-
(Ré)apprendre à toucher
S’il est un code bien ancré dans l’esprit des visiteurs des institutions muséales, c’est que la distance est habituellement de rigueur dans l’appréhension d’une œuvre d’art. On la contemple, on l’observe, on la scrute…mais on ne la touche pas. Et lorsque l’on est invité à entrer dans l’exposition Prière de toucher, au premier étage du Musée d’arts de Nantes, muni d’un masque pour une découverte guidée en binôme, il demeure une certaine hésitation à oser entrer en contact direct avec la matière. Pourtant, l’expérience du toucher paraît naturelle quand on parle de sculpture, tant elle offre une variété de sensations et enrichit la perception de l’œuvre dans toutes ses dimensions. C’est bien là toute l’ambivalence des missions des musées aujourd’hui. Adeline Collange-Perugi, conservatrice chargée des collections d’art ancien du Musée d’arts de Nantes, le résume bien : « Nos deux missions principales sont contradictoires : conserver pour transmettre aux générations futures et, en même temps, permettre aux publics d’appréhender au mieux les œuvres ». L’injonction Prière de toucher, est un clin d’œil à l’œuvre éponyme de Marcel Duchamp qui présentait, en 1947, un sein en relief sur la couverture d’un livre. Avec la perversité qui le caractérise, il soulevait déjà la délicate question du toucher dans l’art.
Une exposition collective et itinérante, accessible à tous les publics
Initiée en 2016-2017 par le musée Fabre (Montpellier Méditerranée Métropole), en partenariat avec le musée du Louvre, cette exposition fait partie des événements nantais qui ont du être reprogrammés suite à l’épidémie de Coronavirus. Elle présente des reproductions d’œuvres, aux reliefs retravaillés et accentués, issues de sept musées régionaux français : Montpellier, Lyon, Rouen, Lille, Bordeaux, Nantes et Rennes. Tous sont membres de FRAME, un réseau de coopération culturelle qui relie, depuis le début des années 2000, trente-deux musées français et nord-américains (États-Unis et Canada). Des personnes non et malvoyantes ont également accompagné le projet dès son origine, dans le cadre d’une démarche inclusive et collaborative. Il en résulte une déambulation ergonomique et progressive, qui débute par un espace dédié au jeune public, où l’on peut s’entraîner à identifier matières et matériaux variés, avant d’entrer dans l’espace central Prière de toucher puis dans l’atelier de l’artiste, où sont abordés les techniques et outils de travail par des dispositifs tactiles, sonores et olfactifs.
« Le toucher nous permet un accès à l’apprentissage,
il a ce pouvoir d’éveiller les consciences, d’émouvoir… ».
Le philosophe Michel Serre, cité par Emilie Vanhaesebroucke, directrice déléguée du réseau FRAME.
La contribution du Musée d’arts de Nantes : une œuvre abstraite, réalisée par une femme artiste
Parmi les neuf reproductions de chefs-d’œuvre, de l’Antiquité au 20ème siècle (dont de grands noms comme Carpeaux, Houdon ou Rodin), l’œuvre Balance en deux, de l’artiste hongroise Marta Pan, se remarque par sa pureté et la sensualité de ses formes. « Nous avons la dernière sculpture de l’histoire, la seule abstraite et la seule d’une artiste femme dans l’exposition», annonce Sophie Lévy, Directrice-Conservatrice du Musée d’arts de Nantes. Une portée symbolique, qui vient en écho à la récente programmation de l’exposition Suzanne Valadon, un monde à soi et au parcours Femmes artistes, à découvrir via l’application Ma visite. En outre, l’approche tactile permet d’en percevoir une version enrichie et augmentée en saisissant, pour la première fois, son fragile équilibre.
Pour aller plus loin :
L’exposition est présentée jusqu’au 29 septembre 2024, en salle 25, au premier étage du Palais, de 14h à 19h et jusqu’à 21h le jeudi. Outils de médiation à disposition de tous les publics : prêt de masques pour les yeux, audio-guides, cartels en braille, livret en braille et gros caractères, livret en « Facile à Lire et à Comprendre » (FALC), etc. Une programmation de visites, ateliers et spectacles accompagneront également celle-ci pendant toute sa durée.