«Votre pardon est un acte héroïque. Vous vous êtes hissé à la hauteur de Nelson Mandela». Ce compliment a été émis par l’un des plus éminents spécialistes du cinéma espagnol, José Luis Sanchez Noriega, professeur à l’Université Complutense de Madrid. Et il s’ajoute à celui d’Iciar Bollain : «Elle est lumineuse, inspirante. Elle incarne l’espérance».
Pourquoi tant de louanges pour cette femme digne et modeste ? Parce que cette militante communiste a eu le courage d’affronter, face à face, deux des assassins de son mari, deux militants de l’ETA prêts à se repentir, Luis et Iban, qui ont abattu de sang froid José Maria Jauregui. Au Pays Basque, ils ne sont pas si nombreux à avoir fait ce chemin, cet examen de conscience. C’est ce qui rend ce geste d’autant plus exemplaire.
«Un film qui remue les tripes»
«Maixabel» renommé «Les repentis» en France est un film bouleversant dont on ne ressort pas indemne et c’est sans doute ce qui lui a valu d’être couronné deux fois comme meilleur film du Festival du cinéma espagnol, une fois par le public, une autre fois par un jury composé de professionnels.
«C’est un film qui interpelle, qui touche les gens, qui te remue les tripes» avoue humblement Maixabel, surprise et heureuse du succès du film en Espagne.
«La force du film, c’est l’empathie qu’il engendre. Le spectateur vit pleinement les contradictions morales des personnages, leur douleur, leurs doutes, leur solitude» précise le professeur Noriega.
De fait, ce qui est remarquable dans le film, c’est qu’il ne prend pas partie, ni pour un camp, ni pour l’autre. Il montre aussi bien les souffrances des victimes que celles de leurs bourreaux, avec une grande sensibilité, des dialogues poignants, des silences pesants et des regards lourds de sens qui en disent plus que des paroles.
Pas de justification de la violence
«Je voulais donner de la voix aux victimes du terrorisme parce que l’on ne s’imagine pas ce qu’elles vivent après : la tristesse, les incompréhensions de leur entourage, des gardes du corps en permanence» explique Iciar Bollain qui signe son 11ème film en tant que réalisatrice. «Et je voulais aussi montrer le voyage personnel que font ces dissidents d’une bande terroriste quand ils passent du statut de héros à celui de traître, mais sans justifier leurs actes».
Iciar reconnaît avoir beaucoup «tremblée» pour ne pas franchir cette ligne rouge. «Le sujet du terrorisme basque est encore très sensible en Espagne. Je craignais que la droite ne me reproche d’avoir mis sur un pied d’égalité la souffrance des victimes et celle des terroristes. Mais en fait, le message du film est tellement fort qu’il rend la violence illégitime et l’idéal de l’ETA injustifiable. Les 50 ans de lutte armée n’ont servi à rien si ce n’est à détruire des vies».
La reconnaissance plutôt que le pardon
Aux yeux de Maixabel, ce n’est pas un film sur le pardon. D’abord parce qu’elle est agnostique et ensuite parce que, pour elle, ce mot a été vidé de son sens. Elle préfère parler de «deuxième chance».
«Ce dont je suis sûre, c’est que ces hommes, qui ont pris conscience de la monstruosité de leur acte, ont changé. Ils ne commettront plus jamais de tels crimes» avoue-t-elle. Et de conclure : «Je regrette que cette justice réparatrice ait été abandonnée en 2012. Elle permettait de guérir en s’écoutant, en reconnaissant les souffrances. Si elle avait continué, il y aurait sans doute eu plus de volontaires dans les rangs de l’ETA».
Le fanatisme qui pousse au crime
Le film aborde bien d’autres aspects et notamment l’engrenage qui pousse des fanatiques à devenir des tueurs en série. Ils sont recrutés et rendus inhumains. Ils assassinent sans connaître leurs victimes, en les tirant au sort et ensuite ils se glorifient de leurs meurtres, une fois la mission réussie. Impossible de faire machine arrière quand ils ont commis l’irréparable sinon ils sont broyés par la machine criminelle que constitue l’ETA.
Et la scène finale où l’on voit Iban, l’un des deux repentis, venir s’agenouiller sur la tombe de Juan Marie, au beau milieu d’une cérémonie à sa mémoire, est une ode à la réconciliation.
«Lorsque nous avons présenté le film en avant première au Festival de San Sebastian» confie Iciar Bollain «toute la salle s’est levée et s’est mise à chanter comme dans le film. Cette scène, que j’ai tourné avec les vrais partisans de Maixabel, a fait verser beaucoup de larmes mais elle est moins frappante que la vraie, celle qui a eu lieu en réalité».
Le film, présenté en avant première à Nantes sortira en octobre en France. A ne manquer sous aucun prétexte.