Depuis le mois d’avril au musée d’histoire naturelle de Nantes, nous avons la possibilité de découvrir à quoi ressemble le mystérieux Yéti, approcher sans crainte une Sirène ainsi que d’autres monstres comme le Marsupilami ou le terrifiant Alien.
Plusieurs créatures peuvent ainsi être observées de près, qu’elles soient issues des mythologies ou d’œuvres de fictions populaires plus récentes. Leurs origines ont beau être variées, toutes sont abordées, dévoilées et parfois même disséquées avec une approche scientifique rigoureuse.
C’est Jean-Sébastien Steyer, paléontologue chercheur au CNRS, qui a eu l’idée d’aborder des monstres imaginaires et leurs univers. Son objectif est de nous donner des pistes explicatives sur leur façon de vivre et de se reproduire, ainsi que nous raconter ce qui les distingue ou les rapproche de certains animaux bien réels. Cette science s’appelle l’anatomie des espèces comparées, dont l’un des fondateurs est Georges Cuvier, paléontologue né en 1769 à Montbéliard. La sous-préfecture du Doubs fut d’ailleurs la première ville à avoir tenu l’exposition au sein de son muséum d’histoire naturelle. Après Nantes, les muséums d’Auxerre et de Montbard accueilleront tour à tour les sculptures fantastiques créées par les artistes Emmanuel Janssens et Olivier Bracq.
Un ouvrage né d’une passion
Jean-Sébastien Steyer se rappelle : « Ce livre est né de ma passion pour vulgariser les sciences de l’évolution. J’avais carte blanche pour traiter d’une créature dans chaque numéro de la revue Espèces, mais le bestiaire est tellement immense qu’il méritait bien un livre à part entière, voire plusieurs ! »
Près d’une quinzaine d’espèces sont ainsi décrites dans le livre et l’exposition. Les monstres qui y figurent proviennent d’univers divers et variés, qu’il s’agisse de science-fiction (exemple : les Porgs de Star Wars), les super-héros, le fantastique, la bande-dessinée…
C’est en rédigeant des articles sur les créatures imaginaires pour la revue Espèces que Jean-Sébastien Steyer a connu Arnaud Rafaelian. Que ce soit pour la revue Espèces ou pour les livres qu’ils co-écrivent, l’illustrateur livre des planches très détaillées sur les créatures que le paléontologue examine minutieusement. Arnaud Rafaelian nous partage son point de vue d’artiste sur les dessins qu’il a réalisé : « pour certaines créatures, je ne pouvais pas me permettre de m’éloigner des designs déjà existants, c’est le cas de l’Alien ou de Totoro. En revanche, pour celles qui tiennent de l’imaginaire collectif, comme la Vouivre ou la Sirène, j’avais une plus grande marge de manœuvre pour exprimer ma créativité. »
Du livre à l’exposition
Le colloque Georges Cuvier est un grand congrès international qui est organisé une fois tous les 10 ans à Montbéliard, en l’honneur du célèbre anatomiste. De nombreux·ses scientifiques s’y réunissent (64 en 2022). Ouverte au public, la cinquième édition qui s’était tenue du 19 au 22 octobre 2022 avait pour thème l’anatomie comparée et de la paléontologie. À cette occasion Jean-Sébastien Steyer et François Thirion, responsable d’exposition au musée de Montbéliard, s’étaient concertés pour mettre en place une exposition centrée sur les travaux de Jean-Sébastien Steyer, avec son livre sur l’anatomie comparée des espèces imaginaires qui avait été publié en 2019. Les planches anatomiques détaillées d’Arnaud Rafaelian offraient un support parfait aux sculpteurs et plasticiens pour créer les différents moulages de l’exposition.
