4 septembre 2019

Les femmes effacées de l’Histoire

La société patriarcale a cantonné les femmes aux rôles de ménagères et de mères, leur interdisant l'accès à la vie politique, scientifique, artistique. Leur avenir était tout tracé. Malgré ces diktats, des femmes se sont battues pour œuvrer pour la science, la littérature, la musique... Certaines ont obtenues des prix Nobel quand d'autres sont tombées dans l'oubli et ont été effacées. Il faut leur rendre justice.

Les femmes effacées de l’Histoire

04 Sep 2019

La société patriarcale a cantonné les femmes aux rôles de ménagères et de mères, leur interdisant l'accès à la vie politique, scientifique, artistique. Leur avenir était tout tracé. Malgré ces diktats, des femmes se sont battues pour œuvrer pour la science, la littérature, la musique... Certaines ont obtenues des prix Nobel quand d'autres sont tombées dans l'oubli et ont été effacées. Il faut leur rendre justice.

Dans son livre 17 femmes prix Nobel de science, Hélène Merle Béral retrace le parcours combatif de 17 femmes scientifiques. Dès leurs débuts, ces femmes ont connu nombre d’obstacles, entre pression familiale pour rester une femme à marier et grandes écoles difficiles d’accès. Hélène Merle Béral explique dans son livre que si en théorie les femmes étaient autorisées à entrer dans des écoles renommées, en pratique cela leur était impossible d’y accéder, n’ayant pas reçu les mêmes apprentissages dans leur cursus. C’est ainsi que Gerty Cori, première femme à recevoir le prix Nobel de physiologie en 1947, dut rattraper en deux ans, cinq ans de mathématiques, de physique, de chimie et huit ans de latin pour entrer dans une école de médecine. Et une fois passée l’étape des études, ces grandes femmes de l’Histoire se sont heurtées à la misogynie qui était alors omniprésente dans le monde du travail.

Hélène Merle Béral cite Rosalyn Yallow, lauréate du prix Nobel de physiologie en 1977, qui se confie dans le New York Times : «  Pour réussir votre vie de femme, vous devez travailler deux fois plus. » sous entendant qu’il faut prouver son professionnalisme pour être acceptée dans un domaine majoritairement masculin.

On notera aussi que sur ces 17 femmes, seule Marie Curie est connue du grand public, et fut contrainte de partager son prix Nobel de physique en 1903 avec son mari, Pierre Curie. Au départ seulement deux noms avaient été proposés pour ce prix Nobel, nous explique Hélène Merle Béral : Becquerel et Pierre Curie. Lorsque Pierre l’apprit, il envoya une lettre aux jury expliquant que c’était injuste pour Marie qui était l’initiatrice du projet. Suite à cette action, Marie Curie fut la première femme a obtenir un prix Nobel même s’il s’agissait d’un prix partagé par le couple Curie.

L’effet Mathilda

Ce qu’a subit Marie Curie a un nom, il s’agit de l’effet Mathilda. Ce nom a été donné par l’historienne Margaret Rossiter en référence à Mathilda Joslyn Gage, militante des droits des femmes à la fin du XIXème. Mathilda Joslyn s ‘était rendue compte que les femmes profitaient moins des retombées de leurs découvertes au profit des hommes. L’effet Mathilda démontre la minimisation des contributions des femmes dans le domaine scientifique. Ainsi, Rosalind Franklin, qui découvrit la structure de l’ADN en 1960 ne recevra jamais le prix Nobel. Il fut attribué à trois hommes : James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, quatre ans après sa mort. Ces scientifiques ne citèrent jamais le nom et le rôle de Rosalind Franklin. Marthe Gauthier, découvreuse de la trisomie 21 en 1959, connut le même sort. Sa découverte fut récupérée par le docteur Jérôme Lejeune.

Des misogynes mis sur un piédestal

Un très grand nombre d’hommes sont connus et admirés. Comment se comportaient-ils avec les femmes ? Dans les cours d’Histoire, de littérature, de philosophie ou bien de physique, on loue les mérites d’Albert Einstein ou bien de Gandhi, sans jamais préciser qu’ Albert Einstein disait de sa femme qu’elle était un être inférieur, ou que Gandhi, grand symbole de la paix (seulement pour les hommes) écrivait que les pères pouvaient tuer leurs filles par honneur si celles-ci se faisaient violer.

Nous avons recueillis les témoignages de jeunes filles et de jeunes garçons.

