«Ce n’est pas un label ni une protection juridique», souligne Thomas Mouzard, le chargé de mission ethnologie et patrimoine culturel immatériel au ministère de la Culture. «C’est un moyen de sauvegarder un patrimoine vivant».
Cette reconnaissance officielle n’offre aucune aide financière. Pas de subvention ni d’avantage fiscal, pas de classement comme pour le patrimoine historique. Juste un inventaire de la diversité culturelle. Il s’agit d’une démarche collective visant à identifier une tradition. Elle engage les acteurs à transmettre cette pratique.
C’est l’UNESCO qui est à l’origine de cette idée. En 2003, elle a promulgué une convention que la France a ratifiée en 2006 comme 180 autres pays. Chaque année, un comité se réunit pour évaluer les dossiers et inscrire sur une liste les pratiques et les expressions culturelles correspondant à la définition du patrimoine immatériel.
En France, 500 éléments sont répertoriés par le Ministère de la Culture. Une vingtaine sont reconnus comme faisant partie du patrimoine immatériel de l’humanité. Exemple : la baguette, les sonneurs et sonneuses de trompe, la yole de Martinique ou l’alpinisme.
Deux ans de démarche pour figurer à l’inventaire
Pour NEMO, l’association qui fédère les carnavaliers et carnavalières de Nantes et pour la mairie de Nantes qui soutient financièrement leur activité, c’est l’aboutissement de deux ans de travail. Tout a commencé en 2020 par des recherches sur l’histoire de cet évènement dont on retrouve des traces au Moyen-Age et qui a disparu jusqu’à la fin du 19ème siècle avant de renaître en 1947 grâce à Aimé Delrue et au Comité des Fêtes.
«Nous avons collecté des témoignages de cette époque d’après guerre et nous nous sommes entourés de spécialistes pour les archiver», explique Paul Billodeau, le Président de Nemo, ancien directeur de la Cité des Congrès de Nantes, aujourd’hui à la retraite. Pour constituer le dossier, NEMO s’est fait aider par la DRAC (la Direction Régionale des Affaires Culturelles), les archives municipales et surtout l’OPCI- Ethno doc, une association experte dans la sauvegarde, l’inventaire et la transmission du patrimoine immatérielle, installée au Perrier en Vendée.
Répondre à 4 critères
Figurer à l’inventaire du patrimoine immatériel national ne se fait pas en un claquement de doigt. Il faut cocher de nombreuses cases : prouver que la pratique est bien vivante, montrer l’implication de tous les acteurs et actrices, rappeler son histoire et ses évolutions, et enfin assurer sa viabilité.
Transmettre le flambeau aux générations futures, leur apprendre à fabriquer des chars, à construire les grosses têtes qui caractérisent le carnaval nantais, tel est donc l’enjeu qui mobilise Paul Billodeau et ses équipes aujourd’hui. «Nous devons nous reconnecter avec les quartiers et les écoles», affirme-t-il.
Cette année, deux initiatives ont donc été lancées : la fabrication de têtes en papier mâché avec des élèves de CE2 de l’école Saint Claire d’Assises et la réalisation de costumes par les Maisons de Quartier de Bottière et Doulon.
La transmission aux jeunes générations
«En 30 ans, j’ai du fabriquer 300 grosses têtes», indique Daniel Dupouet, un peintre à la retraite qui passe 3 jours par semaine à l’atelier. «Mais aujourd’hui j’ai 76 ans et j’aimerais bien passer le relais».
Ce passionné s’est donc prêté à l’expérience. Il est allé à la rencontre des élèves. En classe, il est venu avec ses moules et il leur a enseigné le collage. Le 8 avril, les enfants défileront avec leur production dans les rues de Nantes. «Les parents nous ont aussi aidé à peindre et à fabriquer des accessoires», précise Anne Chevillard, la maîtresse d’école.
