16 février 2021

Pour l’amour de l’art : une exposition engagée dans les rues de Nantes

Suite à la décision du gouvernement en décembre 2020 de fermer les lieux d'exposition ouverts au public face à la pandémie, une exposition à ciel ouvert "Pour l'amour de l'art" est organisée par une quarantaine d'artistes auteurs pour exprimer leur colère. Durant cette journée de collage, Fragil a suivi quatre artistes qui souhaitent sensibiliser le public à la détresse du milieu culturel.

Pour l’amour de l’art : une exposition engagée dans les rues de Nantes

16 Fév 2021

Suite à la décision du gouvernement en décembre 2020 de fermer les lieux d'exposition ouverts au public face à la pandémie, une exposition à ciel ouvert "Pour l'amour de l'art" est organisée par une quarantaine d'artistes auteurs pour exprimer leur colère. Durant cette journée de collage, Fragil a suivi quatre artistes qui souhaitent sensibiliser le public à la détresse du milieu culturel.

Quelques jours après la manifestation Rage de l’Art, qui a réuni un millier de personnes en soutien à la culture à Nantes le 13 février 2021, c’est au tour des artistes auteurs de manifester leur colère. « Nantes est une ville qui vit par son art et ses évènements artistiques et culturels. Il est aujourd’hui incompréhensible que rien ne soit proposé aux acteurs de l’art et de la culture à Nantes depuis un an. Nous nous sentons abandonnés. » expliquent les trois organisatrices de l’évènement qui souhaitent garder l’anonymat. Elles ont choisi la date du lendemain de la Saint Valentin, qu’elles définissent comme « une fête commerciale apparemment essentielle, comparée à nous les artistes, qui sommes non essentiels » argumente l’une d’elle.

Arrivée discrète

Une quarantaine de personnes masquées arrivent discrètement les uns après les autres sur le lieu de rendez-vous tenu secret par les trois organisatrices de l’évènement. Illustrateurs, graffeurs, photographes, sculpteurs, céramistes, graphistes, peintres et autres artistes nantais se tiennent prêts à investir l’espace public. Ils sont munis de colle, pinceaux et papiers imprimés ou peints destinés à créer une exposition. L’ambiance est détendue, chacun se réjouit de se retrouver réunis. Pourtant, il faut rester discret, car cette pratique est illégale, comme le souligne une des organisatrices. « On ne veut pas demander d’autorisation pour dire que l’on est en colère. De toute façon, on n’aurait jamais eu l’autorisation si on l’avait demandée. » Les participants risquent donc une contravention. Le thème est libre à chaque artiste auteur, car « nous sommes tous en colère pour des raisons différentes, on a tous des choses à dire mais sur des sujets différents. On a donc préféré laisser la liberté à chaque artiste de s’exprimer sur le thème de son choix. Il y en a certains qui ont choisi un thème engagé, et d’autres qui veulent seulement exposer de belles choses. » expliquent-elles.

Après un briefing rapide sur les risques encourus, les artistes se dispersent rapidement dans la ville par petits groupes. Nous avons suivi quatre d’entre eux, qui choisissent de se diriger vers l’Ile de Nantes à pieds. Nous en profitons pour découvrir qui sont ces auteurs.

