Au mois de novembre 2021 a eu lieu la 22ème édition du mois du film documentaire, évènement organisé par le réseau national des bibliothèques.
Parmi la programmation, Fragil met à l’honneur « Meufs(de)la cité » film réalisé par Bouchera Azzouz. La présentation de ce film a eu lieu, le 26 novembre, salle du Radar, dans le quartier de la Bottière, en présence de la réalisatrice Bouchera Azzouz.
Une cinéaste engagée issue elle même d’un cité de région parisienne.
Cette dernière est née à Bobigny au milieu des années 1970.Troisième d’un famille nombreuse elle devient très vite « une seconde mère ». Sa vie au sein de la cité l’amène à prendre conscience de la place des femmes immigrées. Elle devient une militante de la cause des femmes en créant l’association « les Ateliers du féminisme populaire »
C’est cet engagement fort qui l’a amenée à réaliser 3 films (cf filmographie ci dessous ). Cette trilogie raconte dans un premier temps l’histoire de sa mère, dans un deuxième temps sa propre histoire et enfin le vécu des jeunes filles aujourd’hui.
Le quotidien émouvant de quatre jeunes filles dans leur cité.
Camilya 29 ans, consultante en communication a grandi à la cité du Luth, à Gennevilliers, tandis que Sarah, Imane et Kamba, encore adolescentes et lycéennes vivent à Corbeil-Essonnes.D’origines différentes(maghrébines, espagnole, sénégalaise), toutes ont partagé les mêmes codes. À commencer par une priorité : veiller à leur (bonne) « réputation » et échapper aux (mauvaises) « rumeurs » pour ne pas salir l’honneur de leur famille et prendre en main leur destin, en toute autonomie.
Le film nous amène progressivement a faire leur connaissance et rentrer un peu dans leur intimité, le tout soutenu par une photographie très lumineuse. Leurs idées s’expriment, se croisent et abordent de nombreux sujets : mixité sociale, relations filles-garçons, place de la religion et du voile, études, racisme, vivre-ensemble… Nous découvrons les différents points de vue par petites touches, chacune des témoins décrivant sa vision de l’avenir et ses stratégies de contournement d’un carcan rassurant mais pesant, du fait qu’elles n’ont pas d’espace propre en dehors de chez elles. Symboliques, les virées à Paris – où ces dernières se fondent dans l’anonymat – laissent entrevoir la prochaine étape qu’elles aspirent à franchir : quitter la cité de leur enfance, dont elles restent fières. Mais s’envoler absolument.
Nous sortons de ce film émus par la lucidité, l’expression forte de ces jeunes très matures qui nous offrent une analyse fine de leur vécu,mais qui sont aussi capables d’auto dérision.
Le débat qui s’en suit se déroule auprès un public averti dont le sujet de ce documentaire fait écho a leurs propres expériences de vie au sein d’une cité.
Présentation par la réalisatrice de sa démarche cinématographique.
Après la diffusion du film, les animateurs de la soirée impliquées dans 2 associations respectives( la sagesse de l’image et Coopération des hommes pour l’abolition du patriarcat ) invitent la quarantaine de personnes présentes à se mettre en cercle pour lancer le débat. La réalisatrice débute les échanges en expliquant comment est né ce troisième film :
« Mon souhait était de poursuivre mon engagement et de montrer ce que vivait cette troisième génération d’enfants d’immigrés dans les cités.Cependant, contrairement aux deux autres films où je me suis appuyée sur ma famille, il fallait aller à la recherche de jeunes filles. C’est ainsi que lors de la projection de mon documentaire précédent j’ai rencontré les protagonistes de ce film qui étaient bénévoles au sein d’ une association. Celles ci m’ont interpellée pour dire leur intérêt à faire part de leur expérience de vie dans leur cité. »
Ainsi, les jeunes ont tourné dans différents lieux, chez elle, à faire du sport, dans la rue pour mieux comprendre leur quotidien.
