8 septembre 2022

Les Brigands à Saint-Céré : le fabuleux bonheur d’être sur scène!

Le Festival de Saint-Céré a eu la bonne idée d’accueillir deux spectacles de la Compagnie Les Brigands pour sa 42ème édition. Emmanuelle Goizé et Gilles Bugeaud, deux artistes au formidable tempérament, ont accordé un entretien à fragil au lendemain d’une représentation de « Yes » de Maurice Yvain au Théâtre de l’Usine.

Les Brigands à Saint-Céré : le fabuleux bonheur d’être sur scène!

08 Sep 2022

Le Festival de Saint-Céré a eu la bonne idée d’accueillir deux spectacles de la Compagnie Les Brigands pour sa 42ème édition. Emmanuelle Goizé et Gilles Bugeaud, deux artistes au formidable tempérament, ont accordé un entretien à fragil au lendemain d’une représentation de « Yes » de Maurice Yvain au Théâtre de l’Usine.

Après 35 années de collaboration, et de merveilleux souvenirs, le Festival de Saint-Céré est désormais séparé d’Opéra Éclaté, qui poursuit avec Olivier Desbordes sa mission de découverte de l’art lyrique sur tout le territoire français, avec un temps fort cet été à Éauze dans le Gers. Jean-Baptiste Henriat, délégué général du Chœur de Radio France, est à présent directeur artistique de cette manifestation unique et conviviale dans de beaux lieux du Lot ; il a notamment programmé pour cette édition 2022 La dame blanche de François-Adrien Boieldieu (1825) au château de Castelnau, dans la belle mise en scène de Louise Vignaud, et deux étourdissantes opérettes au Théâtre de l’Usine, Yes de Maurice Yvain (1928) et Un soir de réveillon de Raoul Moretti (1932), dans des productions très inventives de la Compagnie Les Brigands, à qui l’on doit de mémorables P’tites Michu d’André Messager en 2018 à Angers Nantes Opéra.

 

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« …la liste des amants de Marquita Negri répondant au catalogue du Don Giovanni de Mozart. »

Fragil : Comment présenteriez-vous Yes de Maurice Yvain?

Emmanuelle Goizé : La musique française se mêle au swing en une réjouissante synthèse permettant d’aller loin dans des harmonies qui rendent l’ouvrage très contemporain. La légèreté du livret répond à une nécessité de cette période d’après la première guerre mondiale, mais c’est une toute petite fenêtre qui s’est ouverte, pas très longtemps. Les textes d’Albert Willemetz contribuent à cette légèreté. Le ton de Toi c’est moi, de Moisés Simóns (1934) que nous avons joué en 2005, est plus cynique, avec un côté plus fermé. Quelque chose a également changé entre Yes et Un soir de réveillon, également représenté à Saint-Céré.

Gilles Bugeaud : Cette opérette reflète le bouleversement social de ces années folles, en reprenant la tradition des soubrettes changeant de condition chez Molière. On songe désormais à des mariages d’amour, une manucure épouse un jeune capitaliste et ce sont les femmes qui mènent le bal, la liste des amants de Marquita Negri répondant au catalogue du Don Giovanni de Mozart. Ces femmes puissantes décident, tiennent tête et prennent une joyeuse autonomie : « Il paraît qu’à Paris, une femme qui ne trompe pas son mari se déshonore ! ». Le pouvoir de l’argent reste cependant énorme à l’époque et si l’on ne se marie pas, on reste hors de ces milieux très parisiens.

 

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« …ils m’ont suggéré d’entrer en scène comme la déesse de l’amour, et non comme une nymphomane, ce qui m’a fait apporter d’autres nuances. »

Fragil : A quoi êtes-vous particulièrement sensibles dans le spectacle de Vladislav Galard et Bogdan Hatisi, présenté à Saint-Céré ?

Emmanuelle Goizé : J’adore cette liberté de ton, très proche de celle des auteurs, et la fougue de ces deux artistes soucieux de tout remettre à plat. Les Brigands ont une telle démarche dans les arrangements qu’ils proposent, tout en ne se montrant jamais irrespectueux des œuvres.

Gilles Bugeaud : Ce que j’aime dans la façon dont on a monté cet ouvrage, c’est d’avoir fait appel à deux metteurs en scène venant du théâtre avec une esthétique inhabituelle. Ils apportent leurs exigences sur le jeu, le texte et les personnages, mais aussi leur émerveillement. Cette rencontre d’énergies est très enrichissante.

Emmanuelle Goizé : Vladislav et Bogdan nous dirigent de façon générale, mais une phrase avant la représentation peut me faire modifier mon personnage. Hier soir par exemple*, ils m’ont suggéré d’entrer en scène comme la déesse de l’amour, et non comme une nymphomane, ce qui m’a fait apporter d’autres nuances. On trouve souvent en soi des ressources insoupçonnées pour le jeu et le spectacle évolue sans cesse, il n’est jamais le même.

