Les concepteur·ices d’un projet de construction immobilière doivent dévoiler ce qu’on appelle une séquence ERC. Cette stratégie comprend une série de tactiques (éviter, réduire, compenser) visant à restreindre les impacts d’un projet d’aménagement sur la biodiversité. Cette mesure a été rendue obligatoire par le code de l’environnement en 2016.
Les acteur·ices du projet ont insisté sur la pauvreté en biodiversité du territoire, remarque qui s’appuie par ailleurs sur la conclusion du commissaire-enquêteur portant sur l’étude environnementale menée par le cabinet d’expertise Artélia. Selon la pièce 9 de l’autorisation environnementale unique produite par ce cabinet, “il est à noter que ces habitats [de la faune sauvage, NDLR] subissent régulièrement de très fortes dégradations, aussi bien au nord qu’au sud de la voie ferrée.”
En effet, malgré la présence de nombreuses zones humides, le territoire, constitué d’anciennes terres agricoles cernées par les lotissements et la circulation routière, est marqué par l’absence de continuité forestière (ou “corridor” écologique), la présence de remblais et de nombreux squats.
Une dérogation autorise la destruction d’espèces protégées
La dérogation accordée par la préfecture concerne la phase 1 du projet (secteur du vallon des Gohards), même si l’étude d’impact recense quant à elle les impacts et stratégies compensatoires pour l’ensemble du projet. Elle permet de déroger à l’interdiction de détruire les spécimens protégés ainsi que leurs habitats. Interrogée sur les impacts de la construction du nouveau quartier sur la biodiversité environnante, Emilie Jeanniot affirme que le but n’est pas de “détruire les espèces”.
Or, l’arrêté portant autorisation environnementale pour la construction du quartier, paru en 2022, évoque bel et bien une demande de dérogation qui « porte sur la capture et la destruction de spécimens d’espèces animales protégées » (et donc pas uniquement sur la dégradation de leur milieu de vie et de reproduction). Notamment plusieurs espèces d’oiseaux et deux espèces protégées de lézard, la vipère aspic, la couleuvre d’esculape, le triton palmé et deux espèces de grenouilles.
Près des territoires de l’eau, ce sont 18 000 m² d’habitats communautaires prioritaires, ainsi qu’un alignement d’arbres abritant le Grand Capricorne, espèce d’insectes protégée, qui seront ainsi détruits.
Les friches, sur lesquelles les acteur·ices du projet prévoient de faire construire les lotissements, constituent par ailleurs un refuge pour les oiseaux nicheurs. Les espèces repérées sur le site sont au nombre de cinq selon le rapport de 2016 : la tourterelle des bois, le tarier pâtre, le serin cini, la linotte mélodieuse et le bruant jaune. A cela viennent s’ajouter le cisticole des joncs, la bouscarle de cetti. Elles sont classées sur la liste rouge des espèces vulnérables ou quasi menacées, excepté le bruant jaune.
L’enquête publique unique préalable à l’autorisation environnementale (2022) pointe toutefois le « caractère hétérogène de cet espace » qui conduira, en l’absence de projet d’aménagement, à une « évolution en roncier fermé, entraînant un départ naturel des espèces actuellement observées. »
La végétation en ville pour lutter contre l’érosion des sols…et le réchauffement local
Un phénomène qui serait pourtant loin de constituer une fatalité, puisque « dans les régions au relief accidenté, la ronce peut avoir un rôle de protection du sol contre l’érosion » selon Léon Wehrlen, assistant ingénieur à L’INRAE et auteur d’un ouvrage sur les ronces. Érosion déjà bien entamée en Loire-Atlantique en raison de l’artificialisation du territoire : en 2016, elle concernait 13,7% des sols contre 9,3% au niveau national.
Mais il ne s’agit pas du seul service que nous rendent les ronciers. En effet, dans une étude publiée en 2010, la ronce peut entrer en compétition avec les graminées, végétaux gourmands en eau. Étant moins gourmande que ces dernières, l’ortie exerce une moindre concurrence avec les jeunes arbres, leur permettant ainsi de se développer. L’étude conclut que “les ronciers peuvent donc devenir des alliés du sylviculteur, de par leur compétition moins forte que celle des graminées.” De quoi réjouir les riverains du vallon des Gohards, qui peuvent admirer, lors de leurs promenades, l’émergence, parmi ces ronces, des spécimens d’arbres d’une dizaine d’années environ.
Et les vertus de la végétation en ville n’ont pas fini de surprendre. Sur cette carte fournie par l’Auran, on constate que la ZAC Doulon-Gohards est entourée d’îlots de chaleur dus, pour certains, à des artificialisations récentes, comme la zone commerciale de Paridis. Aujourd’hui, les espaces naturels de la ZAC constituent un îlot de fraîcheur évident qui sera annihilé par le projet d’urbanisation.
Une partie des impacts évités
Pour limiter les impacts du projet, la métropole de Nantes est tenue par la loi de présenter une stratégie ERC (Eviter Réduire Compenser). Pour ce faire, “les écologues font une étude pendant au moins un an et ils étudient toutes les espèces présentent, chiffrent les impacts (sur espèce, sur leur zone de nourrissage et de transit) puis le maître d’ouvrage s’engage à les éviter ou à les compenser », nous explique un écologue indépendant.
Les deux images, extraites de la pièce 8 du dossier de demande de dérogation relative aux espèces protégées, présentent en vert les impacts évités, en rouge les impacts qui devront être réduits ou compensés.
Si les impacts sur les reptiles et les amphibiens sont limités, plusieurs espèces d’oiseaux, territoriales ou protégées, seront très impactées par le projet. Même si la majeure partie des arbres est préservée, excepté un petit bois de bouleaux, les broussailles, sur lesquelles la métropole entreprend de faire construire les bâtiments, sont des zones de nichage et de nourrissage vitales pour ces espèces. C’est pour cela que le volet “compenser” de la stratégie ERC est primordial si l’on veut les sauvegarder.
La stratégie ERC pour reconstruire la nature
Pour parvenir à proposer une stratégie de compensation acceptable écologiquement, les cabinets d’étude doivent accompagner les clients sur la stratégie. “Créer une mare, par exemple, si elle est en plein cœur d’une ville, ça ne marche pas”, nous confie l’écologue. De même, la destruction d’une mare en plein site Natura 2000 n’est pas compensable. En ce qui concerne ces mesures, si “l’État est de moins en moins exigeant ces dernières années”, un cabinet d’étude sérieux propose de compenser les impacts en restaurant une zone deux à trois fois plus grande que la zone impactée.
Ainsi, durant les travaux d’aménagement, 400 m² de Pin sylvestre seront plantés au sein d’une zone labellisée Natura 2000 en compensation de 180 m² d’habitat de reproduction du Serin cini. Des plantations qui mettront toutefois de nombreuses années avant de présenter la même richesse écologique que les anciennes, dans un monde où la biodiversité s’appauvrit déjà à un rythme exponentiel.