Informer sur les quartiers populaires, pas si facile pour la presse généraliste. Si des médias émergent au sein des quartiers, comme le désormais bien connu Bondy Blog, les journalistes des grands médias nationaux semblent bien en peine de couvrir l’actualité des quartiers prioritaires au quotidien, et d’en renvoyer une image autre que celle liée à la violence, la drogue et la délinquance. Érik Neveu, sociologue, Ambre Simon, journaliste et Jean Le Menn correspondant de quartier nous ont livré leurs analyses dans le cadre de la table ronde organisée par Fragil le samedi 5 octobre dernier à la Fabrique en Scène.
Pour Erik Neveu, cette difficulté s’explique tout d’abord par la sociologie de la profession. Les journalistes sont majoritairement issu·es des catégories sociales les plus élevées, et sont « spatialement éloigné.es des quartiers populaires ». Même si la plupart d’entre elles et eux cherchent à faire leur métier honnêtement, et sont « de bonne volonté », selon le chercheur ils et elles ne sont pas « outillé·es » pour les quartiers populaires : pas toujours évident de traiter de ce qu’on connaît mal…
Une analyse que corrobore Ambre Simon, jeune journaliste, auteure d’un documentaire sur ce sujet. Selon elle « les journalistes ne veulent pas s’éloigner de leur confort » et vont vers des sujets urbains, vers le centre ville. Un fonctionnement alimenté par les consignes données au sein des rédactions d’après elle : « la hiérarchie », soit les rédacteurices en chef et directeurices des rédactions, sont responsables des orientations éditoriales et donc d’une certaine indifférence pour le quotidien des quartiers.
L’argent : le nerf de la guerre ?
Une autre explication au désintérêt manifeste des médias pour les quartiers prioritaires peut se trouver dans le fonctionnement financier des groupes de presse. Selon Erik Neveu, les sujets traités sont en relations avec le lectorat visé par les titres papiers et les chaînes de télévision. « On place les moyens là où on est lu, et en fonction de ce que cherchent à vendre les annonceurs » explique-t-il. Or, les médias sont peut-être moins consommés dans les quartiers populaires ? En tout cas, l’expérience de terrain de Jean Le Menn, correspondant historique de Ouest-France aux Dervallières semble confirmer cette hypothèse : « ce serait mentir de dire que beaucoup de gens lisent le journal... » témoigne-t-il.

Jean Le Menn, Erik Neveu et Ambre Simon, invité·es de la table ronde animée par Romane Tirel de Fragil
« Je n’ai jamais été censuré »
Pourtant lui se veut optimiste : professeur dans l’éducation nationale, recruté comme correspondant grâce à une petite annonce il y a trente ans, il défend les valeurs et le sérieux du traitement de l’information par les correspondant·es au niveau local. Pour lui parler d’un feu de poubelle « ce n’est pas une écriture responsable », et vous ne trouverez pas ce genre d’ « informations » dans ses articles. Il nous raconte son quotidien et une relation de confiance avec sa hiérarchie au sein du journal : « si je choisis un sujet, on considère que c’est qu’il vaut le coup. […] Jamais je n’ai été censuré ».
Faut-il décentraliser la presse ?
Jean Le Menn sert aussi de relais à ses collègues journalistes professionnel·les lorsqu’ils et elles ont besoin d’un témoignage du quartier. Alors Ouest-France serait-il un « cas à part » comme le dit Ambre Simon ?
Il ne faut en fait pas oublier que parmi les médias, il y a une pluralité de modèles et selon Erik Neveu, la presse quotidienne régionale, dont fait partie Ouest-France, est celle qui a le plus de contacts avec les populations des quartiers populaires. C’est d’ailleurs pour cela qu’il plaide pour un réseau plus dense de journalistes de la presse nationale ancré·es dans les territoires. Une piste d’amélioration concrète pour le traitement de l’information issue des quartiers prioritaires. Reste aux grandes rédactions à s’en saisir !