2 juillet 2018

L’ère du mensonge à la maison des Arts

La ville de Saint Herblain et la maison des arts organisaient le jeudi 28 juin une conférence-débat intitulée « L’ère du mensonge ». Interpellée par le sujet, l’équipe de Fragil a assisté et participé à cette soirée très intéressante.

L’ère du mensonge à la maison des Arts

02 Juil 2018

La ville de Saint Herblain et la maison des arts organisaient le jeudi 28 juin une conférence-débat intitulée « L’ère du mensonge ». Interpellée par le sujet, l’équipe de Fragil a assisté et participé à cette soirée très intéressante.

Organisé par la ville de Saint Herblain, le cycle de conférences sur des sujets d’actualité « Place Publique » proposait, pour son dernier rendez-vous de la saison, d’explorer le thème des fake news, faits alternatifs et autres théories du complot à travers une conférence-débat intitulée « L’ère du Mensonge ».

Pour mener cette soirée, Place Publique avait convié Jean Chabot, journaliste, et invité deux spécialistes : Laurent Bigot, enseignant-chercheur à l’école publique de journalisme de Tours et spécialiste du fact-checking, David Prochasson, journaliste indépendant.

[aesop_image overlay_revealfx= »off » revealfx= »off » force_fullwidth= »off » lightbox= »on » captionposition= »center » credit= »Fragil » caption= »De gauche à droite : le traducteur LSF, Jean Chabot, Laurent Bigot et David Prochasson » align= »center » imgwidth= »40% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/IMG_20180628_201420.jpg »]

20h05, le débat commence

Après une rapide présentation des deux intervenants, Jean Chabot a tenu à débuter en clarifiant le vocabulaire qui allait être employé tout au long de la soirée :
– Fake news = fausse information destinée à nuire
– False news = erreur dans le traitement d’une information
– Propagande = information erronée avec une notion politique
– Faits alternatifs = faire croire que la vérité est plurielle

Le débat a ensuite abordé le projet de loi « Manipulation de l’information » que le gouvernement a annoncé et qui est d’ores et déjà en première lecture à l’assemblée nationale.
Les deux intervenants ont conjointement exprimé leurs réticences en soulignant plusieurs problèmes liés à ce texte :
– Cette loi semble difficilement applicable et ne sera appliquée qu’en période électorale
La loi de 1881 sur la liberté de la presse paraît suffisante
– Qui aura autorité pour désigner les fausses informations ?
– Comment neutraliser les milliers de robots qui sont désormais derrière bon nombres de comptes Twitter et Facebook ?
En conclusion, pour les deux intervenants, il paraît essentiel de réguler la circulation de l’information sur les réseaux sociaux afin de maîtriser la propagation des fausses informations.

Une question du public est venue compléter ce débat : Les journalistes ont-ils été conviés à la rédaction de cette loi ?
Pas à la connaissance des deux intervenants.

Une deuxième question est venue remettre en cause le débat : quelle est la réelle menace de cette propagation des fake news ?
Selon les deux intervenants, c’est surtout pour les jeunes que la menace est réelle. Parce que les réseaux sociaux sont devenus pour cette génération les principales sources d’information, les principaux lieux de débat et, à leur insu, une énorme caisse de résonance pour toutes les intox et fake news. C’est pour cette tranche d’âge que le danger semble réel.

[aesop_image overlay_revealfx= »off » revealfx= »off » force_fullwidth= »off » lightbox= »on » captionposition= »center » credit= »Fragil » caption= »De gauche à droite : Jean Chabot, Laurent Bigot et David Prochasson » align= »center » imgwidth= »40% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/IMG_20180628_215526.jpg »]

Fact checking

Jean Chabot a ensuite recentré le propos sur le terme de fact checking, spécialité de Laurent Bigot à laquelle il a consacré sa thèse universitaire.
Ce terme est apparu dans les années 1920 aux Etats-Unis. A l’époque, beaucoup de publications engageaient des journalistes qui étaient entièrement dédiés à la vérification des informations publiés dans les articles.
Ce terme a ensuite fait sa réapparition en 2003 après le mensonge de Colin Powell devant l’ONU au sujet des armes chimiques et de destruction massive que Saddam Hussein étaient supposées détenir. Après cette manipulation, les journalistes ont décidé de s’armer et de relancer le fact checking.
Il a longtemps été concentré sur les déclarations des femmes et des hommes politiques. Puis s’est rapidement généralisé à toutes les informations.

