8 septembre 2020

« Nous sommes les nouvelles chimères », cinquante minutes de Black Metal, de flammes et d’utopies

Le jeudi 24 septembre 2020 à 20h30 à Nantes, le documentaire « Nous sommes les nouvelles chimères, histoire d’un aller et retour aux feux de Beltane » sera projeté en avant première internationale dans le cadre de l’Absurde Séance au cinéma Le Katorza. C’est à cette occasion que nous avons interviewé le réalisateur Mathias Averty qui a immortalisé avec son équipe la dernière édition du festival breton en 2019.

« Nous sommes les nouvelles chimères », cinquante minutes de Black Metal, de flammes et d’utopies

08 Sep 2020

Le jeudi 24 septembre 2020 à 20h30 à Nantes, le documentaire « Nous sommes les nouvelles chimères, histoire d’un aller et retour aux feux de Beltane » sera projeté en avant première internationale dans le cadre de l’Absurde Séance au cinéma Le Katorza. C’est à cette occasion que nous avons interviewé le réalisateur Mathias Averty qui a immortalisé avec son équipe la dernière édition du festival breton en 2019.

Les feux de Beltane – Ifern En Ti-Feurm, dont le nom évoque la fête païenne marquant la fin de la saison sombre, s’est déroulé durant trois ans au mois de mai dans un lieu tenu secret en Bretagne. À rebours de la plupart des festivals, aux feux de Beltane les participants rentrent sur invitation. Une jauge réduite pour un week-end à la ferme entre brasserie artisanale, musique et ateliers. 
Mathias Averty et son équipe nous livrent un film de cinquante minutes sensible et touchant qui nous plonge immédiatement dans l’atmosphère très particulière du moment. Les six portraits qui jalonnent le film font sauter les a priori sur la scène Black Metal et montrent une communauté qui souhaite faire bouger les lignes. Ce ne sont donc pas des concerts torses nus, suants et alcoolisés que l’on découvre mais de la cuisine, des ateliers d’artisanat, des spectacles païens, de la musique, des conférences, des rituels, des contes, du feu. À la différence de bon nombre de festivals, ici les spectateurs ne sont pas passifs mais invités à s’approprier l’événement, à découvrir, enrichir leurs connaissances et leur savoir-faire. Le film nous fait ressentir la parenthèse qu’il représente, cet espace de liberté dont nous rêvons tous. Notre seul regret tient au fait que, pour nous, la découverte se fasse après coup.

Nous rencontrons Mathias Averty avant la projection en avant-première de son documentaire. Co-réalisateur de la série post-apocalyptique Mad Marx (2018) et du court-métrage Flammes (2019), le réalisateur nantais travaille aujourd’hui au sein des collectifs Violent Motion et Label Prise qui militent pour une approche collective et radicale du cinéma. « Nous sommes les nouvelles chimères » est son dernier film en date et peut-être le plus personnel.

« …j’ai expérimenté une sorte d’utopie dans ce rassemblement »

Fragil : Dans Nous sommes les nouvelles chimères, il est question des Feux de Beltane mais finalement surtout d’une certaine conception de la vie. Le festival a-t-il été pour toi un prétexte pour aborder cette question ?

Mathias Averty : Tout à fait, je participe aux Feux de Beltane depuis la première édition, et j’ai expérimenté une sorte d’utopie dans ce rassemblement. On y écoute des groupes rares et vraiment fascinants (de Darkspace à Cult of Fire) mais ce n’est pas tout : des conférences, des cérémonies y sont proposés, tandis que tous les produits consommés sont locaux (bière et nourriture). C’est un autre monde qui s’offre à nous. Dans cette ferme construite par les punks du collectif Tomahawk on est très loin du monde moderne et j’aime me dire que le festival a réussi à proposer une sorte de résistance, de « dehors » franchement enviable. C’est une démarche que je trouve très libertaire et c’est ce qui, à mon sens, méritait un documentaire. Je ne voulais pas ennuyer les spectateurs pendant 50 minutes en disant à quel point la bière du festival était bonne et les concerts cools, mais plutôt comprendre ce qui amenait des personnes, un brin mélancoliques et marginales, à se réunir quelques jours dans un coin reculé de la Bretagne à écouter une musique aussi puissante qu’hermétique. J’ai voulu essayer de comprendre leurs angoisses vis à vis du monde moderne, et les rêves qu’ils pouvaient faire naître lors du festival, qu’ils soient participants ou organisateurs.

