L’une des plus célèbres toiles du peintre surréaliste tient en une seule phrase : Ceci n’est pas une pipe. Prémice des interrogations philosophiques de l’artiste, ce calligramme, titré La trahison des images, accueille les premiers visiteurs. Présenté en parallèle, l’autoportrait La Lampe philosophique, rappelle la fameuse pipe éclairée à la lueur d’une nouvelle lumière. Deux tableaux, deux ambiances, qui introduisent le cheminement de la scénographie de Didier Ottinger, commissaire de l’exposition, propice à une balade dans les recoins du cerveau de Magritte.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/11/Magritte_La-lampe-philosophique_1936.jpg » credit= »© Photothèque R. Magritte / Banque d’Images, Adagp, Paris, 2016″ alt= »René Magritte, La lampe philosophique, 1936 » align= »center » lightbox= »on » caption= »René Magritte, La lampe philosophique, 1936 » captionposition= »left » revealfx= »off »]
Le surréalisme ou l’art de rêver éveillé
S’il est une référence pour les adeptes du surréalisme, elle est résumée dans la citation de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». C’est en 1924 que naît ce mouvement artistique avec la publication du premier Manifeste du surréalisme d’André Breton. Une pensée où poètes et philosophes du 19ème siècle s’apparentent à des muses. Quant aux théories freudiennes, elles transcendent la créativité des précurseurs du mouvement. Sur cette base, une conviction devient prégnante : monde onirique et réalité ne feraient qu’un. Autrement dit, selon les surréalistes, il existerait une continuité entre la phase de sommeil nocturne et la vie diurne. « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue » exprimait Breton.
Les Affinités électives de Magritte en sont une illustration. « Une nuit de 1936, je m’éveillais dans une chambre où l’on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l’oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant (…)».
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Déconstruire pour mieux reconstuire
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Défier les évidentes apparences, tel est en substance, le concept de la série des peintures-mots réalisée entre 1927 et 1930. « Un objet ne tient pas tellement à son nom qu’on ne puisse lui en trouver un autre qui lui convienne mieux » expliquait Magritte dans la revue la Révolution surréaliste. Dans La Clef des songes, abécédaire détourné, il confronte image et langage. Ici, la représentation de l’objet est associée à un nom qui ne lui correspond pas. Seule la valise est « correctement » légendée, enfin, selon une logique conformiste. L’effet recherché est ainsi atteint : provoquer le questionnement. Et si la case valise était en fait fausse ? Les trois autres ne seraient-elles pas la réalité ou une autre forme de réalité ?
La toile : un nouveau terrain de jeux philosophiques
De ce postulat découle un leitmotiv : une image vaut mieux qu’un long discours… philosophique ! La Durée poignardée met en relief les interrogations relatives au temps qui passe. Le sentiment de durée est-il plus réel en se concentrant sur le va-et-vient de la trotteuse d’une horloge ou en expérimentant un voyage en train ? La question est laissée en suspens au beau milieu du salon. Même chose avec la toile, non dénuée d’humour, Les Vacances de Hegel. Le verre, objet banal du quotidien, y est présenté dans toute sa contradiction. « J’ai pensé que Hegel aurait été très sensible à cet objet qui a deux fonctions opposées en même temps : rejeter l’eau (s’en protéger) et la garder (la contenir). Il aurait été ravi, je pense, ou amusé (comme on cherche à l’être lorsqu’on est en vacances) et j’ai appelé le tableau Les Vacances de Hegel ».
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D’un coup de pinceau, renverser la pensée
Avant Hegel, Magritte se penche sur les théories platoniciennes. L’Allégorie de la caverne est une figure rhétorique exposée par Platon dans le Livre VII de La République. Des hommes enchaînés sont immobilisés dans une grotte. Dos à l’entrée, ils ne voient pas directement la lumière du jour, seul un faible rayonnement émanant d’un feu, perce l’obscurité. Ils distinguent alors leurs ombres et celles projetées d’objets au loin. Que l’un d’entre eux se libère, accompagné vers la sortie, il sera d’abord cruellement ébloui. Il souffrira de ces changements, résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l’on veut lui montrer. S’il persiste, il s’accoutumera. Il pourra voir le monde dans sa globalité, en pleine conscience. Cette mise en scène relate les conditions d’accession à la connaissance de la réalité ainsi que sa difficile transmission. Le philosophe faisant office de lumière pour l’homme. Magritte peint au-delà. Dans sa série La Condition humaine, il installe un paysage, un feu et un tableau dans un tableau. L’image prend le pas à distance du réel. Il défie l’ordre philosophique établi et révèle ici sa propre vérité.
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La bête noire de René Magritte fut l’ennui. L’art de la peinture n’a su compenser ou même transcender chez lui l’ennui de vivre. C’est certainement pour cela qu’il n’a eu de cesse de s’interroger sur le monde qui l’entourait. À la manière d’un virtuose de l’image, il a cherché à faire passer un message, son message, tout en finesse poétique belge… Arrêtez d’être naïfs, nom d’une pipe !
Exposition La trahison des images à découvrir au Centre Pompidou jusqu’au 23 janvier prochain