Fragil : Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans « Les contes d’Hoffmann » ?
Olivier Desbordes : Il s’agit d’un ouvrage ultime, composé in extremis. Offenbach a essayé de faire un opéra, dont on ne trouve aucun équivalent dans toute son œuvre à part « Les fées du Rhin », mais il n’est pas parvenu à le terminer. Dans l’acte d’Antonia, qui est le plus opératique, la figure centrale est confrontée à une même impossibilité, comme un écho : il lui est interdit de chanter, elle ne doit pas faire d’opéra sinon elle meurt. J’ai traité cet ouvrage comme un spleen, parsemé de poèmes de Baudelaire à la place des textes parlés. On trouve cependant, même dans ce pessimisme, un sens de la dérision que j’adore chez Offenbach. L’acte d’Olympia est encore très proche de l’univers habituel du compositeur, celui de Giulietta se pare de sensualité tandis que celui d’Antonia s’impose comme un opéra pur.
« La réalité, c’est qu’Hoffmann boit et qu’il raconte tous les soirs les mêmes histoires, que les autres sont lassés d’écouter. »
Fragil : Quels ont été vos choix de mise en scène ?
Olivier Desbordes : Le décor est unique ; il est traversé d’une longue table qui est aussi l’endroit où l’on joue. Un rideau d’avant-scène nous plonge dans un univers de cirque : on a pensé au film de Max Ophüls « Lola Montès » (1955), où une danseuse est exhibée par un meneur de revue lors de sa fin tragique. Le diable est malin et impertinent. C’est lui qui tire les ficelles d’une action qu’Hoffmann traverse sans changer de costume, comme s’il entrait dans une comédie. L’émotion est violente à la fin grâce à un effet de surprise. La réalité, c’est qu’Hoffmann boit et qu’il raconte tous les soirs les mêmes histoires, que les autres sont lassés d’écouter. On peut y voir une réflexion un peu sombre sur l’artiste : quand le spectacle est terminé, les spectateurs s’en vont.
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Fragil : De quelle manière définiriez-vous Hoffmann, le protagoniste ?
Olivier Desbordes : C’est un témoin de l’opéra. Il est narrateur, mais pas vraiment dans l’action. Les autres personnages ont des choses plus théâtrales et plus extraordinaires à faire. Hoffmann n’a aucun recul ; il est seul et mélancolique. Il n’aime pas les femmes qu’il rencontre, mais l’idée de ces femmes. Il est aveuglé par le côté adolescent d’Olympia, attiré par la dimension sensuelle et sexuelle de Giulietta et touché par la pureté d’Antonia, qui représente à ses yeux l’idéal de la femme qu’on épouse, la future mère de ses enfants.
« Je cherche à emmener le public dans une ambiance, poétique et enfumée, plutôt qu’à raconter une histoire. »
Fragil : Comment avez- vous traité le personnage androgyne de Nicklausse, son fidèle ami ?
Olivier Desbordes : Nicklausse est un acteur dans les histoires racontées par le protagoniste, au visage d’un clown. Il ne devient pas clairement la muse dans mon spectacle : il dit un poème de Baudelaire pour consoler Hoffmann, mais ça ne marche pas. Alors, il s’en va. Je cherche à emmener le public dans une ambiance, poétique et enfumée, plutôt qu’à raconter une histoire.
Fragil : Que représente le décor conçu par Patrice Gouron ?
Olivier Desbordes : C’est une espèce de machine de théâtre, avec cette énorme table, bordée de grandes palissades sur lesquelles des curieux se hissent pour observer l’artiste dans la société, un amuseur écorché. Les costumes sont ancrés dans la fin du XIXème siècle.
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Fragil : Quel sens donnez-vous aux éléments surnaturels, comme la voix de la mère disparue ou la perte du reflet ?
Olivier Desbordes : A cette époque de la fin du XIXème siècle, on commence à se poser des questions sur l’inconscient. La perte du reflet représente la manière, pour une femme, de prendre possession de l’autre. Dans l’acte d’Antonia, c’est Nicklausse qui joue la mère. Une petite poupée apparaît pendant tout le spectacle, avant de se retrouver dans son ventre, dans une image parodique de maternité, où l’on berce ce fantasme d’Antonia. Il y a aussi quelques éléments de magie, pour redonner au public un regard d’enfant.
« … il y a l’invention d’un nouveau langage musical, avec quelques thèmes rencontrés dans ses œuvres tardives. »
Fragil : Cet opéra ultime contraste avec l’ensemble de l’œuvre d’Offenbach, que vous abordez régulièrement. Y voyez-vous cependant des traces d’autres ouvrages ?
Olivier Desbordes : C’est plutôt le contraire. « Le roi carotte » (1872) s’inspire en effet d’un conte d’E.T.A Hoffmann « Klein Zaches, genannt Zinnober » (Petit Zaches, surnommé Cinabre), publié en 1819. C’est cette légende de Kleinzach qu’Hoffmann raconte dans le prologue de l’Opéra. Mais en dehors de cet écho, ces « Contes d’Hoffmann » sont très différents de ce que le compositeur avait fait auparavant. Ce n’est plus de la parodie, mais il y a l’invention d’un nouveau langage musical, avec quelques thèmes rencontrés dans ses œuvres tardives. Une épaisseur s’est ajoutée. C’est moins drôle et moins léger, comme si le monde d’Offenbach s’était écroulé.
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Fragil : Ces « Contes d’Hoffmann » seront programmés lors de la prochaine édition du festival de Saint-Céré. Quels en seront les autres temps forts ?
Olivier Desbordes : Nous allons reprendre « La Traviata » et « Les Noces de Figaro », et Benjamin Moreau va mettre en scène « Le devin de village » de Jean-Jacques Rousseau, un opéra champêtre qui sera donné dans des cours de petits châteaux. Cet ouvrage dure 50 minutes. Des textes du philosophe sur les rapports hommes femmes parsèmeront la soirée. Il y aura aussi un spectacle Mahler avec des réductions, pour 15 musiciens, de la quatrième symphonie et des Kindertotenlieder. L’un des évènements sera un concert de chants sacrés de la méditerranée, pour orchestre et ensemble vocal, qui sera créé auparavant à Marrakech et à Rabat, afin de montrer le lien entre des cultures très différentes du bassin méditerranéen. On a trouvé de très belles choses ; on ne doit pas opposer les musiques…
Photo de couverture: : ©Nelly Blaya