 

Fragil : Qu’est ce qui a déclenché chez toi l’envie de faire ce documentaire ?

Mathias Averty : C’est Gerald, le manager du label les Acteurs de l’Ombre qui nous a proposé, à l’équipe de Violent Motion et moi-même de faire ce documentaire, en 2019. Il l’a produit pour avoir un souvenir vidéo car il savait que ce serait la dernière édition du festival.  Nous avons eu de la chance car cette édition était vraiment exceptionnelle et nous a carrément propulsé dans un autre monde, le concert rituel de Sektarism et la cérémonie au flambeau, que l’on aperçoit dans le documentaire, font partie des expériences les plus fortes que j’ai vécues récemment. Elles ont pris une dimension très mystiques qui m’ont donné envie de me replonger dans certaines lectures ésotériques de mon adolescence.

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« …redonner du sens, de la passion et de la force à ce qui nous entoure. »

Fragil : Les portraits sont assez différents, comment as-tu choisi les personnes à interviewer ?

Mathias Averty : J’ai choisi d’interviewer des personnes de mon entourage proche, investis ou non dans la scène Metal. En principe, la démarche journalistique exige le contraire (interviewer des inconnus), pour garantir une certaine neutralité. Je ne suis pas d’accord avec ce parti pris, parce que je suis convaincu qu’on peut redécouvrir tout à fait une personne que l’on croit connaître dès qu’une caméra s’allume. Ça s’inscrit aussi en cohérence avec mon envie de proposer un cinéma local, fait par, pour et avec des gens et des moyens du coin. Nos proches sont tout aussi passionnants que des inconnus à l’autre bout du monde. Je pense que nous gagnerions sans doute beaucoup à moins fantasmer l’exotisme et le lointain, pour redonner du sens, de la passion et de la force à ce qui nous entoure.

 

Fragil : Comment as-tu vécu le tournage puis le montage ?

Mathias Averty : Le tournage a été intense mais nous a permis de vivre le festival de l’intérieur et de renouveler notre regard sur l’événement. C’était aussi l’occasion de passer du temps avec les amis que j’ai interviewés, ils vivent dans des villes différentes alors nous n’arrivons pas tout le temps à nous voir ! Le montage a été plus compliqué car je travaille à temps plein à côté, et j’ai du faire du tri dans près de 11h d’interview et 500Go de rushs. J’avais aussi la responsabilité de ne pas trahir la scène Black Metal ni les témoignages, parfois très intimes et touchants que j’ai pu récolter tout au long du tournage. J’ai du laisser s’exprimer une profonde mélancolie, qui sommeillait au fond de moi, pour trouver le rythme et le ton du documentaire. C’était vraiment une expérience cathartique mais je pense y avoir laissé des plumes.

 

Fragil : Il y a un travail important sur la musique qui alterne concert et ambiance, comment as-tu travaillé cet aspect ?

Mathias Averty : C’est vrai que la musique est le fil rouge du documentaire, je voulais qu’elle soit omniprésente, mais pas forcément au coeur des discussions. En tout cas, je voulais que la musique soit une respiration, une transe… D’où les nombreuses séances clippées. J’adore monter en musique et j’ai eu la chance de pouvoir piocher allègrement dans le catalogue des Acteurs de l’Ombre, mais aussi de proches talentueux, notamment Dorminn, Wolvennest et Déhà qui m’ont laissé les droits de leur musique.

