de votre vie. Je serai ravie d’échanger avec vous sur ce film qui m’a bouleversée et qui j’espère vous bouleversera aussi. Je terminerai par les paroles de Latifa “Cherchez l’amour au fond de votre cœur, vous l’avez tous”.

Passionnée par les sujets d’actualité, j’attache de l’importance à informer et à sensibiliser sur des histoires méconnues. J’aime découvrir et appréhender le monde qui m’entoure par des rencontres, des partages et des parcours de vie.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017