@je.suis.le.sauvage prête à coller

Les artistes

Sous le pseudo « Je suis le Sauvage » la jeune photographe vidéaste est présente pour mettre de la couleur dans les rues de Nantes. « On manque un peu d’art en ce moment » Emmitouflée sous ses vêtements chauds face à l’hiver, son sourire déterminé se devine derrière son masque. C’est par l’intermédiaire de Romain qu’elle a découvert l’évènement. Ce photographe vidéaste focalise son travail sur la nature et la préservation de la faune. Il est venu en soutien à l’art, regrettant cette période où l’on ne peut pas s’évader. Le jeune homme s’exclame avec passion « L’art c’est la vie. C’est primordial, surtout en ces temps de pandémie que l’on traverse en ce moment. » Il a choisi pour l’occasion une série d’images assez minimalistes, qu’il a réalisées en Islande et Norvège notamment, afin de revendiquer le caractère essentiel de la nature. « La série renvoie au manque de nature que j’ai en ce moment à cause du couvre-feu. Je fais ce métier de photographe pour sensibiliser le public au beau, mais aussi au réchauffement climatique et à l’impact qu’il a sur les habitats naturels ». Ce collage est aussi pour lui une opportunité de montrer son travail, et de constater ne pas être le seul artiste à éprouver des difficultés pendant cette crise sanitaire. Hugo est photographe vidéaste sous le nom de « Monsieur Aventure » . Ses thèmes de prédilection sont les paysages, la nature et les voyages. Plutôt habitué des expositions, il n’avait encore jamais fait de collage. Il a imprimé une série de ses photos sur le thème de la solitude et la place de la femme et de l’homme dans la nature.

« J’ai peur que ma colle ne tienne pas »

répond Mahnu, lorsqu’on lui demande ce qu’il craint. Ce graphiste illustrateur qui se joint au groupe de photographes qu’il ne connait pas encore, est à son compte depuis cinq ans. La crise ne l’a pas trop touché, mais il participe à l’évènement en soutien au milieu artistique nantais, mais aussi pour avoir l’opportunité de montrer son travail en dehors des lieux d’expositions classiques. C’est aussi par le bouche à oreilles qu’il a eu connaissance de cette exposition, n’imaginant pas qu’il y aurait autant de participants. Il a choisi d’afficher un triptyque représentant un loup, un lynx et un ours, qui sont les trois prédateurs les plus importants de France et d’Europe.

Arrêt sur collage

Le groupe s’installe devant une façade étonnante en acier couleur rouille, Mail du Front Populaire. Les photographes sélectionnent soigneusement une série de photos, dont les couleurs s’harmoniseront avec le support. L’ambiance est détendue, sauf lors du passage de l’hélicoptère des autorités qui survole la zone en plein collage. Mahnu, de son côté, sort avec satisfaction sa colle écologique maison, fabriquée avec de la farine, de l’eau et un peu de sucre, et commence le collage de ses triptyques. Elle est un peu moins efficace qu’une colle du commerce, mais a l’avantage d’être naturelle. Les organisatrices leur ont donné des étiquettes avec le logo de l’évènement, afin d’aiguiller les spectateurs vers les réseaux sociaux. L’effet est réussi ! Une exposition se révèle, attirant les passants curieux. Après quelques explications sur l’évènement, Matthias, rollers aux pieds, s’émerveille « C’est beau ! C’est ce que j’aime dans cette ville : ça bouge et rien n’est figé. Je ne sais pas si cela va faire du bruit, mais c’est du lourd ». Un couple d’habitants s’approche également, ravis de cette initiative. Le mari accepte de répondre à nos questions « Je trouve ça bien, surtout avec l’ambiance en ce moment. » Sa femme ajoute « On comprend parfaitement la détresse des artistes, on se sent également frustrés par l’impossibilité de voir des expositions. »

Romain, I., Mahnu et Hugo.

I. immortalise l’œuvre pour la relayer sur les réseaux sociaux (@pour_lamour_de_lart_nantes sur Instagram)

Le groupe continue pendant plusieurs heures sa maraude. Plusieurs lieux vont ainsi devenir des musées à ciel ouvert, pour le plaisir d’un public adepte ou non de l’art. Les poteaux en béton des nefs, les plots des quais et le garde corps de la passerelle Victor Schoelcher seront habillés par les artistes colleurs en herbe.

Les photos et les emplacements sont à retrouver sur Instagram et Facebook. Une carte est également disponible sur Mapstr ici. N’hésitez pas à vous balader dans la ville afin de profiter pleinement de cet évènement. Malheureusement, les œuvres peuvent être rapidement enlevées, alors ne tardez pas trop !

Baroudeuse à ses heures perdues, ce sont les rencontres qui l’animent. Son truc ? La photo et l’écriture, de formidables moyens d’expression et de créativité. Son baluchon se pose un instant à la rédaction, pour vous faire découvrir la diversité culturelle Nantaise.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017