Charles Gounod (1818-1893) s’est inspiré d’un poème épique de Frédéric Mistral écrit en provençal (1859) pour composer Mireille, créé en 1864 au Théâtre-Lyrique, qui se trouvait alors Place du Châtelet à Paris. Le compositeur s’est emparé d’autres œuvres littéraires, dont Faust (1859) et Roméo et Juliette (1867), pour en faire d’illustres opéras. L’histoire de Mireille raconte les amours de Mireille et de Vincent, contrariés par l’aveuglement d’un père, ce en quoi elle rejoint Traviata de Verdi (1853). Elle se déroule en Camargue sous un soleil brûlant, entre Arles et Les Saintes-Maries-de-la-Mer, dans une couleur locale donnant toute sa vérité à un ouvrage transcendé par une réelle grandeur tragique. La vision de Paul-Émile Fourny repose sur une atmosphère authentique et vraie, mais habitée de symboles d’une bouleversante cohérence qui rappellent ses affinités avec le répertoire symboliste. On doit notamment au metteur en scène une mémorable Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas (1907), sur un livret de Maurice Maeterlinck, à Nice en 2006. Mireille est un opéra trop rarement représenté. On a pu le voir à l’Opéra de Nantes en mars 1983, dans une mise en scène de René Allio réalisée par Luc Dessois, et en avril 1993 dans celle de Robert Fortune. Le spectacle présenté à Metz sera joué à Tours en mai 2023 ; il mérite d’autres reprises.
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…les élans du cœur s’affirment dans d’éclatants aigus.
Un amour empêché
Alors que les premiers accords créent une atmosphère dramatique, l’opéra débute sur le chœur joyeux des magnanarelles, ces femmes qui étaient chargées en Provence de l’élevage du ver à soie. Le metteur en scène a transposé cette première scène dans un atelier de confection où l’on prépare une robe rouge destinée à Mireille, dans une image évoquant le chœur des fileuses du Vaisseau fantôme de Richard Wagner et introduisant une métaphore qui sera reprise durant tout le spectacle : la chronique d’une mort annoncée. Vincent aime Mireille d’un amour pur et sincère, et le premier duo explore la naissance d’un trouble auquel Gabrielle Philiponet et Julien Dran apportent leurs belles présences en scène, d’impalpables nuances dans le chant et un côté poétique accentué par de douces et chaleureuses lumières, « Vincenette a votre âge, et vous lui ressemblez ». Les amoureux font cependant le serment à la fin du premier acte de se retrouver aux Saintes-Maries-de-la-Mer s’il leur arrive un malheur. L’abandon se mêle à des silences soulignant la retenue et la pudeur, mais les élans du cœur s’affirment dans d’éclatants aigus. Les deux interprètes avaient déjà atteint de tels sommets dans Les pêcheurs de perles de Bizet à Nice en 2018. Le présage se confirme dans les mises en garde de l’inquiétante Taven, à la fois sorcière et démiurge, qui vit parmi les roches du Val d’Enfer, un site réel près des Baux-de-Provence. Vikena Kamenica donne à cette figure trouble des graves captivants de contralto intensifiant le poids de la fatalité : Mireille a trois prétendants, dont le riche Ourrias. Dans un air très lyrique, «Trahir Vincent?», la protagoniste affirme sa détermination et la puissance de son amour.
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«Quand votre chien demande à boire, qu’on l’assomme!»
Une farandole aux Arènes d’Arles crée une atmosphère festive au début du deuxième acte, dans un mélange des registres caractéristique de l’ouvrage. Julien Dran est extrêmement touchant en Vincent, jouant l’honnêteté et la vérité, que ce soit durant la chanson populaire « Magali », ou lors de l’arrivée saisissante d’Ambroise, son père, conduit en fauteuil roulant par sa sœur Vincenette. Son chant est raffiné et riche en délicats contrastes reflétant les variations de l’âme du personnage. Ce magnifique ténor retrouvera Charles Gounod en mars 2023 en abordant le rôle de Faust à l’Opéra de Limoges, dans une mise en scène de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, qui ont réalisé de stupéfiantes créations à la tête du Centre Chorégraphique National de Nantes entre 1992 et 2015. Mireille, vêtue de sa robe rouge pour la fête, éprouve une nouvelle secousse en apprenant par Taven qu’ Ourrias a demandé sa main à son père, Ramon, qui cautionne le mariage. Elle rejette vivement son prétendant. La confrontation des deux pères est particulièrement rude et violente. Ambroise révèle à Ramon que son fils est épris d’une fille plus riche que lui, le second répondant avec arrogance qu’il n’a qu’à le battre, ce à quoi le premier rétorque : «Quand votre chien demande à boire, qu’on l’assomme!». Lorsqu’il réalise qu’il s’agit de sa propre fille, le père de Mireille se déchaîne contre Ambroise et, dans une image perturbante, bouscule son fauteuil roulant et le jette à terre. Complètement aveuglé, Il s’oppose avec force au mariage, lève la main sur sa fille et la maudit, mais elle lui pardonne malgré tout.
Jusqu’au désert de la Crau…
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Le malheureux rival se retrouve sur les bords du Rhône face à un étrange ballet de femmes mortes par amour.