« On idéalise beaucoup les gens qui ont réussi. Parfois je me dis qu’on ne devrait pas oublier la misogynie de certains grands hommes de L’Histoire. Par exemple je sais que les précurseurs des Lumières étaient racistes et disaient des choses abominables sur les noirs et sur les femmes aussi. Mais ça on ne nous le dit pas et tout le monde pense que les philosophes et scientifiques des Lumières sont merveilleux. L’Histoire est toujours orientée, écrite par les vainqueurs, et ça nous renvoie une image faussée », confie Séléna, collégienne de 15 ans.

«  J’ai déjà entendu dans ma vie des personnes, hommes et femmes, dire qu’il est « normal » que l’homme soit supérieur à la femme, il n’ y a qu’a voir qui a marqué l’Histoire et ils et elles citent : Mozart, Rousseau, Archimède… Que des noms d’hommes. J’ai vu le film Nannerl qui parle de la sœur de Mozart, celle-ci avait les mêmes prédispositions que son frère mais se vit refuser ses compositions musicales car elle était une femme. Mais malgré que les femmes ait été forcées de poursuivre une vie domestique, je pense qu’on devrait parler plus des femmes dans les cours d’Histoire, et dire que les découvertes et l’histoire de l’humanité concernent autant les hommes que les femmes », raconte Antoine, lycéen de 17 ans.

Film de René Feret

 

L’impuissance apprise (ou acquise)

Les jeunes femmes que nous avons aussi interrogées étaient toutes d’accord pour dire que les cours donnés par les professeurs d’Histoire n’apprenaient que l’Histoire des femmes sous un certain angle : la lutte pour les droits, l’avortement, le travail etc… Elles disent toutes que cet apprentissage est très important et en même temps réducteur et dangereux. En effet, elles ne voient les femmes et donc elles-mêmes plus que par ce biais : un genre ou une classe de sexe ayant été totalement discriminé et effacé de l’Histoire. Cette injustice passée a une conséquence, c’est de se sentir soi-même victime et inférieure. En psychologie, on parle d »impuissance apprise ou acquise.

L’impuissance apprise ou acquise est une notion qui a été proposée en 1975 par Martin Seligman, professeur de psychologie expérimentale. Celle-ci advient lorsque nous nous habituons à subir des événements négatifs et injustes. Nous les banalisons alors et acceptons d’être impuissants et passifs. Nous finissons par trouver cela normal et justifié.

« Je me sens mal pour les femmes, qu’elles aient eu a subir tout ça, le statut inférieur, avoir été effacées de l’Histoire… parce qu’il s’agit aussi de moi en tant que femme, ces sujets me touchent. D’apprendre tout ça depuis l’enfance et de le rabâcher, me donne l’impression d’être victime aussi. En même temps c’est crucial d’en parler, et d’un autre côté ça nous apprend à accepter ce sort. Il faudrait bien entendu continuer à dénoncer la misogynie présente à travers l’Histoire, mais aussi parler du rôle des femmes autrement que comme des victimes invisibilisées, et qu’on continue à invisibiliser finalement en faisant cela. En tant que filles je peux vous dire que nous avons très peu de modèles de grandes femmes de l’histoire ou de la littérature à qui se raccrocher et nous n’avons comme modèle que « la femme victime, inférieure à l’homme »… et nous finissons presque par trouver cela normal, l’accepter », témoigne Jeanne, 20 ans.

Vidéo d’une expérience autour de l’impuissance apprise ou acquise faite dans une classe :

Ateliers femmes et féminisme à Nantes

Les Ateliers Wikipédia Femmes et Féminisme de Nantes sont nés d’un constat : 10 % des contributeurs Wikipédia sont des femmes et seulement 12 % des biographies sont celles de femmes. Cette association propose des ateliers d’écriture pour lutter contre le sexisme et ainsi rendre les femmes plus visibles sur Wikipédia.

Les ateliers ont lieu un mercredi soir et un samedi soir par mois dans le centre ville de Nantes. Contact : lesaffs@lapost.net

Sources

17 femmes prix Nobel de sciences, Hélène Merle Béral, éditions Odile Jacob

Trop belles pour le Nobel, les femmes et la science, Nicolas Witowski, éditions Seuil

Cachées par la forêt, 138 femmes de lettres oubliées, Eric Dussert, éditions de la table ronde

Gandhi, sa vie et sa pensée, Presse Universitaire du Septentrion

Jeune auteure de 23 ans, j'ai publié trois livres aux éditions Fabert : Et il me dit : "Pourquoi tu rigoles jamais Blanche ?", un récit-témoignage sur le harcèlement scolaire, "Chair et âme" qui traite d'hypersexualisation de la société, et "Luciole", une histoire d'amour entre deux adolescents. J'écris sur mes propres expériences et aborde dans mes livres les problèmes de société qui touchent les jeunes d'aujourd'hui. Je fais également des interventions sur les thèmes de l'hypersexualisation, du consentement sexuel etc

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017