10 mars 2025

Protest Songs, chanter ensemble pour résister

Vendredi 7 mars, Raphaële Lannadère, Sandra Nkaké, Jeanne Added et Camélia Jordana, quatre grandes artistes de la scène française, ont uni leurs voix pour le concert Protest Songs sur la scène de Stereolux. Une soirée, en soutien à l’association SOS Méditerranée, dans le cadre de la carte blanche donnée à l’artiste multidisciplinaire nantaise Phia Ménard.

Protest Songs, chanter ensemble pour résister

10 Mar 2025

Vendredi 7 mars, Raphaële Lannadère, Sandra Nkaké, Jeanne Added et Camélia Jordana, quatre grandes artistes de la scène française, ont uni leurs voix pour le concert Protest Songs sur la scène de Stereolux. Une soirée, en soutien à l’association SOS Méditerranée, dans le cadre de la carte blanche donnée à l’artiste multidisciplinaire nantaise Phia Ménard.

« Il y a plein de manières d’être en lutte et d’être en résistance. Je pense que notre angle est peut-être plus poétique. » confie la chanteuse franco-camerounaise Sandra Nkaké. Le concert Protest Songs, qui jouait vendredi 7 mars à guichet fermé dans le cadre du temps fort Manifestement Phia à Stereolux, n’est pas une démonstration de force. Pour les quatre chanteuses Raphaële Lannadère, Sandra Nkaké, Jeanne Added et Camélia Jordana et leur metteuse en scène Phia Ménard, c’est avant tout une opportunité de se réunir — entre elles mais aussi avec le public — dans un monde « en perdition ».

Quand on interroge la nantaise Phia Ménard, fondatrice de la Compagnie Non Nova, sur le choix de ce spectacle dans sa semaine de carte blanche à Stereolux, la réponse est immédiate : « Par amour pour ces quatre personnes, par amour de leur voix, de leur présence, de leur existence sur la boule. Au moment où Stereolux me proposait cette longue carte blanche je savais que j’allais aussi faire un choix d’inviter des personnes dont l’engagement me semble incontournable, et puis de poursuivre ensemble notre dialogue. »

Un répertoire intemporel pour une histoire collective

Le concert Protest Songs est un répertoire de chansons intemporelles, issues des révolutions pacifistes de la fin des années 60 et de chants traditionnels, mais également quelques titres personnels, réinterprétés à quatre voix et a capella comme “A war is coming” de Jeanne Added, extrait de son album Be Sensational de 2015, récompensé aux Victoires de la musique. Entre deux chants, des textes engagés aussi : Aimé Césaire, un poème de Léon Gontran Damas, une figure de la négritude, et une lecture poignante du programme en dix points du Black Panther Party.
« La pensée profonde de la protest song (chanson contestataire) reste un cri d’amour, un cri sans arrêt d’humanité. » explique Phia Ménard. « La force de la protest song c’est que ça rappelle des fondamentaux, quelles que soient les générations. Le sujet en lui-même est un geste. »

Une mise en scène de Phia Ménard.

Si le répertoire du récital Protest Songs est sensiblement le même, depuis sa création en 2017 lors de la carte blanche à la Maison de la poésie à Paris de Raphaële Lannadère, « le travail avec Phia a totalement métamorphosé le spectacle », confie la chanteuse, plus connue sous le nom d’artiste « L ».
Sur la scène dépouillée de Stereolux, les corps autrefois statiques des quatre femmes prennent vie, dansent, ponctuent et se répondent, chacune avec leur personnalité.

D’un « récital monté de manière assez instinctive », Jeanne Added se réjouit de la présence de Phia, de « sa lecture et son intelligence » ayant permis aux quatre artistes d’investir le spectacle « d’encore plus de sens, ou peut-être même pour la première fois, du sens qu’il avait dès le départ »

En soutien à SOS Méditerranée et à toutes les luttes

Parmi les titres de la soirée, la chanson intitulée “Nuit”, composée par Sandra Nkaké, en hommage aux disparu.e.s en mer. L’artiste, voix de l’année aux Victoires du jazz 2024, raconte comment lui est venue la nécessité de cette chanson, lors d’une baignade en mer : « En rentrant dans l’eau, j’étais prise de frissons. J’ai pris la mesure de l’histoire qui était là, qui était dans cette eau, et que cette histoire n’a de cesse de se répéter. […] Les gens continuent soit à aller dans la mer volontairement, soit à y être jetés. Ce sont les mêmes corps qui sont invisibilisés, ce sont les mêmes corps qui sont tués, ce sont les mêmes corps qui sont exploités. […] L’histoire est fraîche, c’est juste là, c’était avant-hier. »

Au milieu du spectacle, l’image des quatre chanteuses traversant la foule sur “We shall overcome” de Joan Baez pour aller chercher un bénévole de l’association SOS Méditerranée dans le public, est des plus symboliques.
Engagées aux côtés de l’association sur le long terme, il est désormais « indissociable de jouer Protest Songs sans qu’elle soit là. » estime Raphaële Lannadère. « Ce projet a vraiment un sens concret. » L’ensemble des bénéfices du concert sera reversé à SOS Méditerranée.

Steven, bénévole à l’antenne nantaise SOS Méditerranée a pris la parole pour rappeler les actions de l’association.

Lutter différemment

Aujourd’hui « l’indignation est assez générale mais elle n’est pas visible car il y a des tas d’obstacles à cette visibilité. Reste d’essayer de réussir à vivre dans quelque chose qui nous est de plus en plus difficile. » analyse Phia Ménard.

Face à ce constat, ces cinq femmes ont choisi de profiter de leur art et de leurs possibilités de visibilité et d’expression pour lutter à leur manière. « On va dire des choses, on va dénoncer des choses, mais pas forcément de manière frontale. Nos chansons ne sont pas forcément des chants dits de protestation, mais en même temps, elles disent qu’on a envie que le patriarcat disparaisse, que le capitalisme disparaisse, que la violence disparaisse. Et comment est-ce qu’on peut collectivement trouver des clés pour construire un nouveau monde ? Notre geste artistique est directement lié à ça. Juste le fait d’exister, c’est une forme de résistance. » déclare Sandra Nkaké.
Et Raphaële Lannadère de conclure « Être curieux, être dans l’émerveillement, être dans la poésie, dans la création, c’est aujourd’hui être en résistance. »

Dans un contexte géo-politique et social toujours plus fragile, ces chants résonnent plus que jamais d’actualité et appellent à l’unité.

Raphaële Lannadère, Camélia Jordana, Phia Ménard, Jeanne Added et Sandra Nkaké sous les applaudissements du public nantais.

Tout droit arrivée de Paris où elle a vécu les 15 dernières années, Amandine est à Nantes depuis seulement quelques mois. Pourtant, sa connaissance du calendrier culturel et son ancrage dans le quartier révèlent plutôt une femme capable de trouver toutes les occasions pour faire des rencontres et de s’imprégner de l'imaginaire nantais.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017