18 septembre 2018

Non, le masculin ne l’emporte pas toujours sur le féminin

À l’occasion du Printemps des Fameuses qui avait lieu à Nantes les 22 et 23 mars derniers, Fragil a assisté à la conférence d’Eliane Viennot « Non, le masculin ne l’emporte pas toujours sur le féminin ! », du nom de son manifeste paru en 2014. Passionnante et instructive, elle nous donne à toutes et tous des pistes pour rendre notre langage moins sexiste.

Non, le masculin ne l’emporte pas toujours sur le féminin

18 Sep 2018

À l’occasion du Printemps des Fameuses qui avait lieu à Nantes les 22 et 23 mars derniers, Fragil a assisté à la conférence d’Eliane Viennot « Non, le masculin ne l’emporte pas toujours sur le féminin ! », du nom de son manifeste paru en 2014. Passionnante et instructive, elle nous donne à toutes et tous des pistes pour rendre notre langage moins sexiste.

Eliane Viennot est une authentique historienne, captivante. Quand elle commence à parler, on reste pendu·e à ses lèvres : faits historiques mêlés d’anecdotes, opinions personnelles et évolutions sociétales, on pourrait l’écouter pendant des heures.
Devenue ʺmadame écriture inclusiveʺ dans les médias, elle parcourt la France quand elle ne s’occupe pas de littérature française*, pour évoquer la masculinisation de la langue française et proposer des pistes pour rendre notre langage moins sexiste, à l’écrit comme à l’oral.

Eliane Viennot

« Le problème n’est pas la langue française, c’est la manière dont on l’utilise ; le français n’a pas besoin d’être féminisé, il a besoin d’être utilisé correctement, en s’appuyant sur toutes ses ressources », annonce Eliane Viennot en préambule, rappelant deux grands principes : le français est une langue à deux genres et ça doit s’entendre, et la masculinisation du français est une entreprise politique qui n’a pas de fondement linguistique.

Bon, on va commencer par quelques faits historiques, qu’il est toujours bon de (re)mettre en mémoire – si, si, je vous assure chères lectrices et chers lecteurs de Fragil, vous allez apprendre plein de choses, voire même briller en société. Mais le mieux est de laisser la parole à Eliane Viennot, dont Fragil retranscrit ici quelques extraits.

« La masculinisation de la langue est un phénomène très français, lié à la monarchie absolue, à l’Académie française. C’est une entreprise datée : la domination du masculin est ancienne, comme dans toutes les langues, et c’est sociologique : les hommes ont longtemps dominé la parole publique et l’écriture et ont donc modulé les langues à leur image.
Ce qui est intéressant, c’est de regarder la masculinisation délibérée de la langue à partir du XVIIe siècle, bien souvent de manière contraire aux usages des Français et des Françaises, et contraire à la langue elle-même. En 1635, à la création de l’Académie française, les premiers ʺimmortelsʺ utilisent les termes écrivaine ou autrice, ça fait partie de leur vocabulaire commun – donc ces mots existent dans la langue française.

Masculinisation du français : une entreprise politique sans fondement linguistique

A la fin du XVIIe siècle, la masculinisation de la langue est d’abord restreinte aux activités et fonctions prestigieuses, que les hommes estimaient être leur pré carré (l’écriture notamment) : c’est ainsi que les hommes de la bonne société donnent consigne d’arrêter de dire poétesse, peintresse, philosophesse ; voilà, juste comme ça, il ne fallait plus employer ces mots. Etonnament, les hommes ne se sont jamais battus contre servante, chambrière, boulangère, tous les métiers ʺbasʺ de l’époque pouvaient bien rester au féminin.

Ces interdictions vont bouger et se mettre en place selon les périodes d’accessibilité de fonctions prestigieuses aux femmes. On ne pouvait pas empêcher les femmes d’être poétesse, peintresse, philosophesse ou autrice, il n’y avait pas de diplôme pour exercer ces fonctions ; les hommes vont donc se bagarrer contre les termes. Mais jamais à cette époque on ne lit : il ne faut pas dire avocate ou ambassadrice, le fait de ne pas pouvoir passer le diplôme empêche les femmes de devenir avocates. On accepte donc de dire qu’une femme s’est faite l’avocate de telle cause, c’est tout à fait normal : on ne se bat pas contre le mot puisque la profession est de toute façon inaccessible aux femmes. En revanche fin XIXe, quand apparaissent les ʺvraiesʺ avocates ou doctoresses, les diplômes s’étant ouvert aux femmes, on s’est mis à batailler contre ces termes ; aujourd’hui encore il y a des femmes qui ont gardé le titre ʺavocatʺ, c’est très choquant !