Un savoir-faire technique
Fabriquer des grosses têtes, ça semble facile mais en fait, c’est long et ça réclame une certaine technique. «Je commence par construire des têtes en argile, puis je fabrique un moule en plâtre et ensuite je colle le papier» explique Daniel Dupouet dit Pouet Pouet. «Il faut plusieurs années pour bien maîtriser la construction et savoir manier le plâtre car il durcit en un quart d’heure».
Serge Belaud, Président de Sud Loire Carnaval, a lui aussi mis la main à la pâte pour transmettre son savoir aux jeunes élèves.
«J’ai 77 ans et je ne vais pas être éternel», constate-t-il. «Je leur ai montré comment faire des petits moules avec du carton. Ils ont réalisé des têtes de chevaux et des têtes de coqs».
Oui mais voilà, ce n’est pas évident de prendre la suite car ici, à l’atelier, les carnavaliers et les carnavalières passent beaucoup de temps à construire les chars : de nombreux soirs en semaine, tous leurs week-ends et une semaine de vacances au moment du carnaval.
«Les jeunes d’aujourd’hui sont très sollicités pour leur loisirs», se désole Serge Belaud. «Ça ne les fait plus rêver de faire partie de la grande famille des carnavaliers».
Impliquer les écoles comme à Périgueux
Jusqu’ici la transmission se faisait de génération en génération. Impliquer les écoles à cette tradition, c’est une piste qui mérite d’être étudier. À Périgueux, ils en ont fait leur force pour relancer en 1983 un vieux carnaval du 12ème siècle souvent critiqué par les puissants pour son côté satirique et pour défendre l’occitan. Les écoles bilingues sont même les moteurs de la manifestation.
Les élèves confectionnent des déguisements en classe et le mardi gras, ils défilent sur les quais de l’Isle, derrière les chars et leur roi Carnaval appelé le Pétassou, ce qui signifie en occitan le petit morceau de chiffon à coudre. Ensuite, les élèves le jugent sur la place publique et le font brûler. Là-bas, on les nomme les calandrettes, du nom d’une petite alouette qui apprend à chanter.
En 2010, le Petassou a été reconnu comme un patrimoine immatériel pour son caractère comique, caricatural et satirique notamment grâce à Christian Lafaye, le directeur de l’école Calendreta.
«Nous avons profité du mouvement des radio libres et des langues régionales initié par Mitterrand pour redynamiser le carnaval», reconnaît-il. «Maintenant, c’est une tradition bien ancrée. Toutes les écoles se déguisent et c’est la mairie qui a pris le relais du Comité des Fêtes».
Le mécénat au secours du carnaval de Granville
Pour assurer l’avenir des carnavals, le financement est également important. À Nantes, la tradition aurait pu disparaître en 2011 à cause d’une mauvaise gestion. Le Comité des Fêtes avait laissé un trou de 400 000 euros dans la caisse. La ville de Nantes a finalement épongé les dettes et confié les rênes à une nouvelle association (NEMO) et à son Président Paul Billodeau. L’équipe est plus restreinte, les voyages à l’étranger moins nombreux et tout est rentré dans l’ordre.
Mais les dirigeants et dirigeantes pourraient s’inspirer du carnaval de Granville qui vient de fêter ses 150 ans et qui a été reconnu en 2016 patrimoine immatériel de l’humanité.
«Cette tradition qui célébrait le départ des pêcheurs à Terre Neuve a bien failli mourir», admet son ancien Président David Letort. «Nous avons du nous réinventer pour conserver cette fête populaire. Nous avons organisé un loto pour financer les chars et garder une indépendance financière et aujourd’hui, nous avons des entreprises qui nous aident grâce au dispositif de défiscalisation sur le mécénat culturel».
Nantes capitale européenne des carnavals
En tout cas, cette année le carnaval de Nantes qui se tiendra les 2, 8 et 15 avril cultive les honneurs. Il a été désigné capitale européenne des carnavals. Une première en France et une édition spéciale pour son édition 2023.
Et pour couronner le tout, la Fédération des Festival, Carnavals et Fêtes de France compte organiser fin juin à Nantes un colloque pour célébrer les 20 ans de la convention de l’Unesco sur le patrimoine immatériel.