Au Japon, il est considéré comme l’un des plus grands cinéastes de son temps. Reconnu pour ses talents de documentariste, de scénariste, de réalisateur et de metteur en scène, Hirokazu Kore-Eda n’en finit pas d’explorer ses thèmes de prédilection comme les enfants abandonné·es, les liens familiaux, la mort, la séparation ou la mémoire. Touchants, étonnants, poétiques, tendres, ses films nous questionnent plus sur le sens de la vie qu’ils n’apportent de réponses.
C’est le Festival des 3 continents qui a révélé le talent de Kore-Eda en 1998, en attribuant la montgolfière d’or à son 2ème film présenté à Nantes After Life, un film étrange où des mort·es viennent enregistrer une vidéo dans une sorte d’usine à souvenirs. 25 ans après son premier succès, il a livré quelques anecdotes sur cette récompense, à l’occasion d’une projection au Katorza le 25 novembre.
«C’est en fait le premier film que j’ai signé en tant que réalisateur» a-t-il indiqué. «C’est un film hybride entre la fiction et le documentaire que j’ai réalisé avec des acteurs non professionnels. Je suis ému de revenir à Nantes. J’ai beaucoup d’affection pour ce festival qui a été le point de départ de beaucoup de choses dans ma carrière».
Le cinéaste de la famille et des oublié·es
Depuis, Kore-Eda a enchaîné les succès jusqu’à obtenir la palme d’or au Festival de Cannes en 2018 avec Une affaire de famille, un film qui a offert une exposition médiatique aux invisibles, ces japonais·es qui vivent en marge de la société, dans la grande pauvreté, oublié·es par le système libéral. Un film très critiqué par le gouvernement et le patronat pour sa vision misérabiliste d’un pays très industrialisé.
«Quand on passe une vie à s’éviter les uns les autres, on ne peut pas se connaître» expliquera-t-il lors de sa sortie à Cannes. «L’autre, c’est l’étranger, celui dont la simple présence inquiète car ses coutumes sont différentes des nôtres. Par manque de curiosité et de tolérance, on se trouve toutes les raisons de se méfier et on finit par se faire la guerre. Au contraire, si l’on apprend à se connaître, on se découvre bien des similitudes. Au delà du genre, du langage, de la différence d’âge ou même de la couleur de peau».
Avec Les bonnes étoiles, le film présenté à Nantes en avant-première, lors de la remise des prix le 27 novembre, Kore-Eda s’interroge une nouvelle fois sur le sort des enfants abandonné·es. L’histoire se déroule à Busan en Corée et commence avec le vol d’un bébé abandonné dénommé Sung Huah que l’on pourrait traduire par une aile ou une étoile. S’en suit une intrigue mettant en scène des trafiquants, des policières à leur trousse et des familles prêtes à adopter ce nouveau né.
La vérité n’est pas celle qu’on croit
Comme d’habitude, Kore-Eda nous montre que les apparences sont parfois trompeuses et qu’en réalité, la vérité n’est pas aussi simple qu’on pourrait l’imaginer. Il n’y a pas d’un côté, la vilaine mère indigne qui abandonne son enfant et les méchants trafiquants qui veulent se faire de l’argent en toute illégalité, et de l’autre côté, les gentils adoptants qui veulent donner de l’amour à un enfant abandonné et les bons policiers qui cherchent à arrêter les trafiquants.
Ce film n’est pas un réquisitoire qui cherche à dénoncer une situation immorale. Ce n’est pas un polar ou une comédie burlesque. Il est bien plus profond que cela et nous invite à nous méfier de nos jugements un peu hâtifs.
Qui sont les bonnes étoiles qui cherchent à protéger ce petit Sung Huah ? Les services sociaux qui mettent à disposition des mères des boîtes à bébé pour y déposer l’enfant qu’elles abandonnent ? Les couples sans enfants qui sont prêts à payer des fortunes pour adopter des enfants qui ne leur appartiennent pas ? Ou les mères qui se séparent de leur progéniture pour leur offrir une vie meilleure ?
«Si une telle affaire éclatait, elle ferait l’objet d’un scandale» reconnaissait son auteur lors de l’émission Bienvenue au club sur France Culture le 29 novembre. «Beaucoup de gens penseraient comme la détective, qu’il ne fallait pas accoucher si c’était pour l’abandonner plus tard. Cette fiction est un voyage intérieur pour faire évoluer notre point de vue un peu à la manière des personnages du film qui finissent par ouvrir leur cœur».
Au spectateur de juger
Pour Kore-Eda, c’est toujours aux spectateurs et aux spectatrices de se faire sa propre opinion et éventuellement de changer son regard. Lui se contente d’exposer la situation en montrant les personnages sous un autre jour avec sa sensibilité, son acuité, son humanisme.
«C’est un observateur très fin» témoigne Léa Le Dimna, son interprète qui le suit depuis 2014 et qui commence à bien le connaître. «Il sait prendre du recul et capter les moindres gestes car il a commencé comme documentariste».
Son goût pour les laisser pour compte lui vient, selon elle, de ses origines sociales. «Il a grandi dans une famille pauvre» explique sa traductrice. «Son père était instable. Il aimait les jeux d’argent. Il disparaissait souvent et longtemps puis réapparaissait. Sa mère essayait de pallier ces défaillances. Mais comme il était le seul fils de la famille, elle s’est comportée avec lui comme s’il était l’homme de la maison. Il a donc du se responsabiliser très jeune».
En toile de fond, la critique d’un Japon conservateur
Avec son métier, Kore-Eda a beaucoup voyagé. Il a pu comparer sa culture à celles des pays étrangers. Pour Léa Le Dimna, c’est aussi ce qui lui a donné cette vision critique de la société japonaise. «Il s’est démarqué en prenant position contre les tendances conservatrices de son pays et notamment contre le poids de la hiérarchie sociale» fait-elle remarquer.
Très engagé pour réformer l’industrie du cinéma au Japon, Kore-Eda tente de faire émerger une nouvelle génération de réalisateur·trices en créant l’équivalent du CNC pour financer des films indépendants et innovants. Ce plaidoyer pour la jeunesse, il l’a remarquablement énoncé lors d’une séance spéciale dédiée à son film Tel père, tel fils.
Devant 300 collégien·nes et lycéen·nes, il leur a dit en substance : «Prenez le pouvoir. Faites vous une place dans ce monde. Ne vous laissez pas influencer par vos parents». Un message très fort, très émouvant.
A l’écoute du public
«Il a été excellent» avoue Jérôme Baron , le directeur artistique du Festival des 3 Continents qui l’accompagnait dans cet échange avec le public. «Il a été bousculé par la spontanéité des questions. Il ne s’y attendait pas. Ça l’a vraiment touché. Du coup, il s’est livré avec beaucoup d’émotion».
Par exemple, lorsqu’un collégien faisant allusion à Tel père, tel fils lui a demandé pourquoi il avait raconté cette histoire d’enfant échangé à la maternité, il lui a répondu : «Un jour que je partais en tournage, ma fille m’a demandé si je partais longtemps. Ça m’a amené à me poser la question de la filiation. Je me suis servi de mon expérience pour écrire cette fiction».
Explorer l’être humain sous toutes ses facettes, son rapport à sa famille, à la mort, à ses croyances, à la beauté de la nature, l’influence de la société sur ses comportements. C’est l’œuvre magnifique du grand Hirokazu Kore-Eda, un homme généreux, humble, à l’écoute des autres et au regard perçant.
Son dernier film Les bonnes étoiles sortira le 7 décembre sur les écrans. Allez le voir et vous comprendrez tout ce que vous venez de lire.