La vie dans les cités nous montre des visions différentes suivant ou l’on habite. Une habitante intervient pour dire qu’elle est surprise de ne voir aucune « française française » dans le film, ce qui ne correspond pas à son propre vécu. Bouchera Azzouz fait le même constat : « Dans les cités de la région parisienne il n’y en a pas ou plus. En effet il faut différencier la vie dans les cités de province et la région parisienne avec ses très grands ensembles où la mixité n’existe plus ». Une autre habitante du quartier de la Bottière acquiesce, ayant elle même vécu en région parisienne.
Fragil : Quelle évolution constatez vous au travers de ces films ?
« A l’époque nous n’avions pas de modèles, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.La crainte du « qu’en dira t’on » et des rumeurs était très forte mais elle existe encore aujourd’hui surtout pour les filles. Quant aux parents, les mères ont sacrifié une carrière pour élever leurs enfants afin d’ être présentes pour leur éducation. Par contre au travers du film on découvre que pour certaines des jeunes le père est très présent dans leur discours, même s’ils ne sont pas d’accord sur tout ils semblent compréhensifs.Ceci est une évolution par rapport aux années passées »
Elle nous raconte également comment sa génération a souffert de ne pas sortir, de ne pas avoir de loisirs, ayant reçue une éducation stricte.Le débat se poursuit de façon intense, on se confronte parfois sur le sens des mots,le public est attentif et participant,car les questions sont nombreuses et les sujets aussi comme la place de l’école, la place des pères, la pauvreté, le logement, la place des hommes en général et leur posture à côté des filles.
L’avenir des jeunes filles au sein des cités, un combat pour l’émancipation.
A la fin ce débat, la question est posée par une spectatrice de comment les jeunes filles peuvent sortir de ce « ghetto urbain » ?
La réalisatrice résume la situation en expliquant « qu’il y a quelques évolutions et que les filles déploient de nombreuses stratégies pour avancer, porter le voile pour être tranquille, éduquer les camarades garçons, avoir un comportement de garçon manqué …. »
Le constat général qui semble mettre tout le monde d’accord dans la salle est que c’est seulement par les études que les filles vont se sortir de ce carcan de la cité et que cela passe obligatoirement par une rupture,sans doute difficile à vivre, sentiment exprimé par une des protagonistes du film. « Mais les garçons sont encore plus prisonniers de leur image d’hommes forts » nous explique la réalisatrice.
Bouchera Azzouz complète le sujet et nous informe qu’elle a rencontré récemment les actrices de ce film : « Depuis le tournage qui s’est déroulé il y a deux ans ces dernières sont maintenant étudiantes, l’une d’elle est même partie en province. Je les ai trouvé transformées. »
Une projection vers de nouveaux films pour la réalisatrice.
Fragil : Et que sera votre prochain film ?
« Je souhaite réaliser un dernier documentaire autour de quatre femmes algériennes à l’occasion de la commémoration des 60 ans de la libération de l’Algérie, puis après je passerai à la fiction».
Après ces riches échanges tout le monde se retrouve au buffet préparé par une association du quartier, et les discussions se poursuivent de façon informelle tant les sujets sont inépuisables !
De la matière pour des parents ou des professionnels du quartier pour échanger avec les jeunes filles de la Bottière et voir si toutes ces questions leur parlent au quotidien et si elles s’identifient aux jeunes filles du film.
En attendant le prochain film chacun peut aller découvrir ces 3 documentaires
et comprendre un peu mieux ce que vivent les jeunes filles dans les cités grâce à l’engagement de cette réalisatrice pour rendre visible cette réalité pour tous.
Documentation
Corinne Lepage, Bouchera Azzouz, Les femmes au secours de la République, de l’Europe et de la planète, Max Milo Éditions, coll. « Essais-Documents », 203 p.,
Filmographie de Bouchera Azzouz :
2015 : « Nos Mères Nos Daronnes »
2018 : « On nous appelait Beurettes »