En ce vendredi matin du mois d’octobre, la salle est pleine, la table remplie et les oreilles attentives. Dans quelques minutes trois intervenant-e-s vont prendre la parole, pour certain-e-s des années après avoir quitté ces murs. L’ambiance est studieuse et joviale. Camille, infirmière en psychiatrie, s’apprête à donner la parole aux ancien-ne-s patient-e-s venu-e-s témoigner de leur passage au sein de cet établissement, avant un temps laissé à l’échange avec les patient-e-s actuel-lle-s.
Des maladies longues qui isolent socialement et professionnellement
« J’étais très isolée, je ne voulais voir personne »
La première intervenante prend la parole « en 2018 j’ai commencé à ne pas aller bien. J’ai été en arrêt et ça a été de pire en pire. Je ne pouvais plus me lever, j’ai fait un épisode dépressif assez important qui a duré 4 bonnes années voire 5 avant que je puisse retourner vers l’emploi après 2 hospitalisations. » avant de poursuivre « j’étais très isolée, je ne voulais voir personne ». Des paroles qui trouvent un fort écho au sein de l’auditoire car c’est un point crucial et pourtant très compliqué : la question de la représentation des maladies mentales et troubles psychiques dans le domaine professionnel. Comment se justifier ? Que raconter ? Etre transparent et risquer un étiquetage péjoratif ou rester vague et ainsi perpétuer l’omerta?
Car comme souligné dans le témoignage, ce sont des maladies longues, avec des prises en charges pouvant durer plusieurs années.
Des témoignages qui mettent en lumière le vécu et redonnent espoir
« Merci d’avoir organisé ça, un moment où l’on peut se dire les choses sans honte » commente la deuxième intervenante, « ça fait du bien ». Elle revient encore une fois cette notion d’isolement, et une forme de culpabilité d’être éloigné du marché du travail sans pouvoir réellement se justifier auprès des employeurs.
Après avoir évoqué son parcours de soin, également ponctué de longues périodes d’isolement et de grands questionnements quant à son insertion dans le monde du travail, elle nous explique que l’idée reconversion est venue en côtoyant un autre organisme, le « Clubhouse » une association qui « crée et gère des lieux qui accompagnent la réinsertion sociale et professionnelle des personnes concernées par un trouble psychique » présente à Nantes. C’est là qu’elle rencontre Annaick Domergue, une metteure en scène qui cherche justement à mettre en place une pièce de théâtre avec pour comédiens-nes des non professionnels-lles ayant des troubles psychiques. C’est à ce moment là que lui revient une passion longtemps mise de coté : le théâtre. Et pour cette jeune femme qui cherchait depuis des années à retrouver un moteur à ses journées, ce fut une révélation. Elle explique avoir alors contacté un organisme de financement et être maintenant inscrite dans une école de théâtre.
« Aimons nous vivants »
Il ne faut pas oublier que le but premier de ces « Brunchs solidaires » est de redonner une forme d’espoir aux personnes hospitalisées, souvent laissées livrées à elles mêmes une fois le parcours de soin terminé. Pourtant la réinsertion ne se fait pas simplement une fois quitté les enceintes des hôpitaux et cliniques spécialisés.
C’est ainsi que le troisième intervenant nous parle de sa reconversion, qui lui est justement venue lors de son hospitalisation à la Clinique du Parc : c’est à force de voir les ambulances passer au sein de l’établissement que lui venue l’idée de devenir ambulancier, profession qu’il exerce à présent. Alors même qu’il ressentait que sa « vie s’était arrêtée en 2022 » et qu’il « était mort à l’intérieur », ajoutant « j’étais un tronc d’arbre ». Il nous confie que son parcours de réhabilitation fut aussi compliqué, fait d’objectifs progressifs mais qui finirent par payer. Reconnaissant avoir encore des « période de bas » il conclue néanmoins son témoignage par une phrase qui touche l’assemblée entière: « Aimons nous vivants ».
Un échange qui souligne de nombreux enjeux partagés
Le public présent ce jour a été particulièrement réceptif aux trois témoignages, trouvant souvent un fort écho dans leurs propres expériences et vécus. Les questions fusent, que ce soit sur des questions factuelles de prise en charge : mise en place de temps partiels thérapeutiques , échanges avec la médecine du travail, discours tenu face aux employeurs. Une intervenante évoquait d’ailleurs sa reprise, avec des missions adaptées et un retour progressif vers l’emploi.
Tous évoquent l’importance qu’a eu le CATTP, un endroit ouvert, de transition afin de remettre en place des objectifs pas à pas. Un lieu et un temps qui leurs a été donné pour faire le lien entre une hospitalisation complète et une reprise de la vie active ou pour certain de la vie tout court.
« Il n’y a pas que les symptômes, il y a la notion de rétablissement. »
Le docteur Martin, psychiatre référent de l’établissement, insistera sur ce dernier point « Il n’y a pas que les symptômes, il y a la notion de rétablissement » ajoutant « On ne pourra pas tout enlever mais il faut que le vie continue, la vie doit continuer ».
C’est pourquoi lui et son équipe on choisit de mettre en place ces « Brunchs solidaires », un évènement qui a vocation à être reconduit environ 3 fois dans l’année, afin d’entrouvrir la porte de l’après pour ses patients-es.
Car même s’il reconnait que les troubles psychiques restent encore tabous, il rappelle que c’est « 1 français-e sur 5 qui rencontrera un épisode psychique au cours de sa vie », ajoutant qu’en ce qui concerne la dépression par exemple c’est « 15 à 20% de la population générale française » qui devra y faire face au cours de sa vie. Des chiffres loin d’être anodins pour un sujet qui, malgré des avancées sociétales, a encore du mal à se faire entendre.