20 mars 2019

Les chats des jeux vidéo potentiellement dangereux ?

League of Legend, World of Warcraft ou Fortnite, ces jeux populaires proposent tous un chat pour faciliter la communication entre les joueurs. Toutefois, ces chats publics offrent une palette non négligeable de dangers potentiels à analyser.

Les chats des jeux vidéo potentiellement dangereux ?

20 Mar 2019

League of Legend, World of Warcraft ou Fortnite, ces jeux populaires proposent tous un chat pour faciliter la communication entre les joueurs. Toutefois, ces chats publics offrent une palette non négligeable de dangers potentiels à analyser.

Un sujet peu présent dans la réflexion sur les jeux vidéo

Dans l’espace médiatique actuel, les jeux vidéo sont traités à travers le prisme du danger des écrans, de l’addiction ou encore de la violence. Toutefois, le chat des jeux vidéo est une thématique parfois ignorée des utilisateurs et délaissé par les rédactions. Pourtant, ces chats peuvent également représenter un danger pour un public non sensibilisé aux potentielles dérives, notamment pour les joueurs mineurs.

Le fonctionnement des chats

Il faut tout d’abord comprendre le fonctionnement des plateformes de communications entre joueurs présents dans la plupart des jeux en ligne. Le chat est l’option idéale pour jouer entre amis sur une même partie ou pour rechercher de nouvelles personnes partageant le même objectif de jeu à réaliser. Par contact direct à travers les micros ou via les canaux de textes, les joueurs peuvent rentrer en relation très facilement avec leurs amis ou d’illustres inconnus afin de partager une aventure virtuelle. Aujourd’hui, Discord est la messagerie préférée des gamers. La plateforme d’échange devance Steam et compte plus de 150 millions d’utilisateurs.

Une utilisation parfois détournée

Le détournement du chat des jeux vidéo à des fins politiques ou idéologiques est parfois représenté dans la culture populaire. En effet, la série Occupied diffusée sur Arte met en scène l’utilisation du chat d’un FPS (jeu de tir à la première personne) à des fins politiques sur le jeu DayZ. Toutefois, cette pratique n’est pas qu’un fantasme cinématographique puisqu’elle s’installe concrètement dans le monde réel. Il s’agit d’un sujet davantage pris au sérieux par les agences de renseignement.

Le sujet a été brièvement mis au goût du jour après les attentats du Bataclan avec quelques rumeurs relayées par des sites d’informations comme RTL ou Forbes. En effet, au regard des perquisitions suivant l’attentat, le soupçon d’une attaque germant sur le chat vocal de la console Playstation de Sony a émergé dans différents articles. Une théorie qui s’est également appuyée sur les paroles du ministre belge, Jan Jambon, précisant quelques années plus tôt que les communications étaient difficiles à intercepter sur les consoles de jeux. Cette rumeur autour du Bataclan n’a pas été confirmée par la suite. Toutefois, cela démontre que l’on regarde avec inquiétude ces plateformes depuis plusieurs années maintenant.

Désormais, la DGSE (la direction générale de la Sécurité extérieure française) tente d’anticiper les possibilités d’utilisation des jeux vidéo à des objectifs politiques et terroristes. La sécurité extérieure n’élude pas la facilité de transmettre des informations informelles via ces outils réservés habituellement aux joueurs. Par conséquent, le service de renseignement extérieur français a décidé de recruter des stagiaires pour travailler sur ces thématiques en scrutant les chats des jeux vidéo connectés. La description de l’offre de stage proposée en janvier par la DGSE évoquait des jeux comme League of legends, World of Warcraft, PUBG ou encore le jeu en ligne Fortnite très prisé des jeunes générations. L’idée précise serait d’identifier et d’intercepter les conversations détournées sur les chats. Une proposition qui peut poser quelques problèmes de confidentialité des données des joueurs, mais qui démontre néanmoins un intérêt grandissant des gouvernements pour les discussions circulant sur les chats des jeux vidéo.

Ces offres de stage révèlent au grand jour les velléités de la DGSE, mais il est très probable que le service ait déjà anticipé ces problèmes et surveille depuis un certain temps les chats des jeux populaires comme le précise 01Net. « Il est possible que la DGSE soit déjà capable de pénétrer dans les canaux de discussion de certains jeux vidéo. Cette offre de stage pourrait être seulement destinée à attirer de jeunes candidats à fort potentiel technique. » précise également Le Monde.

Des informations révélées par Edward Snowden, le lanceur d’alerte américain, démontraient dès 2013 que la NSA (La National Security Agency) et que la GCHQ (Le Government Communications Headquarters, le service de renseignements électronique du Royaume-Uni.) surveillaient étroitement World of Warcraft pour déceler des intentions terroristes parmi les messages.

La législation française répond déjà à ces problématiques, puisque l’article 6. I. 7 donne l’obligation aux éditeurs et aux hébergeurs des jeux en ligne de « mettre en place un dispositif de signalement facilement accessible permettant à toute personne de porter à leur connaissance toutes activités illicites et d’informer promptement les autorités publiques compétentes de comportements illicites qui leurs seraient signalés« .

 

@Elliott Cable sur Flickr

Les conversations du jeu World of Warcraft sont captées par les services de renseignement. @Elliott Cable sur Flickr.

Des dangers bien réels

Cette demande de la DGSE s’est construite sur des interrogations factuelles et de réelles demandes de sécurisation autour de ce secteur encore flou et très peu abordé lorsque l’on parle de la vie privée et de la radicalisation sur internet.

La pédophilie est un des dangers sévissant sur les chats des jeux vidéo. Récemment, un Américain de 41 ans a utilisé le mode battle royal de Fortnite afin de rentrer en contact avec de jeunes utilisateurs. Il communiquait avec des enfants sur le chat et se serait rapproché de plusieurs d’entre eux en les amadouant par des cadeaux et de la monnaie virtuelle, les fameux V-Bucks de Fortnite. Contacté pour commenter cette affaire dans la presse locale, la procureure générale de Floride, Ashley Moody a déclaré sur cette affaire qu’elle est « troublante parce qu’un jeu en ligne populaire a été utilisé pour communiquer avec la victime ». Une pratique insidieuse qui s’immisce désormais dans l’univers vidéoludique.

Le changement c’est maintenant ? Une chose est sûre, l’intérêt grandissant des services de renseignement pour cette thématique, et la vigilance des joueurs peut potentiellement permettre d’endiguer ces dérives dans les prochaines décennies.

Animal journalistique curieux en service civique pour Fragil, je me passionne pour l’actualité du microcosme nantais afin d'en épier les nuances loin du manichéisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017