Jean Chabot a ensuite interrogé David Prochasson au sujet de la résidence journalistique consacrée à l’éducation aux médias qu’il a eu la chance d’expérimenter dans la communauté de communes d’Erdre et Gesvres. Grâce à ce dispositif initié par la DRAC, il a eu l’occasion de donner des ateliers dans des écoles mais également à destination de la population au sens large. Il nous a expliqué qu’il avait partagé ses interventions entre théorie et pratique afin que les participants se confrontent aux réalités du métier et notamment à la nécessité de croiser ses sources.

Les questions du public ont ensuite fusé :
La publicité n’est-elle pas un mode de propagation des fake news ?
Si, il y parfois manipulation, mais c’est le but de la pub, elle n’avance pas masquée.

La défiance envers les médias ne vient-elle pas du fait que les publications françaises sont détenues par des milliardaires ?
Pas vraiment, selon les deux intervenants. Parce que la majorité des journalistes restent indépendants. Laurent Bigot a cependant tenu a soulever la question de l’autocensure. Cette pratique peut amener certains journalistes à ne pas se positionner sur certains sujets liés au groupe auquel leur média appartient.

Pourquoi l’Etat n’investit pas plus dans l’éducation aux médias ?
Question à laquelle les deux intervenants n’avaient pas vraiment de réponse.

Pourquoi la fachosphère est-elle si puissante sur le net et pourquoi n’a-t-elle pas de rival ?
Effectivement, l’extrême droite est très active sur les réseaux et fait beaucoup de bruit. Pourquoi ? Parce qu’elle s’est organisée avant les autres.

La loi sur le secret des affaires va-t-elle nuire un peu plus au travail des journalistes ?
Oui, bien sûr, mais le journalisme d’investigation va se poursuivre en évitant de rentrer dans le cadre de l’espionnage tel qu’il est évoqué dans la loi.

[aesop_image overlay_revealfx= »off » revealfx= »off » force_fullwidth= »off » lightbox= »on » captionposition= »center » credit= »Fragil » caption= »De gauche à droite : Jean Chabot, Laurent Bigot et David Prochasson » align= »center » imgwidth= »40% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/IMG_20180628_215527_1.jpg »]

Petit exercice

Avant de conclure ce très intéressant débat, Jean Chabot a convié les deux intervenants à un petit exercice : en quelques minutes, peuvent-ils nous expliquer comment ils s’y prennent pour vérifier une information ?
Laurent Bigot et David Prochasson ont décrit les mêmes outils :

– Vérifier la provenance de l’information, la source, grâce à des sites comme le décodex initié par Le Monde
– Croiser les sources (vérifier si un autre média fiable traite cette information)
– Regarder le « qui sommes-nous «  et les mentions légales des sites sources
– Bien identifier les médias

Après une conférence-débat riche en vraies informations et entièrement traduite en langage des signes, le public et les intervenants se sont retrouvés autour d’un buffet pour poursuivre les conversations.

Rendez-vous en septembre pour le retour de « Place publique » dont le premier thème sera consacré aux dangers des écrans pour les enfants de mois de 6 ans.

[aesop_image overlay_revealfx= »off » revealfx= »off » force_fullwidth= »off » lightbox= »on » captionposition= »center » credit= »Maison des arts » caption= »Le flyer de la conférence » align= »center » imgwidth= »40% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/06/flyer.jpg »]

Réalisateur de formation, Merwann s’intéresse à la musique, à la littérature, à la photographie, aux arts en général. De juillet 2017 à juillet 2023, il a été rédacteur en chef du magazine Fragil et coordinateur de l'association.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017