« Dans mon lycée de centre-ville on était 3 Metalleux à tout casser, on se sentait un peu seuls… »

Fragil : Il est beaucoup question de l’aspect participatif de l’événement, quelle a été ta place et celle de ton équipe dans l’édition 2019 ?

Mathias Averty : Principalement filmer ! Toute l’équipe de Violent Motion et moi-même avons couru partout pendant 3 jours pour tenter de ne rien louper. Si bien qu’on a pas pu participer à l’atelier cuisine ou l’atelier sérigraphie de T-shirt. Dommage !

 

Fragil : Ton documentaire donne une vision différente de ce que la plupart des personnes imaginent à propos des « metalleux » (beauf, bruyants, satanistes, etc.) parfois véhiculé par d’autres documentaires ou reportages. Etait-ce un choix conscient de ta part ?

Mathias Averty : Oui tout à fait, j’écoute du Metal depuis mes 15 ans et à l’époque je me battais contre ces préjugés que je trouvais injustes. Dans mon lycée de centre-ville on était 3 Metalleux à tout casser, on se sentait un peu seuls… du coup on trainait avec les punks et les rastas blancs, quelle infamie ! Avec le temps, j’ai compris que certains de ces clichés étaient vrais et que la fameuse « Grande famille du Metal » pouvait avoir un côté franchement beauf. Si bien que je ne veux plus convaincre qui que ce soit de s’intéresser à ce style musical, au contraire, j’ai envie que la scène soit de nouveau discrète et dérangeante. C’est aussi ce qui m’a fait plonger la tête la première dans la scène Black Metal, un peu plus underground et plus exigeante. La musique faisait directement écho à beaucoup de choses que je ressentais et j’y ai rencontré plein de personnes talentueuses et passionnantes. C’est à leur travail que j’ai voulu rendre hommage à travers Nous Sommes les nouvelles chimères. J’ai aussi voulu comprendre ce qui pouvait nous pousser à écouter cette musique si froide, sombre et déprimante : quelle force nous donne t-elle ? D’où vient son pouvoir de fascination ? Qu’est ce qui rend la rend plus dangereuse que le Folk ou le Heavy Metal ?

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« Après tout, occulte signifie « qui se cache, se garde secret »… A quoi bon tout dévoiler ? »

Fragil : Certains sujet comme le paganisme ou l’occultisme semblent parfois difficiles à aborder pour les interviewés, comment les as-tu mis en confiance ?

Mathias Averty : En effet, ces sujets sont tellement profonds et demandent souvent un tel travail de recherche aux pratiquants qu’ils ne se livrent pas facilement. Mais ça fait aussi tout le charme de la discipline, il faut le respecter et je trouve que leurs témoignages permettent déjà d’éclairer celles et ceux qui veulent s’initier. Après tout, occulte signifie « qui se cache, se garde secret »… A quoi bon tout dévoiler ? Tout ce que je peux te dire, c’est que j’ai dû utiliser la magie noire et réciter l’annexe IV de la Clavicula Salomonis à l’envers et en araméen pour les mettre en confiance ahahah !

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Nous sommes les nouvelles chimère, histoire d’un aller retour aux Feux de Beltane

un film de Mathias Averty, filmé par les équipes de Violent Motion et Label Prise Production. Produit par Les acteurs de l’Ombre Productions et Ifern En Ti-Feurm.

Projection le 24 septembre 2020 à 21:30 en avant première internationale à l’Absurde Séance au Katorza à Nantes en présence de l’équipe du film.

Pour en savoir plus : Absurde Séance

Pour réserver sa place, c’est ici

Après des études en sociologie, je décide de me réorienter vers le journalisme. C'est une révélation pour moi. Passionnée par la photographie et le reportage, je mets ma curiosité au service d'histoires à raconter.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017