Grâce à son réseau, François Thirion s’est ensuite rapproché des muséums d’Auxerre, de Montbard et de Nantes, qui se sont eux aussi lancés dans l’aventure. Jean-Sébastien Steyer explique : « en plus de coproduire l’expo, les muséums se sont appropriés le thème en proposant, pour chaque région, une espèce imaginaire endémique. Ce fut un réel plaisir de travailler avec eux. »
Arnaud Rafaelian confirme : « Le musée de Nantes a choisi la sirène, ce qui était cohérent quand on regarde la proximité de la ville avec la mer. Pour la ville de Montbéliard, c’est la Vouivre. »
Si le projet d’exposition est né lors d’une conversation entre plusieurs scientifiques passionné·es, ce thème en apparence fantaisiste apporte beaucoup aux musées qui accueillent cette exposition sur les espèces imaginaires. Christine Le Gouriellec, du Service Communication et Partenariats de la ville de Nantes, explique : « L’exposition représente un intérêt pour le musée car elle aborde la science avec une approche différente, une approche qui attire un public plus large. » En effet, les animaux imaginaires séduisent plusieurs générations, y compris les plus jeunes. Cet attrait pour le fantastique et cette exposition permettent de sensibiliser une partie du public à une démarche scientifique. Ici, il est question de l’observation des caractères anatomiques entre les différentes espèces. Cela amène les visiteur·euses à réfléchir sur une classification des ancêtres communs. En outre, cette exposition permet au public de découvrir de façon ludique les sciences de l’anatomie comparée et de la phylogénie (l’étude des liens de parenté entre les êtres vivants et ceux qui ont disparu).
Cette sensibilisation à la science s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement d’affluence croissante. Selon Christine Le Gouriellec, le musée enregistrait en 2022 environ 150 000 visiteurs. Cette année, leur nombre est estimé à 180 000, voire 200 000. Et si le musée d’histoire naturelle de Nantes ne cherche pas à collecter des statistiques quantifiables sur son public, les retours reçus sur cette exposition sont néanmoins qualifiés de « très bons. »
Un témoignage de Sophie, en visite au musée, contrebalance cette évaluation : « Pour être honnête, je suis un peu déçue. Je trouve l’exposition plutôt petite et un peu trop mise à l’écart du reste du musée. »
La conférence du 02 mai a pu permettre de constater que le thème de l’exposition attirait un public passionné de pop culture, et pourtant, l’exposition attire aussi les familles et les passionné·es de science. Comme le stipule l’introduction du livre sur les espèces imaginaires : « Il s’agit (…) de faire aimer les sciences, d’éveiller notre curiosité et de développer notre sens critique. »
Christine Le Gouriellec précise d’ailleurs que ce type d’exposition n’est pas une nouveauté pour le musée. Par exemple, une exposition de 2021 intitulée « le règne du silence » dévoilait un grand nombre de sculptures qui avaient été crées par le sculpteur Fabrice Azzolin, sur ce qu’il imaginait être les premières formes de vie sur Terre. L’exposition laissait libre cours à l’imagination du public et invitait les spectateur·ices à s’interroger sur l’apparence des premiers êtres vivants. À noter également, l’exposition « l’île inventée » qui s’est tenue de novembre 2022 à mars 2023. Elle avait été organisée par Flavie Ruse et Louis-Émile Grenier, qui se décrivent comme deux explorateur·ices féru·es de para-archéologie. Qualifiée d’utopiste et uchronique, l’exposition mettait en scène la découverte archéologique d’un territoire fictif par une expédition composée de scientifiques et d’artistes.
Jean-Sébastien Steyer nous en dit plus sur sa démarche, à la fois en tant qu’auteur et commissaire d’exposition : « Ces travaux plaisent à de nombreux publics, tout âge, tout groupe, toute orientation, toute culture – scientifique, geek ou non- confondue, et c’est un grand succès. Pour moi, le visiteur est roi mais il doit aussi être bousculé dans ses certitudes et ne pas se rendre compte qu’il apprend des choses. Le livre et l’expo « Anatomie comparée des espèces imaginaires » ont été imaginés comme ça… dans le but d’éveiller l’enfant qui est en chacun de nous, tout en l’instruisant. »
Un second tome en préparation et une nouvelle exposition à suivre ?
Les deux auteurs reconnaissent qu’un second tome est prévu en 2024 ou 2025, en réflexion à trois avec leur éditrice.
Arnaud Rafaelian précise : « On a des idées d’espèces mais pour l’instant, ça reste confidentiel. On garde l’idée de créatures très populaires comme celles qui sont dans le premier tome, comme par exemple Alien, Totoro, etc. »
En ce qui concerne le musée d’histoire naturelle de Nantes, la programmation des expositions est déjà complète sur plusieurs années, et les travaux d’agrandissement qui s’étaleront de 2025 à 2028 ne permettront pas d’accueillir le public au sein des murs. Pourtant, Christelle le Gouriellec affirme qu’une future exposition sur les espèces imaginaires est possible, « dès lors qu’il y a un propos scientifique éclairé et illustré qui amène le visiteur à se questionner sur la science. »