20 novembre 2023

« Le rendez-vous » au Cinématographe, l’heure des comptes pour le système des retraites

Mardi 14 novembre 2023, "Le rendez-vous" (2020), documentaire d’Olivier Hems, était projeté au Cinématographe, dans le cadre du cycle « Femmes précaires : la double peine ». Un film intimiste qui entre dans le vif du brûlant sujet des retraites.

« Le rendez-vous » au Cinématographe, l’heure des comptes pour le système des retraites

20 Nov 2023

Mardi 14 novembre 2023, "Le rendez-vous" (2020), documentaire d’Olivier Hems, était projeté au Cinématographe, dans le cadre du cycle « Femmes précaires : la double peine ». Un film intimiste qui entre dans le vif du brûlant sujet des retraites.

 

Après la projection du documentaire “Femmes précaires” (Marcel Trillat, 2005), le cycle féministe animé par l’association Ciné Femmes se poursuit pour une deuxième semaine de ciné-débat. Cette fois-ci avec l’Intersyndicale femmes 44 et Catherine Goulois, retraitée active. L’occasion de se pencher sur les portraits intimes de celles et ceux pour qui le grand sujet des retraites n’est pas seulement le titre évocateur d’un journal télé, mais bien la réalité avec laquelle iels vont devoir organiser toute leur « vie d’après ». Olivier Hems fait un plan serré sur ces destins croisés, chauffeuse, patronne de bar, intérimaire, fossoyeur, femme de ménage, qui viennent toutes et tous faire le bilan d’années de travail. Le but de ce rendez-vous : calculer le montant de leur complémentaire retraite.

© Olivier Hems – « Le Rendez-vous » – Mille et Une films

«Ça va être une autre vie qui va commencer. Une retraite, c’est la vie qui continue, après tout. » peut-on entendre dans l’un des portraits. « Plus de projets qu’on aime. On y a bien le droit. »

Et c’est la grande question, pourtant, que l’on se pose lorsque, à tour de rôle, les protagonistes s’installent face au bureau de leur conseillère. Nous donne-t-on le droit de vivre, après l’arrêt du travail ?

Ne passez pas par la case départ, ne touchez rien de la banque

« Vous n’avez pas assez de points pour avoir un paiement tous les mois, vous comprenez. » explique aimablement une conseillère. « Ah bon ? » Dans ce sinistre jeu de Monopoly, il semblerait qu’iels ne soient jamais les gagnant.e.s de la partie. Mais pourquoi des points ? Si ce système un poil barbare a bien été abandonné en 2019, la complémentaire retraite, elle, se calcule toujours ainsi. Le site la-retraite-en-clair l’explique, ou du moins essaie : « Le montant annuel brut de votre retraite complémentaire est égal à votre nombre de points acquis multiplié par la valeur du point au moment de votre retraite. » C’est simple, non ? Non. Dans le bureau, les mines sont basses, les visages anxieux. Le couperet tombe, enfin : pour tous.t.es, c’est une déception amère qui met fin à l’espoir de jours meilleurs. « C’est la fin du film, comme on dit » commente avec philosophie une ancienne patronne de bar. Une autre s’effondre en larmes : « Un minimum. 124 euros. C’est très dur pour avoir travaillé 42 ans. »

Femmes retraitées, la double peine

Pour l’intersyndicale femmes de Nantes, le constat est sans appel :

« Ce qu’on peut voir, c’est à quel point les personnes ignorent ce à quoi elles ont droit. Iels ne connaissent pas leurs droits, en fait. Il n’y a aucun moyen d’objecter. Les lois sont changeantes… donc on ne sait pas. »

Débat avec les représentantes de l’Intersyndicale femmes 44 CGT-FSU-Solidaires

Elles regrettent ainsi le fatalisme avec lequel les femmes et les hommes acceptent leur sort, sans pouvoir rien ajouter, à part du regret. La conséquence de tout ça, elles le savent, c’est le manque de combativité : « Je ne les vois pas aller en manifestation. » Iels accepteront le montant de leur retraite. Iels vivront avec le minimum. Pour les femmes, nous explique l’Intersyndicale, « ça équivaut à une moyenne de 1180 euros par mois, contre 1950 euros pour les Hommes ». La double peine. Catherine Goulois, intervenante ce soir-là, explique qu’elle-même retraitée, a été contrainte de retravailler. Le système des retraites, c’est en effet un système qui aggrave les inégalités entre les hommes et les femmes. Une punition supplémentaire pour celles qui doivent bien souvent déclarer une carrière hachée : maternité, garde des enfants… Les rôles de genres ont encore une grande emprise dans leur vie sociale et professionnelle. Preuve à l’appui : dès les premières minutes, l’un des hommes retraités du documentaire, venu accompagné, s’exclame d’un ton rigolard : « Oh, ça va, j’ai une assistante personnelle » en parlant de sa femme. Malaise. La double peine, parfois, c’est aussi d’être la femme d’un homme.

« On a dit dans les journaux ces derniers temps que le masculin était neutre. » déclare Catherine, l’une des porte-parole du collectif Ciné Femmes, sous les rires jaunes du public. « On n’a pas fini. On peut se retrousser les manches. »

Et quoi de mieux pour cela que de soutenir le projet du collectif Ciné Femmes en vous rendant au Cinématographe lundi 20 novembre, à 20h, pour le troisième et dernier film du cycle, Ouistreham d’Emmanuel Carrère. Cette dernière séance sera l’occasion de débattre en profondeur de la question des inégalités hommes femmes dans le monde du travail.

Le Cinématographe vous accueille 12bis rue des Carmélites à Nantes, pour un tarif de 5 euros par séance (3,50 à 3 euros en tarif réduit).

 

Margaux est arrivée à Nantes il y a quelques mois pour se lancer dans la vie tumultueuse d'illustrautrice, après quelques années parisiennes en tant qu'éditrice jeunesse. Elle aime écrire des BD rigolotes et a une vive inclination pour les livres, l'art et le féminisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017