Ourrias, en proie à la jalousie et au dépit amoureux, se rend au Val d’Enfer pour obtenir de Taven un philtre d’amour, mais il rencontre Vincent qu’il insulte et blesse de son trident, le laissant pour mort. La sorcière maudit alors trois fois Ourrias, sur des notes glaçantes et dans un moment très théâtral. Ces malédictions, caractéristiques du drame romantique, sont récurrentes à l’opéra, donnant un visage au destin. C’est ainsi que dans Faust du même compositeur, Valentin rejette sa sœur Marguerite juste avant de mourir, tandis que la malédiction de Monterone dans Rigoletto de Verdi ou celle d’Alberich dans Le Ring de Richard Wagner ont de lourdes conséquences sur tout l’ouvrage. Les répercutions sont ici immédiates. Le malheureux rival se retrouve sur les bords du Rhône face à un étrange ballet de femmes mortes par amour, où un mystérieux passeur l’attire en répétant ses mots et en riant de manière inquiétante : le rire de la mort… Bertrand Duby interprète à la fois un émouvant Ambroise, auquel il impose une mémorable présence, et les phrases troublantes du passeur, également joué par un acteur, Graham Erhardt-Kotowich, dans deux fascinantes compositions. Face à ces figures de mort qui l’entraînent, Ourrias est rongé par la culpabilité et tente d’effacer le sang qu’il garde sur les mains, comme Lady Macbeth. Régis Mengus restitue l’autorité du personnage, tout en exprimant de façon saisissante le vacillement de ses certitudes, par une voix somptueuse aux accents d’une bouleversante humanité. Il chantera la version pour baryton de Werther de Jules Massenet à l’Opéra de Tours du 30 septembre au 4 octobre 2022. Ourrias meurt emporté par les eaux, alors que l’on s’apprête à célébrer la fête des moissons de la Saint-Jean.
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Le redoutable passage du désert de La Crau est une épreuve pour le personnage comme pour l’interprète.
La robe que Mireille portait à Arles se consume lors de cette fête des moissons, se réduisant en cendres dans une image forte illustrant la passion brûlante mais aussi l’incertitude et la menace. La protagoniste apprend cependant par Vincenette que Vincent est vivant, tandis que le passeur traverse la scène à la fin du duo. Mireille décide alors d’honorer son serment en se rendant en pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la Mer. Par une nuit de pleine lune, un jeune berger joué par Albane Lucas entre en scène tirant un jouet enfantin en forme de mouton. Son chant est très pur et a quelque chose d’aérien. Dans un instant irréel, la lune devient un soleil aveuglant, le sol se dérobant grâce à une scène tournante couverte d’un arbre sans feuilles. Le redoutable passage du désert de La Crau est une épreuve pour le personnage comme pour l’interprète. Mireille, vêtue de sa robe rouge, traverse un paysage sec et aride sous une chaleur accablante, dans l’une des scènes les plus impressionnantes de l’opéra à laquelle Gabrielle Philiponet donne une incroyable ferveur. La musique est torrentielle et déborde de lyrisme, à l’image d’un combat pour avancer sur cette terre hostile, sous un soleil de plomb, jusqu’à l’épuisement final. Selon l’interprète, ce rôle réunit plusieurs voix, comme celui de Traviata, « écrit pour un soprano léger au début, il évolue à la fin vers un soprano dramatique avec un orchestre fourni ». David Reiland magnifie ces puissants contrastes de la partition dans une direction musicale subtile et pénétrante. L’héroïne arrive aux Saintes-Marie-de-la-Mer complètement anéantie pour s’éteindre dans les bras de Vincent. La robe s’étire alors de façon vertigineuse jusqu’à devenir celle d’une Madone, à laquelle Mireille se confond. Dans une ultime aria, « Anges du paradis », Julien Dran exprime sa douleur sur des notes suspendues aux aigus d’une ineffable beauté. C’est selon lui un moment délicat, « car il faut rester lyrique tout en conservant l’innocence et la douceur qui caractérisent le personnage ». L’œuvre s’achève sur un chœur grandiose ( Le Choeur de l’Opéra-Théâtre de Metz est superbe et très investi, sous la direction de Nathalie Marmeuse), qui transfigure cette mort d’amour dans une forme de « délire », de « cruelle extase ». Comme dans Traviata, le père arrive trop tard pour bénir le mariage, alors que le passeur donne un coup de faux à l’arrière plan sur une ultime image.
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…on pourra enfin voir en octobre la mise en scène audacieuse et bouleversante de Madame Butterfly par Giovanna Spinelli.
Paul-Emile Fourny dirige l’Opéra-Théâtre de Metz, où alternent l’opéra, le ballet et le théâtre parlé. On lui doit une mémorable mise en scène du Songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten, d’après Shakespeare, en 2016, un spectacle qu’il avait déjà monté au Teatro Colon de Buenos Aires en 2006 et à l’Opéra de Nice en 2008. Parmi les temps forts de la saison prochaine, on pourra enfin voir en octobre la mise en scène audacieuse et bouleversante de Madame Butterfly par Giovanna Spinelli, qui a fait l’objet d’une captation en janvier 2021, le fabuleux Voyage dans la lune d’Offenbach selon Olivier Fredj passera par Metz en mars 2023 et la saison lyrique s’achèvera sur la sublime Rusalka de Dvorak, dans un spectacle de Paul-Émile Fourny. Cette saison très diversifiée affichera également en avril Bérénice, la superbe tragédie du renoncement de Jean Racine, dans une mise en scène de l’immense Anne Delbée, qui a notamment signé une Phèdre incandescente à la Comédie Française en 1995. Des propositions qui font rêver…
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