28 juin 2024

« Les fascistes ne s’arrêtent pas de l’être au travail » : entretien avec VISA44

À l’occasion du premier anniversaire de la création de la branche 44, Fragil s'entretient avec l'association intersyndicale Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes (VISA44) qui produit du matériel argumentaire pour lutter contre l’extrême droite.

« Les fascistes ne s’arrêtent pas de l’être au travail » : entretien avec VISA44

28 Juin 2024

À l’occasion du premier anniversaire de la création de la branche 44, Fragil s'entretient avec l'association intersyndicale Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes (VISA44) qui produit du matériel argumentaire pour lutter contre l’extrême droite.

En début d’après midi d’une journée ensoleillée, Bruno*, Mathilde* et Xavier* m’ont toustes les trois rejointe dans un café pour parler de l’association inter-syndicale VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes) et de sa branche de Loire Atlantique créée en juin 2023.

Bruno est membre du bureau et du conseil d’administration et a rejoint VISA national bien avant la création de la branche départementale, Xavier à lui aussi rejoint les rangs de VISA de façon individuelle puisqu’il y a quelques années son syndicat ne souhaitait pas se joindre au mouvement. Pour Mathilde, c’est la lutte victorieuse pour le CADA (centre d’accueil pour demandeur.se.s d’asile, ndlr) de Saint Brévin qui l’a poussée, elle et son syndicat, à intégrer VISA 44. Comme elle le souligne « nos modes d’actions sont différents, on a des divergences, par contre on a aussi des points de convergence et c’est ceux-là qu’on veut faire exister ».

Au niveau national, VISA voit le jour en 1996, « on s’est organisé à l’époque par rapport une première offensive sociale du Front National qui avait créé des syndicats étiquetés FN » grâce à une forte mobilisation, ces syndicats d’extrême droite finirent par être interdit.  Aujourd’hui, ce sont 230 structures syndicales qui composent VISA.

Cinq organisations syndicales composent la branche de départementale : le SAF (syndicat des avocats de France), Solidaires, la CGT (confédération générale du travail), la CNT (confédération nationale du travail) et FSU (fédération syndicale unitaire) afin de « dénoncer et combattre syndicalement toutes les discriminations racistes, sexistes et LGBTophobes au sein et hors des entreprises et des administrations » comme iels l’indiquent dans leur communiqué de presse.

logo de VISA44

La montée des actes de violences de l’extrême droite

Mathilde nous rappelle qu’« il y a quelques mois, il y a eu un procès à Vannes pour des faits qui ont eu lieux en 2017, à Nantes, au deuxième tour des élections présidentielles. Des membres du GUD (groupe union défense, groupuscule étudiant d’extrême droite connue pour leurs actes de violences répétés, dissout en 2024, ndlr) laissaient pour morts deux jeunes à l’arrêt Du Chaffault parce qu’ils étaient considérés comme antifascistes ». Cette soirée du 8 mai 2017 laissera à Erwan et Steven, deux cyclistes ayant pour seul tort d’être habillés de vêtements sombres, des séquelles à vie. Les quatre militants d’extrême droite seront condamnés à des peines allant de deux ans avec sursis à sept ans de prison ferme par la cour d’assise du Morbihan.

Bien que Nantes soit relativement épargnée des groupuscules d’extrême droite comparée à Angers ou Rennes, « ce sont les mêmes militants violents qu’on retrouvent à travers toute la région, ils sont peu mais se déplacent beaucoup, on a également Nemesis (groupuscule identitaire se réclamant du féminisme) qui vient d’arriver » complète la syndicaliste. En avril, quatre d’entre elles étaient venues perturber le meeting de Jean-Luc Mélenchon à la fac de médecine, munies de pancartes « voile=soumission » et « burka=obscène ».

Déceler, identifier, nommer

« Notre travail, il est de déceler, d’identifier, parce que le fascisme ne reviendra pas sous sa forme originelle. Il faut pouvoir dénoncer les comportements d’extrême droite et les nommer. À Nantes il y a deux blocs : les catholiques intégristes qui constituent le bastion historique de l’extrême droite et des nationalistes. ». Il y a peu, France 3 Pays de la Loire mettait en lumière les dérives sectaires de la Fraternité Saint-Pie X, où 500 membres de la communauté avaient pris possession des rues nantaises pour un chemin de croix le 18 février.

 « La vocation de VISA c’est de produire du matériel argumentaire pour les militants dans le monde du travail et dans le monde syndical pour permettre de déconstruire les programme et les propos de l’extrême droite »

« À chaque fois qu’il y a de l’actualité qui justifie une prise de position, on monte un dossier pour déconstruire les mensonges, comme pour l’imposture rurale de l’extrême droite, tout est accessible sur le site, le but c’est pas de faire de l’argent, le but c’est que ce soit utilisé et que ça serve à éduquer socialement sur les questions d’extrême droite. » m’apprends Bruno en me tendant plusieurs documents. Parmi eux, leur dernier dossier paru « de l’Italie de Meloni à la France de Le Pen ».

C’est dans cette dynamique qu’iels organisent des formations pour les salarié·es.

« On étudie des cas qui se sont réellement passés parce que les fascistes ne s’arrêtent pas de l’être une fois qu’ils ont pointés au travail »

Une première session a déjà eu lieu à la Maison des syndicats sur l’île de Nantes « ça s’est très bien passé, ça nous motive à en faire d’autres » se réjouit Xavier, « là tout est un peu chamboulé avec le nouvel agenda politique mais on espère pouvoir en recaler une dans le deuxième semestre si on est pas interdit d’ici là ».

Toustes s’inquiètent d’une potentielle arrivée au pouvoir de l’extrême droite, VISA44 ne donne pas de consigne de vote, mais appelle à « ne donner aucune voix à l’extrême droite » le jour des législatives.

Le 28 septembre auront lieu les premiers Etats généraux à Paris « les VISA locaux et les syndicats et autres organisations adhérentes sont sollicités pour contribuer et apporter des propositions sur le fonctionnement de VISA ». L’association intersyndicale s’agrandit et appelle donc ses membres à participer à sa restructuration.

*en raison de récentes menaces, tous les prénoms ont été modifiés

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Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017