*L’entretien a été effectué le mardi 9 août, au lendemain d’une représentation au Théâtre de l’Usine.

 

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« Nous avons fait renaître un répertoire qui, à l’époque, était considéré comme mineur, et l’impact a été énorme. »

Fragil : Maurice Yvain est un compositeur important dans l’itinéraire de la compagnie Les Brigands. L’un de ses très grands succès a en effet été l’opérette Ta bouche, où vous jouiez Eva et le Comte du Pas-de-Vis en 2004. Quelles traces ce spectacle fondateur vous a-t-il laissées ?

Emmanuelle Goizé : Je porte les chaussures d’Eva dans Yes . Beaucoup de gens ont vu la vidéo du spectacle et nous en parlent toujours. Nous avons fait renaître un répertoire qui, à l’époque, était considéré comme mineur, et l’impact a été énorme. J’ai aussi découvert un genre que j’allais adorer et qui m’a nourri.

Gilles Bugeaud : C’est un grand plaisir de jouer longtemps un spectacle et nous avons donné au total 175 représentations de Ta bouche. Il y avait une liberté absolue sur scène, tout était possible et ce que je proposais entrait dans cette énergie et dans cette humeur.

Emmanuelle Goizé : Stephan Druet, le metteur en scène, a été une rencontre fondamentale. De telles expériences sur une longue durée soudent une troupe, créant une forme d’installation comme en famille. Nous avons joué dans tous les états sur ce grand nombre de représentations ; on atteint une finesse et une profondeur en jouant autant.

Gilles Bugeaud : Tous ceux qui ont partagé cette aventure s’en souviennent avec nostalgie…

 

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« Il me semble qu’il y a cela dans la musique : des gens qui se sont trouvés. »

Fragil : Qu’est-ce qui vous touche dans la musique et l’univers de ce compositeur ?

Gilles Bugeaud : J’admire son talent de mélodiste et cette façon qu’il a, sous couvert de légèreté, de composer une partition très bien écrite, notamment dans les ensembles. Ce n’est pas compliqué à chanter mais le rendu est magique. La musique aide à faire entendre le texte, toujours bien amené par l’élégance de l’écriture.

Emmanuelle Goizé : Je suis touchée par tout ce que l’on imagine de l’époque, par l’entourage de Maurice Yvain, où l’on trouve Albert Willemetz, mais aussi Sacha Guitry et Yvonne Printemps, par ces dimanches à la campagne où l’on s’enfermait pour composer, par cette familiarité entre eux. Il me semble qu’il y a cela dans la musique : des gens qui se sont trouvés.

 

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« La place des musiciens, qui sont particulièrement inventifs, est essentielle dans le spectacle. »

Fragil : Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement fort dans l’élaboration de Yes, qui a été créé au Théâtre Montansier de Versailles en novembre 2019 ?

Emmanuelle Goizé : Nous avons trouvé un petit moment rituel entre nous, en nous mettant derrière Flannan Obé durant ses numéros de claquettes et en suivant ses chorégraphies. C’est aussi un moyen de nous chauffer.

Gilles Bugeaud : La place des musiciens, qui sont particulièrement inventifs, est essentielle dans le spectacle. J’ai eu l’impression de voir naître le son durant les répétitions. Ces trois musiciens sont vraiment impressionnants, jouant tout par cœur sur plusieurs instruments et proposant sans cesse des choses, musicalement comme théâtralement.

Emmanuelle Goizé : Et ces musiciens sont à l’écoute, nous regardent, et nous jouons avec eux sur scène.

 

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« …cinq univers différents, avec seulement une estrade, une chaise, et une brouette servant de baignoire et de crèche de Noël. »

Fragil : Que raconte Un soir de réveillon de Raoul Moretti, également représenté à Saint-Céré dans une mise en scène de Vladislav Galard et Bogdan Hatisi ?

Emmanuelle Goizé : Il s’agit d’une plus petite forme, plus proche du cabaret, avec deux musiciens dont l’un des metteurs en scène, Vladislav, qui est aussi violoncelliste et acteur, et Paul-Marie Barbier au piano. Nous sommes moins nombreux sur scène que dans Yes , chacun jouant plusieurs rôles. La musique est plus jazzy. Les spectateurs sont invités au réveillon de Noël organisé par Viviane et ils sont à table. Nous jouons donc au milieu d’eux, ce qui change l’écoute.

Gilles Bugeaud : C’est comme si l’on jouait à jouer une pièce de théâtre dans cinq univers différents, avec seulement une estrade, une chaise, et une brouette servant de baignoire et de crèche de Noël.

Emmanuelle Goizé : Je suis reconnaissante à Loïc Boissier d’avoir remonté ces deux spectacles à Saint-Céré.

 

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« …Kurt Weill, dont la musique a parfois une même apparence que celle de Maurice Yvain. »

Fragil : Emmanuelle, vous abordez des répertoires très diversifiés, de La flûte enchantée au Teatro Real de Madrid (dans le rôle de Papagena) sous la direction de Marc Minkowski, à la comédie musicale, en passant par Jacques Offenbach. Que vous procure une telle diversité ?