Ce phénomène est en cours de régression car des femmes aujourd’hui occupent des postes importants. En 2005 quand Angela Merkel est élue, le Figaro ou les académiciens disaient que ʺchancelièreʺ était un mot imprononçable, laid, uniquement possible pour la femme du chancelier. De même, il y a eu une longue bataille pour utiliser ministre au féminin : les ministres de Lionel Jospin en 1997 ont bagarré avec la presse pendant deux ans pour qu’on les appelle madame LA ministre. Aujourd’hui les médias parlent de chancelière ou de première ministre, il n’y a plus de polémique, ce combat-là est terminé. »

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La fameuse règle de grammaire : le masculin l’emporte toujours sur le féminin

Nous avons toutes et tous appris cette règle-là tout·e petit·e, dès que l’on apprend à lire et à écrire. Mais est-ce que l’on se demande pour autant pourquoi ? Eliane Viennot éclaire notre lanterne, on pourrait même dire qu’elle nous ouvre de nouveaux horizons.

« Après la masculinisation des noms de métiers, parlons de celle des accords. Avant on faisait les accords selon le sens ou, le plus souvent, selon la proximité (le plus spontané, le plus évident) : on utilisait le dernier mot tombé dans l’oreille ou qui avait été écrit, et c’est lui qui donnait son genre et son nombre.
Exemple avec un vers de Vaugelas (un des premiers académiciens, milieu XVIIe) : « ce peuple a le cœur et la bouche ouverte à vos louanges ». Vaugelas dit de ce vers que le genre masculin, étant le plus noble, devrait prédominer. Apparaît alors un nouveau dogme, le genre masculin doit dominer le genre féminin dès lors qu’ils se trouvent ensemble, « mais l’oreille a de la peine à s’en accoutumer, car elle n’a point eu l’habitude de l’entendre ouïr de cette façon ».

Si dans un premier temps cette réforme passe assez inaperçue, l’école primaire obligatoire va être chargée d’installer ce dogme dans la tête des enfants. Quand on nous formate en nous disant que ʺça a toujours été comme çaʺ (ce qui n’est pas le cas !), eh bien on applique en croyant que c’est la règle.
Ce qui est gênant n’est pas tant l’accord en lui-même que ce qu’il implique comme idée et que l’on met dans la tête des enfants dès le plus jeune âge : le masculin l’emporte sur le féminin. Tout le monde comprend cette règle comme n’étant pas seulement une règle de grammaire.

Exemples de solution : la double flexion ou les termes englobant

Le plus compliqué pour nous aujourd’hui est de faire reculer ce qu’on appelle à tort le ʺmasculin génériqueʺ : ça n’existe pas, il y a du masculin, point, que l’on utilise pour parler des femmes. C’est un combat de tous les jours et d’abord contre soi-même, car on n’a pas été élevé·es à faire comme ça.
Il semble que ce soit plus facile à faire à l’oral, où l’on peut privilégier les doubles flexions : ʺbonsoir à toutes et à tousʺ par exemple. On peut utiliser les anciens mots de la langue française, autrice plutôt qu’auteur, proviseuse plutôt que proviseure (il y avait des proviseuses dans les couvents pendant des siècles !). Enfin il n’existe plus de profession uniquement masculine : si on parle des cheminots on parle des cheminotes, ou alors on emploie un terme englobant comme ʺle personnel navigantʺ.

A l’écrit on a les mêmes solutions, on peut appliquer l’accord de proximité ou de majorité, on peut aussi utiliser des signes qui permettent de créer des mots génériques. Le point médian semblerait sortir du lot, mais ce n’est pas une obligation, si on n’aime pas écrire ʺcandidat·esʺ on écrit ʺles candidats et les candidatesʺ en toutes lettres. Le principal est de signifier que l’on prend bien en compte les deux genres », conclut Eliane Viennot.

Voilà, on serait bien resté·es plus longtemps avec Eliane Viennot, qu’elle nous raconte encore les expérimentations de la langue, les cris d’orfraie des académicien·nes quand il s’agit de féminiser des noms, les lexicologues et les grammairien·nes qui réfléchissent à de nouveaux pronoms…
On a bien retenu qu’autant on pouvait ʺdégenrerʺ les professions, les attitudes, les habits, mais la langue… c’est une autre histoire. Le français, comme toutes les langues romanes, ne connaît que le masculin et le féminin ; peut-être que ça viendra avec le temps.
C’est quand même passionnant d’avoir la possibilité de toustes participer à l’évolution de notre langue – ʺtoustesʺ est un néologisme belge, mais qui sait, il rentrera peut-être dans le dictionnaire français d’ici quelques années.

* Eliane Viennot est professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, spécialiste de Marguerite de Valois et d’autres femmes d’Etat de la Renaissance ; elle s’intéresse plus largement aux relations de pouvoir entre les sexes et à leur traitement historiographique sur la longue durée. Militante féministe depuis les années 1970, elle travaille également aux retrouvailles de la langue française avec l’usage du féminin. Plus d’info ici

Ouverture, culture et mieux-vivre ensemble sont des sujets qui touchent particulièrement Fanny. Engagée depuis plusieurs années dans le secteur public culturel, elle revient grâce à Fragil à ses premières amours : le journalisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017