19 juin 2015

Médias : les entrepreneurs en mode start-up

L’échec patent de la concentration des médias traditionnels, qui n’arrive pas à enrayer les conséquences de l’effondrement des recettes publicitaires depuis 2008, laisse place à la création de nouveaux modèles économiques. Le festival Web2day à Nantes s’est fait l’écho de quatre innovations en la matière.

Médias : les entrepreneurs en mode start-up

19 Juin 2015

L’échec patent de la concentration des médias traditionnels, qui n’arrive pas à enrayer les conséquences de l’effondrement des recettes publicitaires depuis 2008, laisse place à la création de nouveaux modèles économiques. Le festival Web2day à Nantes s’est fait l’écho de quatre innovations en la matière.

Le festival Web2day est avant tout un espace de rencontres entre entrepreneurs du web. On y parle innovations numériques, modèles économiques, start-up, marché, business… Mais on parle aussi de médias et d’informations. Plusieurs conférences et tables rondes ont traité du sujet avec des angles et des invités différents. Hélène Fromen (Thank You Motion), Liam Boogar (Rude Baguette) Jérôme Ruskin (Usbek & Rica) et Damien Cirotteau (Brief.me) ont présenté leurs créations de médias, portant un nouveau regard sur la manière de transmettre l’information au public. Des créations qui adoptent le modèle de développement des start-ups et misent sur une personnalisation accrue de l’information.

Thank You Motion : la culture du mix

Après avoir travaillé au Monde, à 20 minutes, ou encore à Médiapart, Hélène Fromen a quitté le circuit des médias nationaux traditionnels pour fonder en 2014 la start-up Thank You Motion aux côtés de Nicolas Silberman (ex directeur des systèmes d’informations de Mediapart). Le principe est simple : offrir la possibilité aux internautes de clipser (capturer puis diffuser) les instants clés d’une vidéo produite par les médias d’information.

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« Notre idée est de dire à ces médias : concentrez-vous sur la qualité de vos productions vidéo, et laissez aux utilisateurs le pouvoir de se les approprier et de les promouvoir », explique Hélène Fromen. Jouant la carte de la personnalisation de l’information, Thank You Motion s’adresse d’avantage à une communauté qu’à une audience. Plusieurs éditeurs et médias ont déjà franchi le pas à l’image de l’Express et du Monde qui permettent aujourd’hui une appropriation de leurs contenus vidéos par les internautes via Thank You Motion.

Usbek & Rica : le fond guide la forme

Pour Jérôme Ruskin, fondateur du magazine culturel Usbek & Rica, « lorsqu’on créée un média, c’est le fond qui doit être le moteur ». Cet ancien étudiant en sociologie adepte de Montesquieu et de ses Lettres persanes (d’où il tire le nom de son média), a fondé Usbek & Rica en 2006. L’objet d’information est alors un mook, à mi-chemin entre le mag et le book (XXI, 6 mois, etc.). Lorsque la chute des recettes publicitaires vient frapper la presse traditionnelle de plein fouet, Usbek & Rica n’est pas épargné. Il a fallu trouver un autre modèle qui a abouti en 2015.


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Usbek & Rica emploie six collaborateurs et une vingtaine de prestataires pigistes ou graphistes. La ligne éditoriale : comprendre le monde qui vient. « Pour beaucoup de gens, penser le futur est un luxe », plaide Jérôme Ruskin. « Car le futur, c’est d’abord arriver à boucler ses fins de mois. » Usbek & Rica veut en quelques sortes démocratiser l’accès au futur ou, autrement dit, être « médiateur de communauté pour apporter le futur aux lecteurs. » Pour ce faire, Usbek & Rica adopte un ton « cool et savant » et refuse le pessimisme ambiant. « Nous voulons redonner aux gens le goût de l’avenir », annonce Jérôme Ruskin.

[aesop_quote type= »block » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »Pour beaucoup de gens, penser le futur est un luxe. Car le futur, c’est d’abord arriver à boucler ses fins de mois. » cite= »Jérôme Ruskin, fondateur du magazine Usbek & Rica » parallax= »on » direction= »left »]

Côté modèle économique, Usbek & Rica mise sur la diversification des activités. Ainsi l’entreprise publie des ouvrages (Facebook expliqué aux vieux, Lady Gaga expliquée aux vieux, etc.), crée des applications (Futur), organise des événements (Le tribunal des générations futures) et collabore avec d’autres médias comme Arte dans la production de contenus éditoriaux.

Brief.me : l’email n’est pas mort !

Brief.me a vu le jour en 2014 grâce à la collaboration d’anciens de Rue 89 parmi lesquels Laurent Mauriac et Damien Cirotteau. L’idée n’a rien de révolutionnaire : utiliser le mail comme vecteur d’informations. Brief.me offre la possibilité de recevoir des informations personnalisées et conçues par d’autres médias à travers une newsletter quotidienne.

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« Le mail est souvent mal utilisé », indique Damien Cirotteau, « mais il reste un canal privilégié, mobile, un espace validé par les utilisateurs. La newsletter de Brief.me arrive au milieu d’éléments de qualité. » Dans le flux du tourbillon médiatique, Breif.me mise sur la clarté, la simplicité et la personnalisation. « Brief.me vous aide à y voir clair. S’informer redevient facile », annonce la start-up.

[aesop_quote type= »block » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »Le modèle d’une presse subventionnée par la pub est fini !  » cite= »Damien Cirotteau de Brief.me, ancien de Rue 89″ parallax= »on » direction= »left »]

Si les 15 premiers jours d’utilisation sont offerts, Brief.me mise sur une newsletter payante. « Le modèle d’une presse subventionnée par la pub est fini », tranche Damien Cirotteau qui prône l’hybridation des modèles économiques avec des activités événementielles, des publications et des services de communication.

Rude Baguette : win in translation

L’expérience de Rude Baguette met en lumière la problématique des langues dans l’univers de l’information française. Car si le blog d’informations créé en 2011 connaît un franc succès, c’est grâce à une idée simple : parler de la France en anglais. Qui plus est parler d’un domaine où l’anglais est roi : l’écosystème des start-ups. Ce positionnement original a permis de développer Rude Baguette comme un média de référence dans l’univers des start-ups françaises.

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Secondé de deux rédacteurs, Liam Boogar n’est pas tendre avec le modèle économique des médias traditionnels. « On a fait le choix de se dire que notre succès ne serait pas basé sur la pub. Tout simplement parce qu’il ne peut pas y avoir de corrélation entre la qualité du travail journalistique et les revenus publicitaires. Ce n’est pas parce que le travail journalistique est de qualité que les recettes vont augmenter. » Et l’entrepreneur de comparer Buzzfeed] (30 millions d’euros de bénéfices en 2013) et le New-York Times (à peine 2 millions). Liam Boogar ne croit pas non plus au système d’abonnement. « Ça ne marche pas. Pour preuve, Le Monde stagne avec 60 000 abonnés dans un pays de 60 millions d’habitants ! ». Son modèle est donc celui d’une start-up dont il se revendique (évidemment) sans problème.

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Pour Liam Boogar comme pour Jérôme Ruskin, c’est donc la qualité de l’information et de la manière de la transmettre qui priment. « Pour que la ligne éditoriale d’un média tiennent la route » , explique le boss de Rude Baguette, « il faut que le journaliste face son boulot de journaliste, le distributeur, son boulot de distributeur, etc. » Un discours qui peut paraître évident mais qui ne l’est pas toujours, au quotidien, dans les médias traditionnels.


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Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017