Emmanuelle Goizé : Elle me permet de rester dans une bonne forme vocale et d’avoir plus de confort, tout en amenant une liberté à chacun de ces répertoires qui se nourrissent mutuellement. Pour me chauffer la voix dans ma loge, il m’arrive de chanter du Mozart. J’ai toujours une même exigence quel que soit le personnage.

Fragil : Gilles, parmi les temps forts de votre carrière, vous avez participé en 2008 à Lady in the dark de Kurt Weill, dans une mise en scène de Jean Lacornerie. Quel souvenir en gardez-vous ?

Gilles Bugeaud : Tout ce que j’ai fait avec Jean Lacornerie a été extraordinaire et j’ai adoré travailler sur Kurt Weill, dont la musique a parfois une même apparence que celle de Maurice Yvain. Il s’agit en effet aussi d’un incroyable mélodiste que j’interprète avec un semblable plaisir physique. J’ai également joué dans L’opéra de quat’sous et One touch of Venus, un ouvrage de sa période américaine. Je le considère comme un génie.

 

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« …je ressens une liberté totale et c’est même le moment de la vie que je préfère. »

Fragil : Quelles émotions ressentez-vous sur scène ?

Emmanuelle Goizé : J’ai toujours le trac avant d’entrer en scène, mais si le costume ne tombe pas, si les plumes que je porte dans Yes  sont bien placées et si la voix va bien, je ressens une liberté totale et c’est même le moment de la vie que je préfère. Je m’empare du texte et de la musique des autres, et rien ne peut m’arrêter.

Gilles Bugeaud : Lorsque l’on sent qu’on peut faire confiance à ce que l’on a de plus profond en soi, on oublie toutes les inquiétudes d’une première et l’on s’abandonne au plaisir physique d’être sur le plateau. De plus, lorsqu’il y a une bonne fluidité avec le public, le bonheur est encore plus grand.

Emmanuelle Goizé : On trouve alors quelque chose que l’on porte en soi, qui se libère et qui circule parce que l’on est au bon endroit.

Fragil : Quels projets vous tiennent à cœur ?

Emmanuelle Goizé : Gilles et moi allons nous retrouver dans Une éducation manquée d’Emmanuel Chabrier en tournée en mars et avril 2023. La création du spectacle aura lieu à Mâcon. Mon rôle est très lyrique et je joue une figure travestie, comme dans Les brigands de Jacques Offenbach.

Gilles Bugeaud : Nous avons aussi créé une compagnie avec Emmanuelle, « Quand on est trois », avec laquelle nous allons créer un ouvrage en janvier 2023 à l’auditorium Jean-Pierre Miquel de Vincennes. Il s’agit d’une comédie lyrique à la fois drôle et émouvante, Les tournesols, sur un texte de Remi De Vos et une musique de François Miquel.

Emmanuelle Goizé : J’aimerais faire du théâtre sans avoir à chanter, en travaillant un texte en profondeur pour voir jusqu’où je peux aller. Les metteurs en scène de Yes et d’Un soir de réveillon m’ont donné l’envie de prendre du temps pour explorer ce rapport entre les mots et le jeu, et d’aller plus loin.

Gilles Bugeaud : J’ai aussi le projet d’un spectacle autour de Léo Ferré, Le chant du hibou, un récit nocturne et chanté sur du violon.

 

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« Mais à chaque fois que je monte sur scène, c’est énorme ! »

Fragil : Un souvenir particulièrement précieux sur un spectacle ?

Emmanuelle Goizé : Dans Les brigands d’Offenbach, tout était réuni pour que je me sente complètement à ma place au bon moment, que ce soit le rôle, la musique et ce sentiment de troupe. Il y avait beaucoup de monde dans la fosse d’orchestre comme sur scène et nous avions tous la sensation de faire partie d’un même projet, incroyablement porteur. On éprouve rarement cette sensation d’être à ce point entouré, sur scène mais aussi dans la vie, c’est pourquoi ce souvenir est précieux.

Gilles Bugeaud : Je me souviens d’un récital de cabaret avec un pianiste, Christophe Magnien, J’ai mangé ma fourchette, que nous avons débuté devant un public peu nombreux. Une représentation à Châteauroux, sur une scène nationale, a cependant connu un beau succès face à 600 spectateurs. C’est ainsi qu’une toute petite chose sans décor nous a permis de faire une formidable rencontre avec des gens enthousiastes. Mais à chaque fois que je monte sur scène, c’est énorme !

Emmanuelle Goizé : Oui, c’est un cadeau tellement précieux, et tellement plus grand que tout ce que je pensais recevoir…

 

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Avec nos remerciements à Christine Gateuil, propriétaire de l’hôtel du Touring à Saint-Céré, où s’est déroulé cet entretien

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017